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Le « système » Leconte
Guillaume Weill-Raynal
Lundi
17 septembre 2007
« Ces musulmans qui disent non à
l’islamisme ». C’était le sujet de la Thema diffusée
par ARTE, mardi 28 août : une soirée composée de deux
reportages et d’un débat, co-parrainée par Charlie Hebdo et
Libération dans les locaux duquel le rédacteur en chef, Laurent
Joffrin, recevait les invités composant le plateau. Une consécration,
en somme, pour Daniel Leconte qui animait lui-même le débat.
Voilà plusieurs années que sa société Doc en
Stock produit et fournit clés en main à ARTE des soirées complètes,
diffusées un mardi par mois. De curieuses soirées, au thème
toujours très orienté, qui fonctionnent en tandem avec la
collection du même nom – Doc en Stock - que dirige le même
Daniel Leconte aux Editions La Martinière.
Les livres qui y sont publiés ne sont souvent que
de simples doublons des reportages précédemment diffusés sur
ARTE. On s’interdirait de prononcer les mots agent d’influence
si un tel système n’y faisait inévitablement penser. Une mécanique
bien huilée, alliant avec un art consommé de l’amalgame,
journalisme indigent et malhonnêteté intellectuelle.
Partant d’une évidence à laquelle il est
difficile de ne pas adhérer, la soirée du 28 août n’a pas dérogé
à la règle. Personne, aujourd’hui, sauf les islamistes eux-mêmes,
ne dit oui à l’islamisme. Mais les reportages de cette Thema
nous ont présenté ces musulmans qui disent non comme des héros
isolés, de véritables exceptions.
Bienveillant en apparence, l’intitulé de la
soirée ouvrait la porte, à lui seul, aux pires confusions.
C’est dans cette ouverture biaisée que s’est engouffré le
premier reportage, « Un homme en colère », entièrement
consacré au très douteux et très controversé Mohamed Sifaoui.
Antoine Vitkine qui signe ce reportage (fidèle
collaborateur de Daniel Leconte, il réalise des films pour Dock
en Stock et écrit des livres pour la collection du même nom. Il
collabore aussi à la revue néoconservatrice Le meilleur des
mondes) s’est bien gardé de procéder à une véritable enquête.
On aurait aimé savoir, par exemple, quel regard
portent sur l’islamisme les dizaines de milliers de français
musulmans issus des classes dites moyennes et supérieures. Au
lieu de cela, donc, un portrait hagiographique de Mohamed Sifaoui.
Ce journaliste algérien qui vit en « exil »
à Paris (malgré ses liens avérés avec les plus hautes autorités
militaires de son pays) s’est fait connaître du grand public au
début de l’année 2003 par un reportage diffusé sur France 2,
suivi d’un livre dans lesquels il prétendait avoir « infiltré »,
au péril de sa vie une cellule d’Al Quaïda.
Les incohérences, pourtant flagrantes, de son
« enquête » n’ont pas été suffisantes pour déboulonner
de son piédestal le héros qui, encore aujourd’hui, bénéficie
de l’indéfectible soutien de Philippe Val et Caroline Fourest.
Entre autres.
Vitkine et Leconte n’ont pas souhaité sortir de
ce sensationnalisme facile. Devant la caméra, le maître espion
donne un échantillon de son savoir-faire. Planqué dans un
appartement, il observe en contrebas une courette où vont et
viennent quelques hommes barbus qui pénètrent dans le local
d’une association « qui se présente comme simplement
culturelle », nous dit Vitkine.
Grâce à un système d’écoute et à sa
connaissance de la langue arabe, Sifaoui nous livre la traduction
du prêche qui se dit à l’intérieur : « Les ennemis
de l’Islam iront en enfer ». Commentaire de Vitkine :« Pas
de doute : il s’agit d’une mosquée clandestine salafiste ».
On se croirait chez Hergé. Retour au bureau de Sifaoui qui découvre
sur sa messagerie des mails d’insulte « et même, une
menace de mort ».
Un peu plus tard, Sifaoui répond à
l’invitation de la LICRA de participer à un colloque sur la
montée de l’islamisme en Europe. Tandis qu’il parle à la
tribune, « le public ne s’aperçoit de rien, mais ses
gardes du corps sont de plus en plus tendus ». Car au
balcon, « deux hommes » sont en train de filmer… Les
gardes du corps voient partir les deux individus sans les avoir
identifiés. « Ils ne sauront jamais s’ils étaient
vraiment dangereux. Pour Mohamed Sifaoui, la tension est
permanente »
Cette entrée en matière pourrait faire sourire
si elle n’était, en réalité, le premier volet d’un amalgame
bien construit que nous révèle la suite du film : Sifaoui témoigne
à présent en faveur de Philippe Val, Directeur de Charlie Hebdo,
au procès des « caricatures de Mahomet ». Au sortir
de la salle d’audience, il rend compte à chaud de sa déposition
devant une forêt de micros et de caméras : « Mes
tripes ont parlé. J’ai vu mes confrères qui ont été happés
par le terrorisme islamique ».
Présente à l’audience, Caroline Fourest, donne
aussi son sentiment : « ceux qui acceptent la critique,
j’en connais pas beaucoup. Y’en a pas beaucoup, comme Mohamed ».
Un mois après, Mohamed est dans l’avion. Il se rend au
Danemark. « Il a rendez-vous avec Ibrahim le Syrien et Fathi
le Palestinien. Ils organisent un rassemblement de démocrates
musulmans. Un événement inédit », explique Vitkine.
On s’est comme légèrement éloigné de
l’islamisme. Les Turcs, les Palestiniens et les centaines de
milliers d’électeurs français musulmans apprécieront sûrement.
Mais il n’est pas certain que la suite de cette soirée (un
reportage érudit sur Mohamed et les femmes permettant de se dédouaner
à bon compte du soupçon d’islamophobie et un débat de trente
minutes pré-formaté et animé par Leconte faisant office de
cerise sur le gâteau) aura permis aux spectateurs d’ARTE d’y
voir plus clair.
Cet article que nous publions dans son intégralité
est paru dans une version légèrement écourté pour des raisons
de place dans l’excellent hebdomadaire Politis
(numéro 966).
Guillaume Weill-Raynal est avocat. Il est l’auteur
d’Une haine imaginaire (2005) et des Nouveaux Désinformateurs
(2007), parus aux éditions Armand Colin.
Voir
son entretien avec Fériel Berraies Guigny.
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Publié le 18 septembre avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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