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Oumma.com
Entretien exclusif avec Farah Pandith,
membre de
l'Administration Obama
Hicham Hamza
Farah Pandith
Mercredi 13 octobre 2010
A l’occasion de son passage-éclair à Paris, la représentante
spéciale du Département d’Etat pour les communautés musulmanes
dans le monde, Farah Pandith, a accordé un entretien
exceptionnel à Oumma au sein de l’ambassade américaine.
Mercredi 6 octobre, avenue Gabriel, Paris.
Rendez-vous est pris à l’ambassade américaine, située aux abords
de l’Obélisque de la Concorde, pour une interview exclusive.
Nommée
en juin 2009 par Hillary Clinton pour être l’émissaire spéciale
du Président Obama auprès des communautés musulmanes à travers
le monde, Farah Anwar Pandith nous accueille chaleureusement
dans un salon feutré au cœur d’un bâtiment ultra-protégé. Après
avoir obtenu le feu vert de Washington- où votre identité est
contrôlée en amont, franchi les diverses barrières de sécurité,
et croisé quantité de gendarmes français et autres militaires
américains, nous parvenons enfin à rencontrer une dame de fer,
enjouée, volubile et prête à répondre aux questions d’Oumma. Un
personnage atypique et intriguant, déjà en activité dans un
Département d’Etat dirigé auparavant par Condoleezza Rice et
dont le parcours politique, à 42 ans, est jalonné par des
passages dans des structures discrètement influentes, notamment
le
Conseil de sécurité nationale et le
Council on Foreign Relations.
C’est le « paradoxe Pandith » : un contact simple et spontané,
typique de la communication politique américaine, mais qui
recouvre une expérience forgée dans de puissants et austères
organes de décision.
Les menaces terroristes censées peser sur Paris
se font ressentir, évidemment, jusqu’au cœur de l’ambassade.
Pour des questions de sécurité, aucune photo ne pourra être
prise. Seule la responsable de la presse est autorisée à
capturer des images de la rencontre afin de les envoyer à
Washington pour archivage. Un dictaphone est enclenché pour
enregistrer l’interview. Quant au porte-parole de l’ambassade,
il nous fait poliment savoir que nous avons exactement une
demi-heure avant que madame Pandith ne doive repartir pour un
autre rendez-vous. Finalement, en raison de son intérêt pour les
thèmes abordés, la diplomate signalera vers la conclusion de
l’échange, d’un simple geste de la main à l’attention du
porte-parole, qu’elle préfère prolonger de quelques minutes
supplémentaires la discussion. Un échange sur le vif.
Oumma : Quel est le sens de votre fonction ?
Farah Pandith : C’est la première fois dans l’histoire
des Etats-Unis que nous avons cette fonction. Celle-ci fut mise
en place deux semaines après le
discours du Président au
Caire en 2009. Le but consiste à travailler
directement avec les communautés locales, au niveau individuel
et à travers le monde. Il s’agit de faciliter le partenariat et
le dialogue.
Qu’est ce qui explique la création d’un tel
poste sous l’Administration Obama ?
Vous connaissez l’engagement du Président Obama sur la
question du rapport des Etats-Unis avec l’islam. Deux mois après
son discours inaugural, il a réaffirmé cela devant le Parlement
turc.
Mais c’est au Caire qu’il a déployé sa vision pour ouvrir une
nouvelle ère de collaboration et développer des actions
concertées quant à l’éducation et aux nouvelles technologies.
Quand vous avez un Président qui en a fait une priorité, une
Secrétaire d’Etat qui demande à chaque ambassade dans le monde
de faire preuve d’ingéniosité pour savoir comment nous pouvons
devenir le vecteur, le facilitateur et le partenaire
intellectuel, tout cela sous-entend que les diplomates doivent
élargir et approfondir leurs contacts auprès des musulmans. Pas
seulement les dirigeants d’organisations mais aussi les
entrepreneurs, les bloggeurs, les directeurs associatifs, les
activistes qui agissent dans le bien de leur communauté. Nous
apprenons à connaitre de plus en plus la forme et l’envergure de
ces communautés à travers le monde. Pourquoi maintenant ? Parce
que nous avons un Président qui s’est engagé sur ce sujet, qui
comprend le poids démographique d’une population qui correspond
à 1/4 de l’humanité. Nous devons apprendre à collaborer tous
ensemble.
Vous avez évoqué votre intérêt pour les
"petites voix" dans le monde musulman ? Que voulez-dire de la
sorte ?
