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PeacePalestine
La
politique de l'antisémitisme: le sionisme, le Bund et la
politique identitaire juive
Gilad Atzmon
Salut et vengeance !
-
(affiche de
recrutement sioniste)
Mercredi 28 novembre 2007
http://peacepalestine.blogspot.com/2007/11/gilad-atzmon-politics-of-anti-semitism.html
Ceux d’entre nous qui soutiennent le peuple
palestinien, ceux parmi nous qui sont dévastés par l’ampleur
sans cesse croissante des atrocités israéliennes, ceux qui
souhaitent apporter la justice en Palestine, et ceci comporte la
possibilité, pour les Palestiniens de rentrer chez eux, dans leur
pays, devront se décider, tôt ou tard. Désormais, tout ce que
nous faisons, et tout ce que nous disons à propos de l’Etat
juif sera toujours considéré, par un juif, quelque part,
comme de l’antisémitisme. Nous devons prendre position,
et décider, une bonne fois pour toutes, si nous voulons nous
concilier la juiverie mondiale, ou bien si nous voulons nous
battre pour les Palestiniens ?
Personnellement, j’ai choisi. Pour moi,
c’est la Palestine, et le peuple palestinien. Si cela fait de
moi un antisémite, aux yeux de quelques juifs paumés de la
diaspora (de gauche, de droite et du milieu), je devrai apprendre
à vivre avec. Au bout du compte, je ne puis contenter tout le
monde…
En 1973, déjà, Abba Eban, le ministre israélien
des Affaires étrangères de l’époque, voyait dans l’antisionisme
le « nouvel antisémitisme » :
« Tout au long du 19ème siècle,
la littérature de la gauche révolutionnaire est pleine de
remarques acerbes au sujet de l’insistance juive à s’auto-affirmer
et à survivre. La présupposition, c’était que dans une société
nationale libre, il n’y aurait plus d’espace pour le maintien
d’un particularisme juif. On supposait que le destin et le
devoir des juifs consistait à se fondre dans l’utopie
universelle. Quand le sionisme a fait son entrée en scène, comme
produit non seulement de courants spécifiques du judaïsme, mais
aussi du nationalisme européen, le mot ‘nationalisme’
n’avait déjà plus cette aura qui l’entourait, à l’époque
de Garibaldi… Récemment, nous avons assisté à la montée de
la nouvelle gauche, qui identifie Israël à l’establishment, à
la possession, à la satisfaction terre-à-terre, avec, de fait,
tous les ennemis basiques… Qu’on ne s’y trompe pas : la
nouvelle gauche est l’auteur et le géniteur du nouvel antisémitisme.
Une des principales taches, pour tout dialogue avec le monde
gentil, c’est de démontrer que le distinguo entre antisémitisme
et antisionisme n’est pas un distinguo du tout. L’antisionisme
n’est, en effet, rien d’autre que le nouvel antisémitisme. Le
vieil antisémitisme classique affirmait que des droits égaux
appartenaient à tous les membres de la société, sauf aux juifs.
Le nouvel antisémitisme dit, quant à lui, que le droit de créer
et de maintenir un Etat souverain national indépendant est la prérogative
de toutes les nations, pour peu qu’il ne s’agisse pas de la
nation juive. Et quand ce droit est exercé, non pas par les Îles
Maldives, non pas par le Gabon, non pas par la Barbade… mais par
la plus ancienne et la plus authentique de toutes les nations,
alors, on qualifie cela d’exclusivisme, de particularisme, et de
désertion, par le peuple juif, de sa mission universelle... »
(Abba Eban, Congress Bi-Weekly, American
Jewish Congress publication, 1973)
Identité
et Singularité
Toute tendance à établir une identité nationale juive cohérente
peut être conçue comme une lutte dialectique entre deux pôles
opposés. D’un côté, nous pouvons observer une inclination
manifeste vers l’ « identique », sous la forme
« une nation parmi les nations. » De l’autre, nous
pouvons détecter une tendance indéniable à célébrer ses
propres symptômes, une inclinaison empressée vers le caractère
unique et la singularité. La question serait, par conséquente,
celle-ci : autant nous, les juifs, nous sommes des gens comme
tout le monde, nous n’en sommes pas moins légèrement différents,
et nous tenons à célébrer notre caractère unique.
A la fin du 19ème siècle, et
dans la première moitié du 20ème, deux écoles
nationalistes juives émergentes s’efforçaient de résoudre la
dualité dialectique entre « identité » et « singularité ».
