Opinion
La Tunisinistrose
Hedy
Belhassine
L'une des
victimes de l'agression perpétrée des
takfiristes, avant-hier, à Bizerte
Photo: Kapitalis
Samedi 8 septembre
2012
Quand dans Le
Canard enchainé Claude Angeli, maître de
la profession, évoque le risque de
guerre civile, ce n’est pas pour faire
sourire ses lecteurs.
Quand Laurent Joffrin, du Nouvel Obs
dénonce l’offensive du fascisme vert,
c’est qu’il craint l’irréversible.
Quand Yadh Ben Achour, sommité de
l’université prédit :« si cela continue,
même le bon Dieu ne voudra plus de la
Tunisie ! », il traduit la rage et la
désillusion de la population.
La Tunisie est en plein désarroi.
A Mahdia, deux
petits gars écervelés dénigrent le
prophète sur la toile. Un voisin
grincheux dépose plainte : procès, 7 ans
de placard ! L’un des comparses a pris
la fuite, il vient d’obtenir l’asile
politique en …Roumanie. Pour les anars
de Tunisie, le vent est chaud !
Pour les artistes aussi. Une sculpteuse
et un peintre aux œuvres pertinentes
attendent sans grand espoir que la loi
de la révolution abolisse l’article du
code pénal qui risque de les emprisonner
pour cinq ans.
A Redeyef, ville
minière du Sud Ouest, la population se
débarrasse des édiles. Maire, délégué,
commissaire, juge…allez oust dégage ! Le
commandant de la garnison et ses hommes
- qui ne se mêlent jamais des affaires
civiles - sont épargnés. Comme au bon
vieux temps d’avant la colonisation, les
familles de notables ont repris les
affaires publiques en main. La justice
n’est pas contestée, pas plus que les
décisions délibérées par la communauté
des gens de bon sens.
A Bizerte Jamal
Gharbi conseiller régional français de
la Sarthe venu bronzer sur sa terre de
naissance se fait agresser par des
bipèdes barbus au seul motif qu’il est
binational, donc traître, donc apostat.
Indifférents, les passants scrutent le
ciel et la police fait la circulation.
L’élu s’en tire avec des contusions et
un œil au beurre noir. Paris proteste
énergiquement. - Il est en effet
inadmissible qu’un Français soit ratonné
par des Arabes ! C’est le Monde à
l’envers ! - La Tunisie présente des
excuses poliment. Ouf ! La seconde
guerre de Bizerte n’aura pas lieu.
A Tunis, un
collaborateur du Président de la
République est traduit devant un
tribunal militaire pour avoir osé
critiquer la posture déloyale de la
chaîne de commandement. L’empêcheur de
tourner en rond dénonce aussi la
connivence entre les vieux chefs
militaires et les jeunes ministres
islamistes. L’individualisme prime sur
l’intérêt national, dit-il avant de s’en
retourner outre mer vers son travail
d’immigré désappointé.
A la Chebba, la
population se soulève. Le poste de
police est assiégé, la permanence du
parti islamiste Ennahdha est incendiée.
Nuit d’émeute. Au petit matin, la troupe
cerne la ville. Indifférents aux
désordres, trois pochetrons étendus sur
la plage finissent de lichetrogner une
caisse de bière en grignotant des
graines de melon. En silence, le regard
fixé vers le large. « Immolation ou
noyade ? That is the question ! »
A la Hencha et
Agareb, les hommes s’assemblent dans les
oliveraies centenaires, à l’abri des
haies de cactus. Assis sur leurs talons,
ils font cercle autour d’un vieux qui
raconte l’épopée de Farhat Hached et de
Hedi Chaker. Le thé rouge est épais.
Entre deux aspirations du liquide
brûlant les mots sont lourds
d’allusions. Les Sfaxiens sont secrets,
laborieux, patriotes. Aucune page de
l’histoire de la Tunisie ne s’est jamais
écrite sans eux.
A l’Ariana, à un
feu rouge, une jolie femme le coude à la
portière se fait insulter par deux
salafistes : « tu n’as pas honte de
t’exposer en cheveux ! Créature du
diable, va te voiler ! » La fille au
sourire imperturbable fouille dans son
sac, descend de voiture et asperge les
olibrius avec un aérosol pas plus grand
qu’un tube de rouge à lèvres. Concert de
klaxons, applaudissements, l’héroïne qui
a mis en fuite les barbus larmoyants est
chaleureusement félicitée.
En Tunisie, tout
est surprenant, tout est inquiétant.
L’air est mauvais. Les vendeurs de
jasmin ont disparu. Les rues sont
silencieuses. La diseuse de bonne
aventure ne passe plus, le rémouleur
aiguiseur de couteaux non plus. Seul le
vendeur de figues de barbarie a survécu.
Le présage n'est pas bon. Même la libido
des machos est morose, au point que le
gouvernement islamiste –sans doute
alerté par la Ministre de la femme
complémentaire - vient contre toutes
attentes d’accorder l’autorisation de
vente du Viagra.
Le pays de la joie
de vivre sombre de jour en jour dans la
sinistrose. Les blagues tombent à plat.
Le rire et la dérision se pratiquent
sous le burnous ou à l’abri de
l’ordinateur devant les messages et les
dessins hilarants de « Z », blogger aux
multiples talents qui demeure résolument
anonyme. Un sage ! Allez sur son site
Debatunisie.com Et aussi pour
comprendre, sur Fhimt.com
Mais rassurons les
tour-opérateurs et les estivants ; le
pire est incertain, la guerre civile est
improbable car on annonce l’inauguration
du premier McDo. (Hallal bien sûr !)
Or, de mémoire de géo-stratège, la seule
fois où des coups de feu ont été tirés
aux abords de l’enseigne du clown Ronald
Mc Donald, c’était au Kuwait en 1990.
Les Irakiens s’en souviennent encore.
Les Américains aussi.
Alors, il faut confiance garder. Le
Pentagone saura préserver le Big Mac
tunisien des noyaux d’olives. Inch’Allah
!
Le sommaire de Hedy Belhassine
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|