Je pense qu’il est important d’écouter ces personnalités qui
ne sont pas souvent entendues. C’est ce que je voulais dire
quand je parle d’élargir nos contacts. Pendant très longtemps,
nous avons écouté les soi-disant porte-paroles de ces
communautés .Bien sûr, ils sont importants et respectés mais il
y a beaucoup d’individus, dans les jeunes générations, qui ont
des choses intéressantes à exprimer. Une des missions que m’a
confiées la Secrétaire d’Etat consiste justement à me concentrer
sur les moins de 30 ans. Un milliard et six cents millions de
musulmans sur la planète dont la majorité est âgée de moins de
30 ans. Vous le savez. Entre 60 et 80% des communautés selon
leur localisation géographique. Je veux connaitre leurs
histoires, leurs innovations, je veux développer les moyens
qu’aura le gouvernement américain pour les mettre en avant et,
plus important encore, les relier. Les personnes formidables que
j’ai rencontrées hier à Lyon pourront être mis en contact avec
d’autres à Lahore, au Pakistan, non pas parce qu’elles sont
issues de la même culture mais en raison de leurs idées
innovantes en commun. Je voyage énormément depuis ma prise de
fonction, voilà un an ; dans le dernier mois, j’ai visité
environ trente pays dans cette perspective.
L’Administration Obama semble vouloir
redéfinir les rapports des Etats-Unis avec le monde musulman.
Vous avez déjà été en exercice dans le département d’Etat sous
l’Administration Bush. Quelles sont les différences d’approche
selon votre expérience ?
Elles sont nombreuses. Tout d’abord, je tiens à préciser que
c’est un honneur pour tout Américain de servir au sein du
gouvernement à des postes à responsabilité. En tant
qu’Américaine et musulmane, j’ai eu cette chance. Quant à la
nouvelle Administration, elle se distingue dans la mesure où
elle a changé le ton, le rythme, la passion et l’énergie sur cet
engagement. Le Président en a fait une priorité et en demandé
qu’il en soit de même pour tous les secteurs du gouvernement.
Les derniers débats autour de l’islam
américain, notamment à propos de la question d’un Centre
communautaire en cours d’édification près de Ground Zero,
semblent attester d’une
recrudescence de
l’islamophobie dans votre pays. Est-ce le cas
d’après vous ?
Ce qu’il faut d’abord rappeler sur ce point, c’est que notre
Constitution accorde la liberté religieuse à tout citoyen. C’est
sur ce principe inaliénable que notre pays s’est fondé au
travers d’une grande diversité ethnique et religieuse. Entre 5
et 8 millions de personnes, venues du monde entier, composent la
population américaine et musulmane. C’est le sens de l’Amérique.
Depuis neuf ans, des incidents ont effectivement redéfini la
manière dont nous parlons de l’islam et des musulmans. Tout le
monde en est conscient. Voilà pourquoi le Président en appelle
au respect mutuel. Ce qui s’est passé constitue un défi mais la
liberté religieuse n’est pas une question négociable. Il y a des
minorités, de part et d’autre, qui s’expriment mais qui ne
représentent pas l’Amérique.
« L’islam fait
partie de l’Amérique »
L’engagement du Président Obama sur ce point
a semblé clair jusqu’à sa déclaration impromptue, face à une
caméra de
CNN, où il indiqua qu’il ne ferait pas de
commentaire personnel sur la "sagesse de la décision" relative à
la construction du Centre. Qu’a-t-il voulu dire par là ?
Le Président a été très clair des qu’il est entré dans le
débat : l’islam fait partie de l’Amérique. Si vous observez
l’histoire de notre pays, l’islam est présent dès le début, avec
l’arrivée des esclaves. Les musulmans américains sont présents
dans toutes les couches sociales du pays. La plupart figurent
notamment parmi les classes supérieures. Le
discours du Président, lors de la rupture du
jeûne, est significatif. Il a rappelé la rencontre de Thomas
Jefferson durant un Iftar avec l’ambassadeur tunisien. Notre
histoire est celle la coexistence de plusieurs croyances. Mais
il a aussi parlé du droit qui revient aux municipalités
d’autoriser ou non la construction d’un lieu de culte. Dans sa
remarque, il a distingué le droit de construire un lieu de culte
et la pertinence de toute construction. Cet aspect revient
précisément aux citoyens de New-York qui doivent en décider.
Son commentaire a tout de même
paru plus
ambigu, comme s’il s’agissait d’une rétractation.
Ce que le Président a dit, c’est que la décision
d’autoriser la construction ne lui revient pas. Il a été très
clair en s’inscrivant dans l’esprit de la Constitution et du
Premier Amendement.
L’image de Barack Obama, plutôt bonne au
départ, a été particulièrement ternie, notamment aux yeux des
Français musulmans, par l’intensification de l’intervention
militaire en Afghanistan et au Pakistan. Comment pourriez-vous
corriger une réputation aussi endommagée ?
