Les Français selon
le ministre Hervé Morin :
« C'est difficile d'expliquer à des cons »
Hicham Hamza
Vendredi 22 octobre 2010
Lapsus. Mardi, durant un entretien accordé à Oumma sur
Beur FM, le ministre de la Défense, Hervé Morin, a laissé
entendre tout haut ce qu’il pensait des Français opposés à
l’intervention militaire en Afghanistan.
19 octobre, place du colonel Fabien, Paris. Des
hommes en noir surveillent les alentours de l’immeuble qu’occupe
la radio Beur FM. Ce soir-là, un invité de marque est présent
dans les locaux : Hervé Morin, ministre de la Défense et
président du Nouveau Centre. A l’occasion de
l’émission « Le Forum-Débat », animée par Abdelkrim Branine,
l’homme politique revient sur divers sujets d’actualité,
notamment les grèves et la participation militaire de la France
en Afghanistan. C’est précisément sur ce thème, sur lequel je
l’interrogeais, que la langue du ministre a fourché :
Hervé Morin : Pour ce qui est de
l’armée française, je peux vous garantir que les prescriptions,
les ordres qui sont donnés, c’est de faire en sorte qu’on évite
les dégâts collatéraux.
Oumma : Vous savez que, selon les
sondages, les Français sont majoritairement défavorables à
l’intervention militaire en Afghanistan.
Hervé Morin : Oui, je sais bien parce
que, parce que c’est difficile d’expliquer à des cons…à des…à
des…à des hommes et des femmes qui...euh… qu’une partie de leur
sécurité se joue à 7000 kilomètres de chez eux !
Durant son bafouillement, j’avais constaté qu’il
réprimait un sourire, comme s’il se rendait compte d’avoir
commis une maladresse particulière à l’antenne. Sur le moment,
cela ne m’avait pas frappé : j’avais cru comprendre qu’il
voulait parler des « concitoyens », un terme courant dans le
langage politique. Préférer utiliser les mots « des hommes et
des femmes » paraissait néanmoins saugrenu : effectivement,
la majorité des Français que j’évoquais dans ma question sont
également des « hommes et des femmes »… Par contre,qu’il soit jugé, selon les termes employés par le ministre,
« difficile d’expliquer » aux Français opposés à la présence
française en Afghanistan certains motifs géostratégiques rend
sémantiquement plus que probable son lapsus. En somme,
l’expression involontaire de sa vision toute personnelle d’une
majorité de Français, assimilés à des « cons » car
ils auraient des difficultés à comprendre leur implication
militaire dans une conflit situé à « à 7000 kilomètres de
chez eux ».
Hervé et moi
A mon arrivée à Beur FM, le ministre, installé
dans le fauteuil du hall d’entrée, m’accueille d’une ferme
poignée de main, rajoutant vivement : « On se connaît,
non ? ». Pour toute réponse, je lui indique que
nous nous étions déjà entretenus, un an auparavant : durant la campagne
des élections européennes, je l’avais brièvement interviewé
durant le stage que j’effectuais alors à La Chaîne
Parlementaire. Son œil malicieux me suggère que notre prétendue
« connaissance » mutuelle est plus vaste qu’une rapide
série de questions/réponses, réalisée début 2009. Comme c’est
l’usage avec des personnalités politiques de premier plan, il
arrive que le profil des interviewers soit vérifié avant la
rencontre. Le regard constamment sévère de son chargé de
communication à mon endroit confirme mon soupçon : ce n’est pas
une vague interview, caméra à l’épaule, dont se souvient le
ministre mais, plus vraisemblablement, deux articles en ligne où
je l’avais quelque peu égratigné et dont il eu a visiblement
connaissance par son assistant : l’un, datant de l’été dernier,
à propos de
sa
récupération des Roms pour courtiser l’électorat d’origine
maghrébine et l’autre, remontant au printemps 2008 et paru sur
Bakchich, pour lequel je l’avais enregistré, micro en main
et à son insu, en train de sermonner un journaliste dans les
couloirs de l’Assemblée nationale.
Bientôt la quille
Ce léger grief n’a pas empêché le ministre de
redevenir affable et de nous confier, durant l’interview, une
information exclusive au sujet de l’affaire Ben Barka . Sa
décontraction avant l’antenne s’est d’ailleurs manifestée de
manière singulière : spontanément, il en venu, hors-micro, à
qualifier certains de ses collègues au gouvernement par un mot
particulièrement offensant s’ils venaient à l’entendre… Chose
plus étonnante, il nous révéla que son inimitié à leur encontre
s’expliqua par le stratagème sophistiqué que certains d’entre
eux -qu’il n’a pas voulu nommer- auraient conçu pour
l’attaquer : solliciter des agences de communication pour
trouver des solutions afin de le rendre impopulaire dans
l’opinion publique. Je lui ai demandé s’il regrettait sa
prochaine mise à l’écart du gouvernement : haussant les épaules
et faisant la moue, Hervé Morin ne sembla pas le moins du monde
affecté par son départ imminent à l’occasion de l’imminent
remaniement ministériel. Tout au plus, il a reconnu davantage
s’inquiéter pour l’avenir de ses proches collaborateurs dont il
suit par sms, I Phone constamment à la main, les nouvelles
annonces de leurs perspectives professionnelles.
Au-delà de son lapsus, ou de sa rancœur
manifeste envers la plupart de ses collègues, Hervé Morin nous a
confié quelque chose de plus intime : d’origine modeste, il a
raconté, aussi bien à l’antenne qu’en « off », son sentiment
personnel d’un décalage permanent par rapport aux « enfants
de bourgeois » qu’il cotôie depuis une trentaine d’années,
époque de son entrée à Sciences Po. Son insistance à qualifier
les Français d’origine étrangère d’« héritiers de
l’immigration » et à les considérer publiquement comme une
« richesse pour la France » le distingue notamment de ses
confrères de l’UMP. C’est aux Etats-Unis qu’il dit avoir pris
conscience, à la fois, de l’échec de la discrimination positive
et de l’importance d’envisager une « mobilisation positive »
des divers apports culturels de son propre pays. Candidat
probable aux élections présidentielles de 2012, Hervé Morin
semble déjà vouloir cultiver sa différence avec Nicolas Sarkozy,
quitte à vouloir séduire, de manière trop explicite, l’électorat
musulman et/ou d’origine maghrébine, par des
signaux de plus en plus fréquents
à son attention. Son
alignement systématique sur la politique américaine en
Afghanistan, comme le suggère
durant notre entretien à l’antenne- sa défense enjolivée de la
participation militaire française, pourrait bien cependant
compromettre sa conquête d’un électorat devenu incontournable
pour briguer le pouvoir suprême.
Publié le 23 octobre
2010 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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