Tunisie
Tunisie :
Chronique d'une crise générale annoncée
!
Hédi Sraieb
Mercredi 19 décembre 2012
Que
pensent nos politiques des risques de
big-bang économique, dont les signes
avant-coureurs sont déjà bien présents?
Les uns pourront dire qu'ils ont fait de
leur mieux, quand les autres diront
qu'ils ne savaient pas...
Par
Hédi
Sraieb*
Le landernau politique tunisois, le
gouvernement, la constituante, les
partis, et l'essentiel des médias
restent obsédées et obnubilés par les
questions sociétales et celles des
institutions. Ces interpellations en
direction du corps social concentrent
l'essentiel des controverses et des
conflits. Elles traduisent aussi à leurs
manières les mouvements d'une opinion
publique tiraillée, déchirée, et
reflètent enfin, et par la même, des
rapports de forces instables et
incertains d'une lutte pour le pouvoir.
Rarement mais occasionnellement, comme
une sorte de «réplique» du
séisme originel, la question sociale, ou
plus exactement la chose économique,
resurgit, détonne et déborde quelques
jours durant. Pas plus!
Désertion
face à la lancinante question économique
Depuis le 14 janvier 2011, mais aussi
depuis la formation d'un gouvernement
dit de transition, jamais la question
économique n'aura véritablement «réussi»
à s'imposer en tant que telle dans le
débat politique. Si les secousses
compulsives des régions délaissées
reviennent bien se rappeler au bon
souvenir des politiques, leur traitement
est relégué à plus tard.
Admettons le postulat qu'à la suite
de circonstances exceptionnelles, telle
une révolution, l'économique dépende
dans son devenir, comme dans ses
contours futurs de la définition du
nouveau «politique»
(organisation de la cité). Primat du
politique sur l'économique, soit!
Il n'en reste pas moins vrai aussi
que durant tout ce temps, les «lois»
économiques héritées continuent à
produire leurs effets, autrement dit que
les logiques, les mécanismes, les
dynamiques ont toujours cours. Et c'est
bien là le problème! Une vraie désertion
face à la lancinante question
économique! Au mieux une politique de
l'autruche. Explications.
De manière invisible et sans crier
gare, de puissants mécanismes
(indépendants des volontés), travaillent
en profondeur le pays, et dont les
politiques et l'opinion publique ne
retiennent le plus souvent que les
phénomènes les plus immédiatement
visibles, interprétés de manière isolée
les uns des autres (inflation, recul de
l'investissement, déficits...).
Je fais ici l'hypothèse que la sphère
politique, au sens le plus large, son
intelligentsia et son élite
technicienne, ont en commun une
véritable méconnaissance de la «chose»
économique. Plus exactement, je suppute
une absence de véritable de culture
économique, autre que celle dominante
des trente dernières années.
De fait, la classe politique prise
dans son ensemble n'entrevoit pas les
tendances de fond, les dérives
économiques qui sont à l'œuvre, qui se
développent, et s'accélèrent
insidieusement. La puissance de ces
mécanismes est telle que les seules
actions classiques de l'Etat
(budgétaire, monétaire, réglementaire)
n'y suffisent plus et sont proprement
inaptes à les endiguer, tout au plus à
les différer provisoirement!
Les signes
avant-coureurs de la catastrophe
Insistons encore! Les comportements
collectifs de production, d'échanges, de
consommation si profondément ancrés ne
se modifient bien évidemment pas par un
discours sermonnant, une directive
budgétaire ou encore par un décret de la
banque centrale.
Le
gouverneur de la Banque centrale de
Tunisie (Bct) s’échine à alerter
sur ce qu’il croit être une solution: 96
jours d’importations
Les partis au pouvoir comme une
grande fraction de son opposition ont en
commun de «croire», dur comme fer, que
l'Etat, dans toute la plénitude de «ses
moyens», est en mesure de stopper
une détérioration de la conjoncture
(perçue et traitée comme telle), alors
qu'il s'agit en réalité d'une lame de
fond structurelle, d'une déferlante
irrésistible, engendrée par des
processus collectifs, le plus souvent
inconscients, les «déterminismes
socio-économiques».
S'il y a bien une perception de
l'aggravation du déficit public, de la
détérioration de notre balance
commerciale, du solde négatif des
opérations courantes, ils sont perçus
indépendamment, sans effets les uns sur
les autres.
