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Oumma.com
La tranquille
impudence du CRIF
Hicham Hamza
Richard Prasquier
Vendredi 5 février 2010 Addition
salée pour la cohésion nationale. Mercredi soir, le Conseil
représentatif des institutions juives de France (Crif)
organisait son dîner annuel en présence de membres éminents du
gouvernement et de la classe politique. Une opportunité pour les
convives de goûter les sermons du président Richard Prasquier et
de savourer la finesse de ses injonctions.
The-place-to-be
: plus attrayant qu’une soirée caritative pour célébrités
désœuvrées, le rendez-vous annuel du dîner du Crif est devenu,
pour sa 25 ème édition, un moment incontournable de
la vie publique. Le 3 février au soir, ils étaient environ 800
invités, triés sur le volet, à vouloir en être et y paraître.
Acteurs politiques, décideurs économiques, personnalités
religieuses et sociétaires du spectacle se sont rendus à cette
cérémonie d’un genre particulier : celle durant laquelle, selon
ses organisateurs, la communauté juive délivre son message à la
République. Et peu importe aux convives si de plus en plus de
citoyens juifs contestent au Crif, comme nombre de leurs
compatriotes musulmans à l’endroit du Cfcm, toute légitimité
pour les représenter. Les jeux de rôles sont d’ores et déjà
attribués. Y compris dans
l’absence du
Parti
communiste et des Verts, coupables d’avoir
participé aux manifestations de soutien à Gaza pendant les
bombardements israéliens.
Avec un tel pouvoir reconnu par les
plus hautes autorités de l’Etat, dont Nicolas Sarkozy, de
passage « quelques instants », et François Fillon en
« invité d’honneur », le président Prasquier peut, dès lors,
énoncer, durant un discours-programme, ses exigences pour la
nouvelle année : une meilleure « surveillance »
d’Internet pour pénaliser davantage toute forme de « racisme
ordinaire », le rejet par la France d’un rapport onusien
dénonçant des crimes de guerre commis par Israël, la
reconnaissance tacite de Jérusalem comme capitale de l’Etat
hébreu et la recrudescence d’efforts pour libérer le soldat
Gilad Shalit. Ainsi, par exemple, pour convaincre l’auditoire de
la nécessité de renforcer le contrôle sur la Toile, le président
du Crif contesta l’authenticité de la
révélation journalistique, largement reprise sur
Internet depuis l‘été dernier, faisant état d’un trafic
d’organes en Israël à partir de corps de Palestiniens décédés.
Contre-vérité ou grossière erreur de la part de Richard
Prasquier puisque l’armée israélienne vient elle-même de
confirmer la
réalité d’une telle allégation.
Quant à la sempiternelle menace
iranienne, le propos belliciste a largement été amplifié par le
Premier ministre, François Fillon, qui avait curieusement
attendu le dîner du Crif pour annoncer, sur un ton martial,
l’initiative de la France pour réclamer d’éventuelles sanctions
plus fortes au travers d’une nouvelle résolution de l’Onu. C’est
le même Fillon, redevenu diplomate, qui qualifia de
« conflit » ou de « crise » l’agression israélienne
commise sur la population de Gaza en janvier 2009 avant de
reconnaître qu‘à ses yeux, la sécurité de l‘Etat hébreu était
une « priorité
absolue ». En aparté de ce discours rédigé, le
ministre de l’Intérieur, Brice
Hortefeux, interrogé par Public Sénat sur les causes du
nouveau regain de l’antisémitisme, évoqua, quant à lui,
l’explication des « événements de la plaine de Gaza »,
savoureuse expression que n’auraient pas renié les censeurs des
années 50 quand ils décrivaient, empreints de la même
délicatesse, les « événements d’Algérie ».
Ceci n’est pas du
communautarisme
Ne manquant pas de distribuer
également les bons points, le président du Crif se félicite que
le procès Fofana, qui doit reprendre en octobre, puisse
éventuellement « remplir sa
mission pédagogique » grâce à l’adoption
encourageante, le jour même de son allocution, d’une
proposition de loi en commission visant à
alléger la règle du huis clos en cour d’assises des mineurs.
De même que le souhait d’un appel par
le ministère de la Justice -pour condamner plus lourdement les
complices de
Youssouf
Fofana- avait été
exaucé
par Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, cet amendement à la
loi est réclamé, depuis le début de la procédure judiciaire, par
les avocats de la famille Halimi, en partenariat singulier avec
le Crif.
Attiser sociologiquement la peur
d’une montée de l’antisémitisme en France tout en reconnaissant
politiquement que la France n’est pas un pays antisémite : tel
est le grand écart stratégique auquel se plie, avec une
indéniable souplesse, Richard Prasquier depuis son arrivée à la
tête du Crif en mai 2007.
L’homme, qui se dit « immensément
satisfait »
d’avoir accédé à ses nouvelles fonctions en même temps que
le président de la République, ne nie pas son attachement
sentimental
à Israël, même s’il prétend demeurer « légitimiste » à
l‘égard de la France. Et loyal envers certains notables : quand
il s’agit de commenter la nouvelle saillie verbale de Georges
Frêche, l’intéressé préfère
passer l’éponge, jugeant que le truculent personnage,
bizarrement soutenu par la
Ligue de défense juive, n’est pas fondamentalement
antisémite. Outre cette clémence, Richard Prasquier sait
pratiquer la réciprocité en matière d’invitation comme en
témoigne la
venue de l’imam
controversé, Hassen Chalghoumi, qui a
hésité, dans un premier temps, à se rendre au gala du
Crif pour ne pas donner du grain à moudre à ses détracteurs.
