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Oumma.com
L'affaire Helen
Thomas
Hicham Hamza
Helen Thomas
Mercredi 9 juin 2010
Contre-feu. De l’opprobre et de la sanction
aux Etats-Unis : lundi dernier, Helen Thomas, figure tutélaire
du journalisme politique, a dû se résigner à quitter ses
fonctions en raison du tollé provoqué par sa critique radicale
de l’État d’Israël. Retour sur les dessous d’une opportune
diversion politico-médiatique.
« Quelle est cette relation sacro-sainte, coulée
dans le bronze, avec un pays assassinant délibérément des
gens ? ». Sourire crispé, le porte-parole de la Maison Blanche,
Robert Gibbs,
élude
tant bien que mal la question indélicate de Helen Thomas. Ce
mardi 1er juin, au lendemain de l’attaque meurtrière d’un convoi
humanitaire par Israël, l’insolente journaliste
surenchérit lors de ce briefing portant sur une actualité
brûlante : « Notre réaction initiale à ce massacre contre une
flottille, un massacre délibéré, un crime international, a été
lamentable ». Avant d’enfoncer le clou : « Que veut donc dire
votre « nous regrettons », lorsque quelque chose devrait être
condamné avec la dernière énergie ? Et si n’importe quel autre
pays dans le monde avait fait ça, ça serait déjà la mobilisation
générale, chez nous ! » . Une liberté de ton inimaginable en
France où le journalisme de révérence, explicite ou teinté d’une
fausse subversion, domine encore largement les conférences de
presse et autres entretiens télévisés avec le président de la
République.
Moins d’une semaine après avoir posé la énième
question qui fâche, Helen Thomas, correspondante historique à la
Maison Blanche, sera contrainte à la démission. La cause ? Une
effronterie de trop au regard du bon ton employé par ses
collègues, la plupart empreints de modération dès qu‘il s‘agit
d‘évoquer le Moyen-Orient. Objet de la polémique : des
déclarations iconoclastes au sujet des Israéliens,
prononcées le vendredi 27 mai, à la suite d’une cérémonie tenue
à la Maison Blanche en l’honneur de « l’héritage
juif américain ». « Dites-leur [aux Israéliens] de foutre le
camp de la Palestine. Souvenez-vous que ces gens-là [les
Palestiniens] sont occupés et qu’il s’agit de leur terre, que ce
n’est pas l’Allemagne ni la Pologne ». Les citoyens juifs de
l’État hébreu « peuvent rentrer chez eux, en Allemagne, en
Pologne, en Amérique et n’importe où ailleurs ».
Ses propos, médiatisés le vendredi suivant
grâce au célèbre site
Drudge Report, portail dédié aux informations
sensationnalistes, ont occupé le débat médiatique tout au long
du week-end avant de se traduire, lundi, par l’annonce du départ
à la retraite d’Helen Thomas, visiblement contrainte à la
démission. L’agence Hearst, où l’hérétique exerçait en tant
qu’éditorialiste, a fait
savoir la fin de leur collaboration. Depuis, le siège au
premier rang, occupé par Helen Thomas et situé dans la salle de
la Maison Blanche affectée à 49 journalistes triés sur le volet,
est vacant.
Good night and good luck
La clarification apportée par la doyenne de la
presse présidentielle n’y changera
rien :
« Je regrette profondément les commentaires que j’ai tenu la
semaine dernière sur les Israéliens et les
Palestiniens, explique-t-elle sur son
site. « Ils ne
reflètent pas mon sentiment, qui est que la paix viendra au
Proche-Orient quand les deux camps reconnaîtront le besoin
réciproque de respect et de tolérance. Puisse ce jour venir
rapidement ». Plusieurs personnalités politiques et culturelles,
communautaristes ou issues du courant neoconservateur, tel
Ari Fleischer, l’ancien porte-parole de l’Administration
Bush, ont exigé auprès de ses employeurs sa
mise à l’écart, voire son
licenciement.
A l’origine de ce scandale, parenthèse adéquate
pour détourner l’attention de l’opinion publique américaine des
véritables enjeux de la crise israélo-palestinienne, un homme,
animé par une mission singulière : David Nesenoff, journaliste,
réalisateur…et
rabbin.
Muni d’une simple caméra Flip, ce New-Yorkais est allé
interroger la journaliste à la sortie de la cérémonie d’auto-congratulation
communautaire qui s’est déroulée dans l’enceinte de la Maison
Blanche. Un entretien sur le vif, rapidement expédié et portant
uniquement sur deux thèmes : la vocation journalistique et
Israël. L’interviewer atypique se
revendique comme
pro-israélien au point d’inviter expressément, sur la page
d’accueil de son
site
internet, le président Obama -mal informé selon lui- à venir
l’accompagner en Israël afin de lui exposer la réalité du pays.
C’est donc cet homme qui, après une question relative au
journalisme, aborde rapidement le sujet qui semble le préoccuper
au plus haut point : « Un commentaire à propos d’Israël ? ».
