Opinion
Le gouvernement
boycotte Tariq Ramadan
mais sponsorise un intellectuel
ultra-sioniste
Hicham
Hamza

Vendredi 17 mai
2013 Info
Oumma. La ministre de la Culture
parraine le lancement d’un ouvrage
universitaire supervisé par Pierre-André
Taguieff, intellectuel proche de
l’extrême-droite sioniste et
antimusulmane.
Lundi 13 mai, 18h30. Alors que des
centaines de badauds s’affluent au
Trocadéro pour célébrer la victoire du
PSG, d’autres ont préféré s’installer
dans le salon feutré d’un hôtel chic du
7ème arrondissement de Paris
afin d’écouter le discours d’un homme
féru d’histoire politique. Devant la
trentaine de curieux réunis,
Pierre-André Taguieff, accueilli
comme un prince des lettres par le
Centre national du Livre, prend place.

Pierre-André Taguieff
Le sociologue, directeur de recherche au
CNRS, vient
présenter son dernier livre dont il
a assuré la direction collégiale :
intitulé « Dictionnaire historique
et critique du racisme » et publié
par les
Presses Universitaires de France,
cet ouvrage colossal est disponible
depuis mercredi pour la somme de
49 euros.
Entouré de ses collègues
universitaires, Taguieff est interrogé
avec délicatesse par la maîtresse de
cérémonie du jour : Anne Sinclair,
directrice du
Huffington Post et visiblement
grande admiratrice du philosophe.

Anne
Sinclair, avec Laurent Bouvet et Alexis
Lacroix, au « pot de l’amitié »
Avec emphase, elle compare le livre,
salué également par la
Règle du Jeu de
Bernard-Henri Lévy, à une « rambarde
» contre laquelle il sera salutaire
de se raccrocher afin de rafraîchir sa
compréhension de mots récurrents dans
l’actualité. Dans la petite salle
comble, le public est conquis par
l’éloge de la journaliste. Chose
curieuse pour la présentation d’un
travail sur le racisme, l’assemblée
présente est uniquement composée de
Blancs. Installé au dernier rang et vite
éclipsé, seul le chercheur associé à
l’IRIS,
Ali Laïdi, fait exception. Un de ses
collègues,
arrivé en retard, patiente debout
contre le mur avant de prendre la place,
laissée vacante dans le public, du
sondologue Pascal Perrineau : il s’agit
de
Jean-Yves Camus, spécialiste de
l’extrême droite et
contributeur du site du
CRIF. L’homme, passionné par les
questions de
« l’antisionisme »et de
«
l’antisémitisme dans le
monde arabe »,dévisage
régulièrement les personnes présentes
dans la salle.

Jean-Yves
Camus (de profil)
Durant près de deux heures, Pierre-André
Taguieff et ses collègues ont ainsi
exposé, de manière quelque peu
pontifiante, l’objet de leur ouvrage,
envisagé dès 1989 et préparé depuis six
ans. Comme le résume sa
notice, il s’agit d’un livre
comprenant « 540 articles rédigés
par 250 spécialistes » qui serait
destiné à « lutter contre les
racismes en connaissance de cause et
avec la lucidité requise ». A la
fin, aucune séance de questions n’a été
accordée au public. Il fallait se
contenter de venir, d’écouter,
d’applaudir et de s’en aller. Une petite
nuée d’admirateurs a rejoint et entouré
constamment le philosophe, visiblement
satisfait de son opération-marketing.
Contrairement aux apparences, il ne
s’agissait pas là d’une quelconque
présentation d’un ouvrage comme il s’en
déroule quotidiennement, partout en
France. D’abord, un lieu prestigieux :
l’hôtel d’Avejan, siège du Centre
national du Livre –un
établissement public à caractère
administratif qui
« soutient »la publication
de l’ouvrage. Ensuite, le parrainage :
les participants étaient conviés à cette
soirée inaugurale par Aurélie Filippetti,
ministre de la Culture, comme en
témoigne le carton d’invitation.

