Irak
Irak: La poudrière
de Kirkouk menace d'exploser
Gilles Munier
Gilles
Munier
Mardi 3 juillet 2012
Par Gilles Munier (Afrique
Asie – juillet 2012)
Massoud Barzani,
président de la Région autonome du
Kurdistan, a pris la tête de
l’opposition irakienne en déclarant
l’Irak « au bord du gouffre » et
en accusant le Premier ministre Nouri
al-Maliki de monopoliser le pouvoir.
Depuis octobre 2011, suite à la
signature d’un contrat autorisant
ExxonMobil à prospecter six champs
pétroliers dans sa région, il ne rate
aucune occasion de déclarer que Maliki
nourrit des ambitions dictatoriales. Il
juge à juste titre « inacceptable »qu’un
Premier ministre soit à la fois «
ministre de la Défense, ministre de
l'Intérieur, chef des renseignements et
commandant en chef des forces armées
».
Mais, renverser
Maliki démocratiquement n’est pas une
mince affaire. En visite aux Etats-Unis,
en avril dernier, Barzani a comparé la
présence d’Exxon au Kurdistan à
celle de plusieurs divisions militaires
américaines et dit qu’elles, au moins,
ne se retireraient pas sur un coup de
fil du Pentagone ! (1) Il a salué
la création d’un US-Kurdistan
Business Council. Ce consortium est
présidé par le général James Jones,
ancien conseiller à la sécurité
nationale de Barack Obama, très apprécié
des Barzani. Il commandait l’unité de
Marines envoyée au Kurdistan en
avril 1991 pour soutenir les
peshmergas aux prises avec l’armée
irakienne, dans le cadre de l’opération
Provide Comfort.
La carte du
nationalisme
Dès son retour de
Washington, Barzani a confirmé son refus
de livrer à Bagdad le vice-Président
irakien Tarek al-Hashemi sous le coup
d’un mandat d’arrêt irakien pour
terrorisme et a annoncé la tenue d’une
réunion de dirigeants irakiens à Erbil
pour « sauver» le pays et adopter
des « solutionsradicales ».
Résultat : quelques jours plus tard,
Iyad Allaoui – chef du bloc Iraqiya,
majoritaire aux dernières législatives
- Moqtada al-Sadr et Oussama al-Nujafi,
président du Parlement, ont lancé un
appel réclamant plus de démocratie dans
la gestion du pays et ont demandé à
Nouri al-Maliki de ne pas briguer un
troisième mandat en 2014. Se doutant de
la réponse, ils tentent depuis de réunir
suffisamment de députés pour mettre le
chef du gouvernement en minorité au
Parlement. Sans succès.
Fin manœuvrier,
Nouri al-Maliki a contre-attaqué en
jouant la carte du nationalisme irakien.
Il a convoqué un Conseil des ministres à
Kirkouk pour déclarer la ville irakienne
et a exigé le départ des forces non
officielles, autrement dit des milices
kurdes et du Parastin, service
secret dirigé par le fils aîné de
Barzani, Masrour. Sous prétexte
d’assurer la sécurité de la réunion,
évidement boycottée par ses ministres
kurdes, il a ordonné le déploiement de
forces anti-terroristes venues de
Bagdad, disposant d’armement lourd et
d’hélicoptères. Elles y sont toujours.
L’opération lui a
permis de diviser ses détracteurs arabes
sunnites. Necmeddin Kerim, gouverneur
membre de l’UPK de Jalal Talabani, et
Turan Hasan Bahaa Eddin, président
turkmène de l’Assemblée provinciale, lui
ont réservé un accueil qui n’était pas
uniquement protocolaire. Aujourd’hui,
plusieurs membres du Front Turkmène,
ayant soutenu la liste Iraqiya
aux élections de 2010, ont l’impression
qu’Iyad Allaoui les a « vendus »
aux Kurdes en échange du soutien de
Barzani dans sa querelle avec Maliki.
