Irak
Kurdistan : Nouri
al-Maliki sur le sentier de la guerre
Gilles Munier
Gilles
Munier
Samedi 5 janvier
2013
(Afrique Asie – janvier 2013)
Le torchon brûle depuis longtemps entre
le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki
et Massoud Barzani, président de la
Région autonome du Kurdistan qui
revendique Kirkouk, une série de
territoires où les Kurdes seraient
majoritaires, ainsi que la liberté
d’exploiter les ressources pétrolières
du Kurdistan.
La tension s’est accrue quand Barzani a
accueilli le vice-Président sunnite
Tariq al-Hachemi, accusé de diriger des
«
brigades de la mort », et refusé, en
avril 2012, de le livrer à la justice
irakienne*. Elle est montée d’un cran
quand Hussein al-Sharistani,
vice-Premier ministre irakien pour
l'Energie, a menacé de bloquer les 17%
du budget fédéral alloué au Kurdistan si
le Gouvernement Régional Kurde (GRK)
continuait de signer des contrats de
prospection avec les compagnies
pétrolières étrangères. En juillet 2012,
le ministre s’est même engagé à
«
punir » celles qui interviendraient
sans l’approbation du gouvernement
central. La crise s’est soldée un mois
plus tard par un accord de façade
permettant à Maliki de ne pas perdre la
face. Mehmet Sepil, directeur exécutif
de la compagnie turque
Gemel Energy, a résumé la situation
en une phrase :
«
Bagdad a perdu la bataille du pétrole et
du gaz naturel dans le nord de l’Irak…
La question est de savoir quand il
l’admettra ». En attendant, le GRK
exporte toujours
«
illégalement » du brut dans les pays
voisins, et les majors –
ExxonMobil, Chevron, rejointes par Total
et Gazprom - poursuivent leurs
explorations comme si de rien n’était.
La construction d’un pipeline kurde vers
la Turquie est même à l’étude
Les Forces Dijla
La réponse de Nouri al-Maliki ne s’est
pas faîte attendre. Durant l’été, il a
constitué un corps militaire à sa
dévotion : les
Forces Dijla (Tigre), regroupant les
groupes d’intervention des ministères de
l’Intérieur et de la Défense
(qu’il dirige en fait indirectement !)
avec les unités de police des provinces
de Kirkouk, de Diyala et de Salaheddine.
A la tête de la nouvelle structure, il a
nommé le lieutenant-général Abdulamir
Zaidi, un turkmène aussitôt accusé –
sans preuve - par Mahmoud Sangawi,
haut responsable militaire de l’Union
Populaire Kurde (UPK), d’avoir
participé à la campagne de répression
Anfal, sous Saddam Hussein.
Massoud Barzani a dénoncé la décision
prise par Maliki comme portant atteinte
à la constitution et notamment à son
article 140 qui prévoit un referendum
pour décider de l’avenir de la ville et
des champs pétrolifères qui l’entourent.
L’organisation de ce scrutin s’est
révélée impossible en raison des
transferts de populations organisés
depuis 2003 par le GRK pour supplanter
les Turkmènes et les Arabes dans les
territoires disputés. Jalal Talabani,
Président de la République, a alors
déposé un projet de loi abrogeant les
décrets du
Conseil de Commandement de la Révolution
(CCR) fixant les frontières
administratives des provinces après
1968, et proposant de rétablir celles
qui existaient avant. Pour l’opposition,
son adoption mettrait le feu aux
poudres.
Sans attendre le vote de la loi au
Parlement, Massoud Barzani a créé la
Force Hamrin –
du nom d’une chaîne montagneuse située
en bordure du Kurdistan - regroupant
le ministère des Peshmergas, les
services secrets des deux principaux
partis au pouvoir -
PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) et
UPK –, et la police de Kirkouk. Le
16 novembre dernier, un accrochage entre
les
Forces Dijla et la milice de l’UPK a
fait un mort et 13 blessés à Tuz
Khurmatou, ville à majorité turkmène. Le
11 décembre, Barzani en tenue militaire
a inspecté les troupes stationnées à
Kirkouk, et s’est déclaré
«
prêt à se battre pour préserver
l’identité kurde » de la ville. Le
18, les Peshmergas ont fait feu sur un
hélicoptère des
Forces Dijla filmant leurs
positions. Aujourd’hui, le risque de
déclenchement d’une nouvelle guerre
arabo-kurde est tel que, selon l’agence
iranienne
Press TV, les Etats-Unis auraient
envoyé discrètement du Koweït 3 000
GI’s réoccuper les bases de Balad
(province de Salaheddin), et d’Al-Assad
(province d’Al-Anbar). Jalal
Talabani -
79 ans et dans un état de santé critique
– joue un rôle modérateur,
qu’adviendrait-il s’il vient à
disparaître ou se trouve dans
l’incapacité d’exercer ses fonctions ?
Fatwa anti-guerre
A la demande, notamment, de Ali Hussein,
député kurde faili -
c'est-à-dire chiite –, des membres
de la
Hawza de Nadjaf –
la plus haute autorité religieuse chiite
duodécimain en Irak - ont déclaré
que le déclenchement d’une guerre
arabo-kurde est
haram, interdite par l’islam.
Ceux qui ne tiendraient pas compte de
cet avis et qui tomberaient au combat,
ne seraient pas considérés comme des
martyrs. L’ayatollah Hussein Ismail al-Sadr,
neveu de Grand ayatollah Muhammad Baqir
al-Sadr, exécuté en avril 1980 sous
Saddam Hussein, a rappelé que son oncle
avait édicté une fatwa allant dans ce
sens.
Le Grand ayatollah Ali Sistani,
principal
marja de la
Hawza de Nadjaf, a recommandé
«
la patience » au gouvernement, et
d’éviter à tout prix un
«
bain de sang ». Seulement voilà,
Nouri al-Maliki a un autre agenda. Sa
seule chance d’être réélu en 2014 passe,
selon ses conseillers, par une guerre
qui ferait de lui le défenseur de
l’unité du pays.
* La poudrière de Kirkouk menace
d’exploser
(Afrique Asie – juillet 2012)
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© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 6 janvier 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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