Toutes deux étaient en compétition pour conquérir les cœurs et
les esprits des masses juives. L’une, c’était le Bund, une
forme unique en son genre, ésotérique, de lecture socialiste judéo-centrique
de la question juive, de l’histoire juive et du destin juif.
L’autre, c’était le sionisme, une philosophie nationaliste prônant
le colonialisme de peuplement. Le sionisme faisait une lecture
exceptionnellement impitoyable de la condition juive diasporique,
et il promettait de transformer radicalement la réalité juive.
Le débat entre le Bund et le mouvement
sioniste n’a pas vraiment d’importance, historiquement, et
pourtant, il éclaire la notion de politique tribale juive ;
il permet de jeter un œil à l’intérieur de la philosophie
marginale juive, ainsi que dans la politique identitaire juive. Il
met en lumière l’appareil actuel du lobbying politique juif en
Occident, et à l’intérieur de la gauche. J’ai tendance à
croire qu’une brève élaboration sur ce débat et sur ses
implications élucidera les raisons d’une tendance toujours
croissante, chez les militants juifs ethniques (de gauche, de
droite et du centre) à qualifier d’antisémitisme absolument
toutes les formes de critique idéologique et intellectuelle.
Bund
VS sionisme
Initialement, le Bund était un mouvement internationaliste,
actif, principalement en Europe orientale. Sa théorie consistait
à dire que le peuple juif formait une classe sociale, et qu’il
devait par conséquent être reconnu en tant que minorité
ethnique nationale à l’intérieur du mouvement prolétarien en
train d’émerger, en Russie. Le sionisme, en revanche, arguait
qu’afin de sauver le juif de « son atroce réalité
diasporique », un nouveau juif devait être créé, et que
cela ne pourrait se produire que dans la réalisation d’un
projet de peuplement dans un Foyer National Juif dédié,
comprendre : la Palestine.
Manifestement, l’un comme l’autre de ces
deux mouvements politiques visaient à la transformation du juif
et de sa réalité environnante. Tandis que le Bund visait une
transition terminologique, voire même sémantique, fondée sur
une lecture matérialiste alternative de l’Histoire juive, le
sionisme était tendu vers une véritable transition métaphysique
du sujet juif, de sa réalité et de son rôle dans le monde.
Si le Bund a échoué à comprendre la
signification pourtant évidente du cosmopolitisme et de
l’universalisme (par opposition à toute forme de division
raciale ou ethnique au sein de l’ « international »),
les premiers sionistes furent assez intelligents pour prendre
conscience du fait que la véritable signification du nationalisme
ne saurait être saisie qu’en termes d’acception géographique.
Pour le sioniste, le nationalisme, cela signifiait un lien entre
l’homme et « sa » terre [alléguée].
Les dirigeants bundistes insistaient naïvement
à dire que la langue et la culture yiddish finiraient par
aboutir, par maturation, à une conscience organique d’une
identité nationale qui fédérerait, certes, les juifs de l’Europe
de l’Est, mais qui serait tout aussi bien reconnue, par les
autres, comme constitutive d’une minorité ethnique légitime.
Erreur funeste. Déjà, en 1903, à la suite de la critique par Lénine
du programme national(iste) du Bund, la majorité des délégués
au deuxième congrès du Parti Social Démocrate Russe du Travail
[Russian
Social Democratic Labor Party ] avaient rejeté le
programme que proposait le Bund. En conséquence, les représentants
du Bund avaient quitté ce congrès. De plus, non seulement le
Bund avait échoué à se faire reconnaître idéologiquement par
les goyim qui entouraient ses membres, mais il avait échoué
aussi à se doter d’une attitude impartiale et tolérante vis-à-vis
de la mosaïque des ethnicités au sein du peuple juif, dans le
monde entier. S’agissant d’ashkéno-centristes, juifs
(nationaux) socialistes ignoraient royalement la Question des
juifs séfarades et arabes. Je suppose que les bundistes
attendaient des juifs marocains qu’ils apprissent le yiddish, ou
qu’ils devinssent des membres de la classe ouvrière russe avant
d’être autorisés à recevoir leur « carte de membre du
Bund »…
Obsédé comme il l’était par le yiddish,
le Bund s’opposa fermement au projet sioniste de renaissance de
l’hébreu. Il tenta d’investir de réels efforts dans la
diffusion de la culture yiddish. Mais, y compris dans ce domaine,
ils finirent par échouer dans le long terme. Comme on le sait,
aujourd’hui, la langue et la culture yiddish ne restent vivantes
qu’au sein d’un minuscule cercle, dans la mouvance ashkénaze
orthodoxe. Elles sont pratiquement inexistantes chez les juifs laïcs
et assimilés.