Le 13 mai dernier,
nouvelles provocations de Maliki :
interrogé par une radio privée, il a
déclaré que l’article 140 de la
Constitution qui prévoit un recensement
et un référendum à Kirkouk pour décider
de l’avenir de la province, est l’œuvre
d’un « ignorant ». Puis il a fait
courir le bruit q’une rencontre secrète
entre Barzani et Allaoui, avait
débouchée sur un accord permettant aux
Kurdes d’annexer Kirkouk et la plaine de
Mossoul.
Fin mai, Al-Dawa,
le parti de Maliki, a accusé le
Kurdistan de complicité avec Israël,
produisant un rapport iranien certifiant
que le commando du Mossad ayant
assassiné des scientifiques nucléaires
avait pénétré en Iran par le nord de
l’Irak. Une liste d’agents locaux était
jointe au document. Quelques semaines
plus tôt, Hussein al-Sharistani,
vice-Premier ministre chargé de
l’Energie, avait dénoncé la contrebande
de pétrole entre le Kurdistan et Israël
via le port jordanien d’Aqaba.
Bombarder Erbil
Depuis 2003, le
partage des ressources pétrolières de la
province de Kirkouk est remis en cause
régulièrement. Les attentats d’Al-Qaïda
et d’Ansar al-islam et les exécutions
ciblées se succèdent. Le recensement de
la population, préalable à une
consultation électorale, est sans cesse
repoussé. Les litiges résultant de
l’arabisation de la région sous Saddam
Hussein – déplacements de population,
terres confisquées - sont loin
d’être résolus. Sur les 250 000
habitants supposés avoir été expulsés
par le régime baasiste, seuls 38 000
dossiers ont été déposés depuis 2003. En
2011, on estimait à 5 000 le nombre de
cas réglés. Comment pourraient-ils
l’être puisque les dirigeants kurdes
refusent de démolir les maisons
construites par les colons kurdes sur
des terres ne leur appartenant pas ? En
revanche, les bâtiments « illégaux »
appartenant aux minorités locales sont
détruits sans discussion. La démolition
d’une Husseiniyah - lieu de culte
chiite - dans un quartier turkmène a
provoqué deux jours d’émeutes, au point
que l’opération a été suspendue.
Massoud Barzani et
de nombreux hommes politiques irakiens
pensent que Nouri al-Maliki est capable
de tout s’il est mis en minorité au
Parlement. Kirkouk et son pétrole se
retrouveraient alors au cœur d’un
conflit sanglant. En avril, en
conférence de presse à Washington, le
chef kurde a raconté qu’en réponse à des
officiers irakiens lui suggérant de
bombarder Erbil, Maliki a répondu : «
Attendez l’arrivée des F-16» ! Dix
huit avions de chasse sont en effet en
attente de livraison. Barzani, Israël et
le Koweït voudraient bien qu’Obama
suspende leur remise. L’annonce qu’ils
ne seront pas armés de missiles de
dernière génération ne suffit pas à les
rassurer. Arshad Salhi, président du
Front turkmène a demandé, début
juin, le déploiement d’une force de
sécurité de l’ONU pour protéger la
population. Le mieux, dit-il, serait de
déclarer l’article 140 nul et non avenu
et de rechercher un compromis
satisfaisant Erbil, Bagdad… et les
habitants de Kirkouk. Avant qu’il ne
soit trop tard…
(1) Massoud
Barzani a sans doute raison de comparer
la présence d’Exxon au Kurdistan
à celle de plusieurs divisions
militaires américaines et de dire
qu’elles, au moins, ne se retireraient
pas sur un coup de fil du Pentagone.
Selon l’International Herald Tribune
(12/6/12), la compagnie pétrolière
américaine gère « une des plus
grandes opérations de lobbying de
Washington, avec une vingtaine
d’ex-sénateurs, de députés et de
conseillers juridiques travaillant comme
ses employés… comme elle opère dans 200
pays ou territoires, on peut dire
qu’elle a sa propre politique étrangère,
qui diffère parfois de celle du
gouvernement US ». (B.I –
juillet/août 2012)
© G. Munier/X.
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Publié le 3 juillet 2012 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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