Tout d’abord, je tiens à rappeler son engagement, inédit pour
le commandant-en-chef des forces américaines, de respect envers
l’islam. Ensuite, les décisions en politique étrangère ne sont
pas fondées sur la religion mais sur des motifs géostratégiques.
Ils sont délicats et représentent un défi car ils concernent, de
par les circonstances, des pays musulmans.
Justement, à propos de politique étrangère,
la gestion du dossier israélo-palestinien semble toujours
relever d’un deux poids deux mesures de la part des Etats-Unis.
Comment espérez-vous convaincre l’opinion publique, dans le
monde musulman mais aussi au-delà, qu’il ne s’agit pas là d’un
traitement inéquitable ?
Permettez-moi d’être clair à ce sujet : je ne crois pas qu’il
existe un "monde musulman". Je pense plutôt qu’il s’agit de
communautés musulmanes à travers le monde, y compris en
Occident. La question israélo-palestinienne est d’abord un
problème humain et tout le monde veut une solution. Le Président
a été très clair : il veut une solution à deux Etats et
l’instauration d’une paix à long terme dans la région. Il a
nommé un envoyé spécial dès le second jour de son mandat car il
est résolu à trouver une solution à ce problème. Dans ce but,
tout le monde peut se réjouir de la reprise des pourparlers.
Personnellement, êtes-vous vraiment optimiste
sur ce dossier ?
J’ai beaucoup d’enthousiasme quant à la vision du Président
Obama et je suis encouragée par les dernières avancées
développées par la Secrétaire d’Etat et l’émissaire spécial
George Mitchell. J‘aime l’idée que les gens reprennent le
dialogue.
Dans un autre domaine de la politique
étrangère, il semble que les autorités américaines, notamment à
travers l’Ambassade de Paris, s’intéressent
particulièrement aux
futurs leaders d’opinion issus de la communauté
musulmane
française. Pourquoi une telle attention à leur
égard ?
Nous sommes toujours vigilants à l’émergence de nouveaux
leaders, pas seulement musulmans, pour développer nos
partenariats dans l’avenir. Il ne faut pas seulement
s’intéresser d’ailleurs à l’élite mais aussi aux autres franges
de la société dans lesquelles de nouvelles figures peuvent
surgir : les artistes, les associatifs, entre autres.
Globalement, il s’agit de mettre en lumière, et en rapport les
uns aux autres, les talents de la prochaine génération. A
l’époque de Facebook et de Twitter, c’est devenu une nécessité.
Comment envisagez-vous le désamour de
nombreux talents issus de l’immigration vis-à-vis de la France,
au point que certains choisissent de s’exiler au Canada, à
Londres ou aux Etats-Unis ?
Ce n’est pas au gouvernement américain de conseiller la
France sur la politique à mener dans ce domaine. D’autant que
vous avez un modèle d’intégration particulier. Je ne pourrai
donc pas de faire de commentaire sur ce sujet.
Dernière question, au sujet du monde
islamique et de sa vision des Etats-Unis : samedi dernier, un
article du
Washington Post a évoqué le rejet de plus en plus
croissant des musulmans, en résonance sur ce point avec la
récente
déclaration du président iranien à l’ONU, de la
version officielle du 11-Septembre. Comment l’expliquez-vous ?
Vous savez quoi ? Il a y a énormément de théories du complot.
Ma préférée- si je puis dire- concerne le tsunami de 2004 :
selon certains, il s’agirait là d’une manœuvre américaine ! Nous
pourrions passer des heures à débattre de cette question mais je
préfère ne pas perdre mon temps là-dessus. Tout ce que je
souhaite, c’est que tout le monde redevienne rationnel. Al-Qaïda
s’est attribué le 11-Septembre. Ils l’ont revendiqué !
Mais pourquoi alors un tel
scepticisme, une telle défiance, notamment de la
part des musulmans, sur ce point précis, selon vous ?
Je crois que cela dépend de votre localisation dans le monde et
comment vous avez accès à l’information. C’est une horrible
tragédie qui s’est produite mais il y a tellement d’éléments qui
soutiennent ce qui s’est passé. A mes yeux, la controverse n’a
pas de sens. C’est à vous, les journalistes, d’être précis sur
les faits afin de pouvoir poser les bonnes questions, y compris
à l’attention de vos communautés respectives.
Vous voulez dire que c’est de la faute des
médias, en l’occurrence
ceux
des pays musulmans, si la version officielle est contestée ?
C’est à tout journaliste à travers le monde d’être le
plus scrupuleux à ce sujet.
Merci de nous avoir accordé cet entretien,
madame Pandith.
C’est moi qui vous remercie d’être venu
jusqu’ici en ce jour pluvieux. J’ai un tel respect pour Oumma et
j’espère que nous pourrons reprendre cet échange lors de ma
prochaine venue en France.
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