Même si les deux mouvements étaient laïcs,
les premiers sionistes avaient la franchise de reconnaître qu’à
la veille du vingtième siècle, il n’y avait pas grand-chose,
dans la vie juive séculière, dont on pût être fier (tant
culturellement que spirituellement). C’était bien naturel, étant
donné qu’en 1898 (année du premier congrès sioniste), l’émancipation
des juifs n’en étaient encore qu’à ses débuts (seulement un
siècle, environ, après l’émancipation des juifs de France).
Au sein du processus croissant d’assimilation, les juifs ne se
préoccupaient que fort peu de développer leur culture juive séculière.
Non qu’ils s’y refusassent : ils n’avaient, tout
simplement, aucune nécessité de le faire. La chute des murs du
Ghetto permirent aux juifs de se fondre dans la culture et le
discours occidentaux, en tant qu’égaux parmi les égaux. Cela
signifia aussi que, dans une large mesure, ils développèrent une
loyauté flambante neuve à l’égard de leurs nations hôtes.
A la veille de la Première guerre mondiale,
l’immense majorité des juifs allemands se considéraient avant
tout comme des Allemands, et l’identité tribale juive était
sur le point de disparaître. Les juifs assimilés adoptaient
largement le système moderne de valeurs éthiques. Les juifs ont
ainsi, littéralement, échappé à la parturition des Lumières
et donc à la douleur qu’avait comporté la révolution
anthropocentrique. Pour les juifs, adhérer au discours libéral
de leurs pays respectifs, cela revenait, dans la pratique, à
laisser tomber Dieu et à s’assimiler culturellement, financièrement
et spirituellement.
En conséquence, vers la fin du 19ème
siècle, il ne restait plus grand-chose de la culture juive en
circulation, il n’y avait plus non plus de système juif séculier
de valeurs morales, ni plus aucun lien spirituel juif, il n’y
avait pas de théâtre juif, excepté quelques troupes yiddish,
aucune musique populaire juive profane, mis à part quelques rares
chansons isolées qui étaient très loin de composer une œuvre
cohérente, aucune grande symphonie juive, aucune poésie juive
non-religieuse ni aucune œuvre d’art juive profane, en matière
d’arts plastiques. Il y avait déjà de géniales symphonies, poésie,
de grandes œuvres d’art, des textes politiques et idéologiques
écris, peints et composés par des juifs assimilés et convertis
(Heine, Marx et Mendelssohn, pour ne citer que ceux-là).
Pourtant, ces œuvres furent admises comme des apports culturels
européens et non pour une forme quelconque de culture juive séculaire
ésotérique. Bien que les juifs assimilés et convertis
trouvassent de plus en plus de moyens d’exprimer leur talent et
leur foi, la plupart d’entre eux préféraient se considérer
comme des êtres humains ordinaires, plutôt que de maintenir leur
identité tribale, qui, manifestement, signifiait de moins en
moins de choses à leurs yeux.
Le
sionisme : une ‘success’ story
Aussi malheureux cela soit-il, et aussi mal cela fasse-t-il de le
reconnaître, le projet sioniste n’avait nulle autre mission que
celle de provoquer un changement, et, ce changement, il a véritablement
réussi à le provoquer. La première génération des idéologues
sionistes visaient à la formation d’une vie juive séculière
et à un sens séculier de la vie. Il est impossible de refuser de
voir que les premières générations de Palestiniens de langue hébraïque
avaient réussi à édifier un corpus non négligeable de littérature,
poésie, arts plastiques et musique, en un laps de temps très
court. Les premiers sionistes, des penseurs européens tels Achad
Ha’am, qui parlaient de la renaissance de la culture juive,
voyaient dans le sionisme avant tout un projet spirituel.
Il pensait que la création, en Eretz-Israel,
d’un centre de culture juive contribuerait à renforcer la vie
juive dans la Diaspora. Son espoir, c’était que dans ce centre,
une nouvelle identité juive nationale basée sur l’éthique et
les valeurs juives permettrait de résoudre la crise du judaïsme.
