Impressions de Russie
La honte, ce spectre
qui hante la Russie
Hugo Natowicz
© Hugo Natowicz
Vendredi 5 novembre 2010
D’après l’étude, 39% des sondés auraient “souvent” honte de
la Russie, 25% éprouvant “rarement” ce sentiment. Premier fléau
poussant les Russes à rougir de leur nation, la pauvreté et la
situation sociale du pays pour 45% d’entre eux. Viennent ensuite
un sentiment de vulnérabilité du peuple, la situation des
retraités, les inégalités sociales (7%), ou l’échec sportif
(5%).
Au-delà de ces divers symptômes, un malaise généralisé semble
ronger la relation des Russes à leur pays. Il arrive encore en
Russie que le citoyen lambda, qui affirmait il y a cinq minutes
son amour inconditionnel pour son pays, confie être prêt à
décamper à l’étranger à la première occasion. Un fantasme que se
sont empressés de réaliser les plus riches, dont les familles
sont plus souvent dans leurs appartements londoniens que dans la
capitale russe.
Le sentiment de honte de soi et par extension du pays est si
puissamment enraciné en Russie qu’il est devenu un poncif de
l’humour russe. Principal ressort: le retard sur l’occident. Un
samedi soir sur la Première chaîne, quatre comiques passent au
crible l’actualité russe. Première victime: la tentative visant
à créer un “iPhone russe”. Les spectateurs se tordent de rire,
raillant leur retard technologique sur l’occident.
L’exemple de l’”iPhone made in Russia” est particulièrement
révélateur de cette hantise nationale qu’est le retard sur
l’ouest (et plus récemment sur le voisin chinois). Echouant à
proposer un véritable modèle russe de développement économique,
les autorités russes semblent prises en otages de leur désir de
transposer le succès technologique de l’occident. Ce complexe du
retard, c’est celui-là même qui a monopolisé les forces vives et
justifié d’énormes sacrifices humains pour rivaliser avec
l’ouest sous le communisme. Etrangement, cette force reste un
moteur historique puissant, la recherche du prestige éclipsant
régulièrement celle du bien commun dans l’agenda des priorités.
Dernier exemple en date, la modernisation du pays: il “faut”
créer une Silicon Valley russe, il “faut” des innovations. Des
sommes astronomiques sont allouées au géant Rosnano, le monopole
des nanotechnologies, que nos quatre humoristes épinglent sans
langue de bois: voilà des milliards qui iront engraisser les
tchinovniki (fonctionnaires) pendant que la babouchka
(grand-mère) de province vit et continuera à vivre avec un peu
plus de 100 euros par mois.
C’est que malgré les incantations des dirigeants russes, le
fossé séparant la Russie idéale du pays réel se creuse, attisant
le complexe national. “Il n’y a pratiquement pas de
modernisation réelle, de restructuration ou de diversification,
le pétrole et le gaz restent les principales sources de revenus,
la corruption règne toujours et le niveau de l’innovation est
presque nul”, concluait récemment le groupe d’experts
internationaux Valdaï.
La modernisation, telle que conçue par les dirigeants russes,
n’est-elle pas automatiquement vouée à l’échec si elle doit
rester confinée au domaine technologique sans modifier la
structure sociale et politique du pays? Répondre honnêtement à
cette question, avec tous les risques qu’elle comporte, a de
grandes chances de rehausser l’image que les Russes ont de leur
pays.
© 2010 RIA Novosti
Publié le 22 décembre 2010
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