Dieu merci, le religieux de Drancy qui souffre d’entendre des
voix tonitruantes à la mosquée, même en son absence de
l‘établissement, a reçu l’accolade du Premier ministre qui lui a
garanti « tout son soutien ».
Cette téméraire visite de l’imam aura
été peut-être judicieuse puisque elle aura permis au président
du Crif d’affiner sa culture générale en matière de culture
vestimentaire islamique : plus tôt dans la journée, sur
l’antenne d’Europe 1, pour commenter la présence d’une candidate
voilée sur une liste NPA aux élections régionales, Richard
Prasquier s’en amuse malicieusement - « Trotski doit s’en
retourner dans sa tombe ! »- mais se prend les pieds dans le
tapis de prière en confondant le foulard de la jeune femme avec
un « voile
intégral » -une « burqa », persévère, dans
l’erreur, le
communiqué sur le site du Crif. Emmailloté dans la toile
du niqab, Prasquier continue l’entretien mais se débat dans une
nouvelle confusion, ajoutant, sur le même ton sarcastique, que,
de toute manière, Olivier Besancenot « ne pourrait pas
exprimer ses idées en toute liberté à Gaza » . Que nul ne
s’avise de lui révéler que les Palestiniens, y compris à Gaza,
ont longtemps connu l’existence féconde d’une extrême gauche,
communiste et
trotskiste : le cardiologue de formation qu’est Richard
Prasquier, paraissant se représenter les Gazaouis comme
d’éternels islamistes enburqannés, pourrait bien en faire une
attaque.
Likoud serré
Le nouvel
élu du comité directeur du Crif, maître Gilles William
Goldnadel, va plus loin dans sa gratitude envers le chef de
l‘Etat : selon lui, Nicolas Sarkozy, qui s’est toujours déclaré
« inconditionnel
de la sécurité d’Israel », a réussi à « apaiser
la communauté juive ». Pour preuve de leur connivence,
Goldnadel indique avoir été personnellement invité par le chef
de l’Etat lors de sa visite officielle en Israël au cours du
mois de juin 2008 ; de plus, l’avocat, qui avait
défendu la journaliste islamophobe Oriana Fallaci, se
vante désormais d’avoir des lettres de soutien adressées par
Nicolas Sarkozy et Michèle Alliot-Marie dans sa lutte contre le
boycott des produits israéliens.
Nul étonnement si certains déplorent
en conséquence la dérive droitière que représenterait l’arrivée
de Goldnadel et de ses comparses au comité directeur du Crif,
traversé depuis quelque temps par des fortes
dissensions en son sein. Ces dernières années ont vu
apparaître une forme inédite de repli
identitaire au sein de la communauté juive,
particulièrement parmi les plus
jeunes. Des intellectuels vont même jusqu’à dénoncer
cette crispation idéologique : ainsi, le journaliste Jean Daniel
n’hésite plus à comparer les responsables actuels du Crif à des
« représentants français du
Likoud » tandis que Rony Brauman et Elizabeth Lévy,
pour une fois d’accord, qualifient cette institution de
« seconde
ambassade d’Israël ».
Même le philosophe Alain Finkielkraut, surnommé
jadis « le porte-flingue d’Ariel Sharon », semble
pourtant, lui aussi, excédé quand il en vient à juger comme
étant « légèrement grotesque » le rendez-vous annuel du
Crif, ce « tribunal
dînatoire » qui s’apparente à une « convocation du
gouvernement ». Des jugements sévères de la part de
personnalités de l’intérieur, d’ordinaire plus
accommodantes avec leurs représentants autoproclamés. La
nouvelle direction du Crif, qui prétend incarner une
« libération intellectuelle », laisse redouter de prochains
raidissements idéologiques ainsi que l’accroissement des
rivalités internes, et ce, particulièrement au regard de
l’échéance, au mois de mai, de la réélection pour la présidence
du Conseil.
Mais, pour le moment, Richard
Prasquier peut continuer sereinement de pavoiser et de conclure
ses discours sur une note lyrique, comme à la fin de cette
cérémonie communautaire et anti-communautariste, où il
rappelle que le Crif se définit comme un organisme « juif,
républicain et français ». Dans l’ordre de ces
qualificatifs. A l’heure où les musulmans de France sont
de plus en plus sommés de démontrer, d’abord et avant tout, leur
« identité nationale », leur rejet de la
burqa,
du verlan et de la casquette portée à l’envers, sans doute
sera-t-il salutaire d’affirmer - à qui de droit - les paroles
d’un homme revenu de l’horreur surgie au cœur d’une Europe dite
des Lumières : Primo Levi, rescapé d’Auschwitz. Toute personne
porteuse d’une quelconque identité stigmatisée pourrait
s’inspirer, dans la résistance, de son propos, et y reconnaître
une résonance familière, fraternelle, universelle : « Je
suis juif parce que le sort a voulu que je naisse juif. Je n’en
rougis pas et je ne m’en glorifie pas. Être juif pour moi, c’est
une
question
d’« identité », une « identité » à laquelle, je dois le
préciser, je n’ai pas l’intention de renoncer ».
Publié le 6 février
2010 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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