Au moyen d’une transition habile portant sur
l’héritage juif célébré ce jour-là, le reporter gonzo piège son
interlocutrice, réputée sensible sur la question du
Moyen-Orient. La vidéo, filmée le vendredi 27 mai
soit quatre jours avant la polémique internationale survenue
autour de l’assaut israélien- et présentée comme un document
exclusif, sera mise en ligne près d’une semaine plus tard, le
jeudi 3 juin. Environ un million et demi de visionnages seront
effectués en moins de six jours. Sa publication sur la page
Youtube du
rabbin-journaliste et son repérage immédiat par un ami, le
blogueur neoconservateur
Sammy Benoit, seront aussitôt relayés par le site
Breitbart Tv qui propulsera le buzz. Détail intéressant, le
profil Youtube du réalisateur indique que celui-ci a crée sa
page en février 2009 mais a attendu ce mois de juin pour mettre
en ligne sa première vidéo, en l’occurrence la plus célèbre : la
minute d’entretien avec Helen Thomas.
Les reportages de Rabbi David
David Nesenoff ne s’attendait sans doute pas à
décrocher un tel scoop. Ou, plus exactement, il ne prévoyait
probablement pas que les déclarations, sommairement capturées,
d’une journaliste politique de 89 ans puissent devenir, sitôt
publiées, l’objet d’un tel scandale. Le propos -à savoir la
raison d’être de l’État d’Israël- et le contexte géopolitique
depuis le dernier
crime
de guerre opéré par l’armée israélienne expliquent
l’engouement de la classe politico-médiatique américaine pour
s’emparer de l’affaire. Une controverse locale sur
l’antisémitisme, rien de tel pour recouvrir le débat au sujet
des atrocités commises au loin par Israël.
Dans un
entretien accordé au site Showbiz 411, la nouvelle star du
journalisme citoyen expliqua qu’il était d’autant plus
surpris par les propos d’Helen Thomas qu’il arborait, lui-même
ainsi que son fils Adam qui l‘accompagnait alors, une kippa en
guise de signe ostentatoire. Le sous-entendu est explicite :
comment cette éminente journaliste a-t-elle pu oser tenir des
propos - rapidement taxés d’antisémitisme- face à des personnes
manifestement juives, et ce, à la sortie d’une cérémonie
officielle sur l’histoire nationale du judaïsme ?
La vidéo, d’environ une minute, s’est vue
accompagnée hier d’une nouvelle
version,
qualifiée de « complète » et d’une durée allongée à deux
minutes. Curieusement, alors que les propos de Helen Thomas
auraient été blessants selon le théologien, le ton de l’échange,
sur le moment, paraît davantage badin.
Surtout, la journaliste indique un élément
supplémentaire, absent de la vidéo originelle qui a fait le buzz
. A la question de David Nesenoff, soucieux de savoir si la
journaliste était « familière avec l’histoire de cette
région », Helen Thomas lui confirme sa connaissance du sujet,
lui révélant au passage ses origines arabes -en l‘occurrence
libanaises. S’ensuit alors un dialogue amusé sur le mode
« Oh, vous parlez arabe ? » et quelques mots dans cette langue,
échangés de part et d’autre. Un entretien conclu sur une note
complice, bien loin de l’effroi
affiché par le vidéaste depuis sa consécration médiatique
pour avoir débusqué une prétendue crypto-antisémite.
Neoconservatisme, nouveau macchartysme
L’accusation de judéophobie a été reprise en
chœur par la presse
américaine
et
israélienne comme si la notion
distinctive d’antisionisme,
à savoir la critique radicale de l’État d’Israël, n’avait jamais
existé, ni dans l’histoire des idéologies politiques ni même
au sein du monde
intellectuel
juif.
En France, c’est Libération qui a relayé l’opprobre avec
complaisance. Sous
la
plume
récurrente de Lorraine Millot, le quotidien, autrefois
attaché aux combats des peuples opprimés et à la liberté
d‘expression, valide sans sourciller la diffamation d’une
collègue politiquement incorrecte et pourtant
émérite de par sa
légendaire
pugnacité en conférence de presse. Il n’y a cependant pas
lieu de s’étonner de la mise au pas du journal quand son propre
actionnaire, Bernard-Henri Lévy, vient à la rescousse du
gouvernement Netanyahu, à travers une impudente
tribune, au point de sermonner le directeur de la rédaction,
Laurent Joffrin, et de fustiger l’emploi du qualificatif d’État
pirate, apparu en
Une
du journal pour désigner Israël.
A la manière d’un
Alain Finkielkraut ou d’une
Elizabeth Lévy, particulièrement engagés ces temps-ci pour
défendre à tout prix l‘État hébreu, l’indignation à géométrie
variable du philosophe
botuliste révèle quelque chose de nouveau : une crispation
idéologique qui trahit un aveuglement moral tout autant
qu’affectif. Le signe d’un raidissement de la part des derniers
thuriféraires d’Israël, indice inédit et révélateur, par
contraste, du tournant historique actuellement en cours : la
libération de la parole, partout à travers le monde, pour
dénoncer l’état d’exception, funeste vestige de l’histoire
coloniale, dont bénéficie impunément Israël. A l’instar de toute
démocratie
corrompue, le régime, installé depuis 1948 à Tel Aviv, n’est
désormais plus intouchable.
Hicham Hamza, journaliste
indépendant
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