Léger problème : Pierre-André Taguieff
n’est pas simplement un universitaire
graphomane et
cumulard. Il est également un
idéologue proche de la mouvance
ultra-sioniste et islamophobe comme
l’illustre sa
participation au site dénommé
Dreuz.info. Se
présentant comme un média «
francophone, chrétien, néo-conservateur
et pro-israélien », ce site fournit
régulièrement des tribunes
violemmenthostiles au
monde arabe et à
l’islam. Cet aspect dans la carrière
de l’intellectuel est d’autant plus
intéressant que l’homme fut présenté
élogieusement par le président du Centre
national du livre, Jean-François
Colosimo, comme un « combattant
antiraciste depuis 40 ans ». C’est
d’ailleurs le même Taguieff qui fit
brièvement allusion, lors de sa
conférence, au « racisme » qui
se fonde sur « ces thèses
paranoïaques sur l’islamisation de
l’Europe » alors que le site auquel
il
collabore est particulièrement
prolixe dans ce registre.
Depuis une dizaine d’années, en
notamment depuis la seconde Intifada et
le 11-Septembre, Pierre-André Taguieff
pratique le
grand écart entre la position du
chercheur patenté censé être impartial
et celle du
militant atlanto-sioniste
obsédé par la menace d’une
« judéophobie »imputée aux
Français d’origine maghrébine. Il y a
trois ans, il s’était également fait
remarquer pour son usage des
qualificatifs de
« serpent venimeux »qui
serait
« passé à l’ennemi »et d’«employé
des gardes-chiourmes du camp de
Buchenwald », adressés
à l’encontre de l’ancien résistant
pro-palestinien
Stéphane Hessel.
Auparavant, il avait été parmi les
premières personnalités à lancer le
concept
controversé du « racisme
anti-blancs ». Et, outre ses
contributions alarmistes -relayées
également par l’association radicale
Europe Israël- au site du
CRIF, Pierre-André Taguieff s’était
aussi distingué, à propos d’Ariel
Sharon, en
évoquant « les supposées
“victimes” (Palestiniens, Arabes,
musulmans) de “l’impérialisme sioniste”
», et en défendant l’ex-Premier
ministre israélien contre « deux
décennies de propagande palestinienne et
pro-palestinienne » qui
l’accusèrent d’un « fait mal établi
et volontairement mésinterprété » :
le
massacre de
Sabra et Chatila.
Désormais, Pierre-André Taguieff voue
une
passion au
décryptage du prétendu
« complotisme », quitte à
souffrir lui-même du mal qu’il décrit
régulièrement de
manière
abondante. Ainsi, suite aux
évènements de Toulouse et Montauban,
l’intellectuel a
précisé sa pensée particulière à ses
amis de Dreuz.info :
« Les assassinats-spectacles sont
commis pour être imités. Les Indigènes
de la République, ces Indignés de
l’extrême, se sont promis d’importer en
France le sanglant « printemps arabe »
(qui n’a profité qu’aux islamistes),
manière de prévenir les « souchiens »/«
sous-chiens » qu’ils vont s’entendre
dire « dégagez ! ».
Leur seul programme est la haine
de la France et des Français non issus
de leur immigration de référence. Le
désir d’avenir est chez ces indigènes
imaginaires un désir de guerre civile.
Qui sait si le pire n’est pas sûr… ».
L’homme peut en vouloir au mouvement
des Indigènes de la République : en
2009, ces derniers avaient
relayé un
entretien éclairant avec
Ivan Segré, philosophe
franco-israélien et détracteur de
Taguieff, qualifié de
« réactionnaire philosémite ».
Boycotter l’un,
sponsoriser l’autre
L’image d’extrémiste pro-israélien
cultivée par Pierre-André Taguieff ne
l’a pas empêché de continuer ses
activités au sein du CNRS et d’être
adoubé par la ministre de la Culture à
travers le Centre national du Livre.
Chose curieuse : c’est le même
gouvernement qui s’est récemment
illustré pour
boycotter, via
sa porte-parole et le ministre
l’Intérieur, un colloque dans lequel
figura
Tariq Ramadan. Cet intellectuel,
également
universitaire et
polémiste, est tout autant
critiquable que n’importe quelle figure
influente du monde des idées et Oumma ne
s’est pas privé de donner aussi la
parole à ses détracteurs. Pourtant,
force est de constater ici un manifeste
deux poids deux mesures : d’un
côté, on diabolise un personnage public
en raison de ses liens supposés avec les
Frères musulmans et ses déclarations
relatives au « moratoire de la
lapidation » ; de l’autre, on
parraine et finance un universitaire
qui, outre ses propos régulièrement
outranciers, collabore avec des
publications anti-arabes et
anti-musulmanes.
Quitte à rompre physiquement le
cercle de ses admirateurs, il était
tentant de se frayer un chemin vers
l’intéressé, lundi au Centre national du
livre, pour l’interroger sur le paradoxe
de ses activités : superviser un ouvrage
pédagogique sur le racisme et participer
lui-même à des sites racistes. C’eût été
peine perdue : Pierre-André Taguieff
n’avait pas envisagé de répondre aux
questions du public ou de la presse,
encore moins celles de médias
alternatifs comme Oumma. En effet,
l’homme n’apprécie guère notre site,
qualifié d’ « islamiste » comme
en témoigne cette annotation dans son
dernier
ouvrage, sorti en avril et dénommé
« Court traité de complotologie ».

Extrait du
« Court traité de complotologie » de
Pierre-André Taguieff
Salué par
Libération, cet ouvrage est
dédié à Serge Moscovici, célèbre
psychologue,
père de
l’actuel ministre de l’Economie et
récemment
décoréde la Légion d’honneur. A
l’instar de
BHL et de
Caroline Fourest, Taguieff reprend à
son compte le terme « islamiste »
pour désigner Oumma sans, bien sûr,
tenter de l’étayer par une quelconque
démonstration. Nous sommes ici
simplement cités en raison de notre
interview
de Roland Dumas, qualifié par le
chercheur comme un « négationniste
du 11-Septembre ». L’ancien
président du Conseil Constitutionnel ne
peut décidément trouver grâce à ses yeux
: il l’un des rares anciens responsables
politiques français à critiquer
également l’Etat hébreu et à
souligner, comme ce fut le cas dans
son autobiographie parue en 2011, la
collaboration occulte entre la police du
renseignement français et les services
secrets israéliens.
Pour résumer le logiciel mental de
Pierre-André Taguieff, faisons «
court », nous aussi : tout musulman
critique de l’Etat d’Israël est un «
islamiste » et tout citoyen ne se
contentant pas des versions officielles
sur telle ou
telle affaire impliquant notamment la
mouvance ultra-sioniste est un «
complotiste ». Evidemment, si vous
cumulez les deux qualificatifs,
n’espérez pas obtenir de lettre de
recommandation de la part de
l’intellectuel-idéologue afin de
décrocher un poste au CNRS, au
Huffington Post ou au ministère de la
Culture.
Publié le 17 mai
2013 avec l'aimable autorisation
d'Oumma.com
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