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Saddam
Hussein
Le
triste spectacle du nœud coulant
Gilad
Atzmon
Dimanche 31 décembre 2006
Nous vivons décidément dans un village planétaire, dans un
ghetto monolithique et hermétique : les images obscènes
d’une barbarie médiévale voyagent autour du monde à la
vitesse de la lumière – images que nous sommes sommés de
consommer.
Les images floues du corps supplicié de Saddam ont occupé pendant
un jour ou deux tous les réseaux médiatiques. La victoire d’on
ne sait trop quelle « justice » est supposé nous
requinquer, nonobstant le fait que nous savons pertinemment que ce
qui a été mis en scène devant nous n’était pas autre chose
qu’une forme de vengeance des plus banales. Nous avons tous
parfaitement conscience que cela n’a strictement rien à voir
avec la Justice.
Non seulement le procès a été complètement bidon, mais s’il
est des gens qu’il conviendrait d’enfermer derrière des
barreaux, ce sont bien les fomenteurs de la guerre et ses exécutants.
Nous apprenons, également, que nous avons intérêt à reconnaître
que nous avons été trompés et floués par la notion de démocratie
‘libérale’ – ce concept moderne occidental qui se présentait,
au départ, comme une promesse grandiose. A l’évidence, nous
avons été entraînés dans une ère extrêmement obscure, qui
sera remémorée comme une manifestation planétaire, une force
unique du mal, se situant très au-delà de la banalité.
Tandis que Saddam est en passe de devenir un martyr, ses bourreaux
– Bush et Blair – ont déjà sérieusement assuré leur
position en Ligue I des criminels de guerre. Cela ressemble
beaucoup à l’Inquisition : c’est en effet, à nouveau,
un exécutant, un lampiste, qui va être avili aux yeux des générations
futures. Blair et Bush, les deux hommes qui ont menti à leur
peuple respectif et qui ont déclenché une guerre illégale, ces
deux hommes passibles, sous l’empire des Conventions de Genève,
d’être accusés de génocide, en Irak, sur une échelle
grandiose, ont, en fin de compte, décidé de mettre l’idéal de
justice – un de plus – à la poubelle, pour faire bonne
mesure. Etant donné leurs autres crimes – les 650 000 morts
d’Irakiens relevées, leur soutien aux dévastations israéliennes
au Liban et leur assistance aux crimes sionistes en Palestine –,
leur assassinat de la justice n’est rien d’autre qu’un énième
‘petit’ crime supplémentaire.
Mais Bush et Blair ne sont pas les seuls coupables. Comme ces
foules médiévales, rassemblées dans le centre des villes pour dévisager
l’ange de la mort, comme ces habitants de Jérusalem qui se
pressaient tout au long de la Via Dolorosa afin de pouvoir cracher
au visage de Jésus accomplissant ses derniers pas en direction du
Golgotha, nous tous, nous nous agglutinons autour de nos écrans
de télévision. Et nous sommes là, assis, à attendre de voir de
quelle manière l’ « Irak libéré » met en œuvre
la « justice » anglo-américaine. Apparemment, quand
il s’agit de la condition humaine elle-même, deux mille ans ne
représentent en fin de compte vraiment pas grand-chose.
Les humains sont toujours enthousiastes à l’idée de consommer
des images sanglantes de vengeance.
La question de savoir comment cela a-t-il bien pu nous arriver,
comment avons-nous pu tomber si bas, reste ouverte.
Il n’y a pas si longtemps, nous voulions croire (naïvement, sans
doute) que l’humanité avait peut-être retenu ses leçons,
qu’elle s’était muée en quelque chose d’autre, que le mal
appartenait désormais définitivement au passé. Comment
avons-nous pu laisser ces messagers de la vengeance prendre ainsi
le contrôle des événements ?
Récemment, je suis tombé, par hasard, sur ces propos de Leo
Strauss, l’idéologue fondateur de la pensée néoconservatrice,
ce maître à penser de ceux qui prétendent savoir de quoi l’Amérique
du siècle commençant devrait avoir l’air :
« J’ai été moi-même… un sioniste politique, dans ma
jeunesse, et j’ai appartenu à une organisation sioniste. A ce
titre, j’ai croisé, à l’occasion, Jabotinsky – le leader
des juifs révisionnistes. Un jour, il me demanda ce que nous
faisions, dans notre organisation. Je lui ai répondu :
« Eh bien… nous lisons la Bible, nous étudions
l’histoire juive, la théorie sioniste et, bien entendu, nous
nous mettons au courant de l’actualité… ; des choses de
ce genre… » Jabotinsky me répondit : « Et vous
avez encore assez de temps pour vous entraîner au tir ? »
J’ai bien été obligé de lui répondre que non… » [Leo
Strauss].
Mais il n’a pas fallu très longtemps à Strauss pour abandonner
ses positions relativement non-violentes. C’est sa lecture de
Carl Schmitt – un spécialiste allemand de science politique, très
marqué à droite, après la Seconde guerre mondiale – qui fit
de Strauss un opposant déclaré à l’idéologie libérale [au
sens de : progressiste, ndt] cosmopolite. Pour Schmitt,
« le politique signifiait, par-dessus tout, que les peuples
sont dressés les uns contre les autres, sinon dans une atmosphère
de guerre, au minimum dans celle des préparatifs d’une guerre
[1] ». Pour Strauss, à l’instar des Jabotinsky, Schmitt
et autre Hitler, l’essence de la vie politique se manifeste dans
le conflit, plutôt que dans un environnement pacifique propice à
l’épanouissement des arts et des loisirs.
Tandis que le débat académique autour de la question de savoir si
l’idéologie jabotinskienne a gagné (ou non) du terrain dans la
vie politique israélienne continue à faire rage, il est
manifeste que la philosophie sioniste de droite ultra ne diffère
en rien d’une certaine vision allemande du monde, romantique,
anti-lumières et belliqueuse, laquelle vision s’est profondément
enracinée dans l’administration américaine actuelle et dans
les lobbies qui gravitent autour d’elle (pour ne pas dire
qu’elle les a envahis).
Toutefois, si Strauss n’était qu’un simple universitaire –
et quand bien même il était un des épigones de l’idéologie
sioniste la plus extrémiste et belliqueuse –, il se trouve que
ce sont précisément ses disciples qui décident de la politique
étrangère des Etats-Unis. Je sais… c’est là quelque chose
d’un peu embarrassant à admettre : le « clash
culturel » et la haine émergente entre l’Islam et la
phase actuelle d’expansionnisme anglo-américain sont, l’un
comme l’autre, idéologiquement enracinés dans le terreau de
cette idéologie allemande nationaliste de droite qui fut acclimatée
en Amérique par Leo Strauss, militant sioniste déclaré.
Nous vivons décidément dans un village planétaire, dans un
ghetto monolithique et hermétique, dans lequel les images obscènes
d’une barbarie médiévale voyagent autour du monde à la
vitesse de la lumière.
Il n’y a qu’une seule façon d’échapper à ce nœud coulant
fatal de fanatisme : il faut dé-sioniser notre univers ;
il faut nous libérer du sionisme planétaire. Dès aujourd’hui.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[1] : Reading Leo Strauss,
Steven B. Smigh, Chicago, p. 61
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