De fait, rien n'indique, il est vrai,
un quelconque franchissement de seuil,
au-delà duquel une véritable catastrophe
pourrait surgir. Un seuil, dont bien
sûr, nul n'a idée, mais qui viendrait en
quelque sorte se cristalliser sur un
abcès de fixation de circonstance, tels,
une crise d'approvisionnement, un défaut
de paiement majeur, que sais-je encore?
Il ne s'agit pas ici, de jouer les
oiseaux de mauvais augures ou de se
livrer à une quelconque et spéculative
prédiction auto-réalisatrice. Mais les
signes sont là!
Nonobstant cette lecture, qui m'est
propre, d'une possible catastrophe
annoncée, on voit bien que le gouverneur
de la Banque centrale de Tunisie (Bct)
s'échine à alerter sur ce qu'il croit
être une solution: 96 jours
d'importations, dit-il, il nous faudrait
revenir à 110 ou 115. Il sollicite les
détenteurs de comptes professionnels en
devises, afin qu'ils veuillent bien
céder une partie de leur surplus. Le
feront-ils? De son côté, le ministre par
intérim des Finances n'est pas en reste,
en faisant en sorte que les promesses
d'aide se transforment vite en dépôts
auprès de la Bct. Mais les bailleurs de
fonds le feront-ils? Pour combien de
temps? Fitch, Standard & Poor's
veillent!
Des élites
politiques conscientes et dupes à la
fois
Tout ce petit monde – grands commis
de l'Etat inclus – qui n'a de cesse de
s'agiter; ici afin d'assurer la
liquidité d'un système bancaire au bord
de l'asphyxie mais alimentant les
poussées inflationnistes, là un ministre
du Tourisme qui tente de sauver une
hôtellerie en grande détresse mais
responsable à son tour d'une large part
des créances douteuses de ce même
secteur bancaire, ou là encore de
nouvelles autorisations d'importer pour
combler des pénuries artificielles, mais
du même coup qui aggravent le déficit,
l'inflation importée, et la perte de
valeur extérieure de notre monnaie.
Conscients et dupes tout à la fois,
voilà le constat affligeant que l'on
peut faire des élites politiques du
moment.
Le gouverneur sait bien que les 96
jours auxquels il se réfère ne sont
qu'une moyenne glissante, alors que les
derniers chiffres nous situent autour de
85. Le ministre du Commerce sait bien
aussi que le seuil des 10 milliards du
déficit extérieur vient d'être franchi
et qu'il est en réalité proche de 11
milliards aux dernières nouvelles. Tous
savent qu'en dépit d'un timide
resserrement du crédit, la demande de
produits importés de biens
intermédiaires, comme de luxe ou de
confort, ne risque pas de cesser de
sitôt.
Bien trop compliqué et de surcroît
politiquement dangereux, selon toute
vraisemblance.
Que dire encore de l'imperceptible
dégradation des balances énergétique et
alimentaire, de la lente décélération
des recettes touristiques et des revenus
du travail (immigrés), toutes choses,
qui ne trouvent pour l'heure que des
solutions de fortune, celles de pousser
plus avant les contradictions mêmes de
notre système, par des colmatages
provisoires de nouveaux emprunts!
Les divers ministres savent bien que
favoriser cette «fameuse» croissance ne
serait-ce que d'1 point supplémentaire
provoquera mécaniquement 1,4 points
d'importations de plus, et ne se
traduira, dans les meilleurs des cas,
que par seulement 15.000 emplois
supplémentaires. Une aggravation
irrésistible du chômage et du
sous-emploi en vue.
Un enchevêtrement de contradictions
jugé pour l'heure inextricable par
ignorance induite de l'usage répété de
schèmes préconçus inopérants, ou par
absence réelle de volonté. Alors on peut
raisonnablement se demander ce que
«pensent» nos politiques de ces
risques diffus mais bien présents de
big-bang? Mais, il est vrai toutefois,
que les uns pourront dire qu'ils ont
fait de leur mieux, quand les autres
diront qu'ils ne savaient pas!
* Docteur d'Etat en économie du
développement.
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Publié le 19 décembre 2012 avec
l'aimable autorisation de Kapitalis
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