Etant un homme d’une moralité élevée, Echad Ha’am fut
l’un des premiers sionistes à avertir ses camarades que la
Palestine était loin d’être un terrain vague. Il voyait la
tromperie manifeste du slogan « une terre pour un peuple. Il
savait que la Palestine était tout ce qu’on voulait, sauf une
terre inhabitée.
La renaissance de l’hébreu, sous la bannière
des sionistes, qui n’avaient de cesse d’encenser un lien émergeant
entre les juifs, Eretz Israel et l’héritage (culturel) juif.
Cette remise au goût du jour de l’hébreu avait pour finalité
de créer un continuum entre les nouveaux Israélites et leurs ancêtres.
Elle visait à faire de la Bible un « cadastre », et
de Dieu un « agent immobilier ». En quelques décennies
seulement, ce lien mûrit, aboutissant à une nouvelle identité
juive dynamique, à savoir les « Israéliens ».
Toutefois, au moins autant que nous abhorrons les crimes commis
par les « Israéliens » depuis plus de six décennies,
autant nous devons lutter contre ce qui les nourrit d’un tel zèle
idéologique et spirituel.
Nous devrions tout aussi bien reconnaître le
fait que le sionisme, tout du moins à ses débuts, avait
plusieurs visages. Les philosophes et penseurs juifs allemands qui
avaient immigré en Israël au milieu des années 1930, comme
Gershon Scholem, Martin Buber et Hugo Bergman ressentaient une
certaine urgence à créer un système éthique sioniste. Le
professeur Yeshayahu Leibovitch, un sioniste juif orthodoxe,
consacra le plus clair de sa vie intellectuelle à la critique de
l’expansionnisme sioniste. De fait, c’est ce Leibovitch qui
fut le premier à qualifier les militaires israéliens de « judéo-nazis ».
Naïvement, ces penseurs sionistes dotés d’une certaine morale
pensaient qu’un projet nationaliste juif éthiquement éclairé
était à portée de la main.
Cette école de pensée était naïve à un
point tel que l’un de ses derniers adeptes, le soi-disant
philosophe israélien Asa
Kasher consacra même du temps à écrire le « Code
Ethique des Forces Israéliennes de Défense » !
Manifestement, Kasher n’avait rien compris à l’impératif catégorique
d’Emmanuel Kant. L’éthique ne peut en aucun cas faire
l’objet d’une quelconque codification. Le jugement éthique
est, bien plutôt, un processus dynamique fluide, qui doit être
en permanence révisé et reconsidéré. Toutefois, pour les
premiers penseurs sionistes, et en particuliers pour ceux
d’entre eux qui étaient humanistes, l’Etat juif émergent
allait être respectueux de la population indigène de la
Palestine, j’ai nommé les Palestiniens. Le roman national israélien,
particulièrement glauque, et l’émergence de l’imposition
actuelle de la famine à la bande de Gaza, accompagnée d’une
sinistre législation israélienne d’apartheid, démontrent à
quel point ils se gouraient.
En ce qui concerne le projet juif
nationaliste, le Bund avait totalement échoué. De fait, vers la
fin de la Seconde guerre mondiale, il ne restait pratiquement plus
de Bundistes pour soutenir la philosophie juive (nationale)
socialiste. En effet, le Bund était impliqué dans des combats
acharnés contre les nazis, pendant la guerre. Sans doute la
bataille la plus notable du Bund à laquelle il doit être rendu
hommage fut-elle l’insurrection du Ghetto de Varsovie.
Toutefois, la majorité des bundistes qui survécurent au judéocide
nazi immigrèrent en Palestine, s’installèrent dans quelques
kibboutzim et adhérèrent aux partis sionistes de gauche. Les
autres s’installèrent en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
Leurs adeptes continuent à soutenir qu’ils
savent de quelle manière sauver les juifs de la Diaspora de leur
misère. La demi-douzaine de bundistes contemporains agit
principalement au sein de cellules politiques juives ségréguées,
à partir desquelles ils s’efforcent de surveiller le discours
de la solidarité avec les Palestiniens. Ils insistent sur le fait
qu’en matière de discours de solidarité avec les Palestiniens,
« la lutte contre l’antisémitisme est une question
fondamentale ». Manifestement, personne, dans le mouvement
de solidarité avec la Palestine, ne peut prendre au sérieux ce
genre de position. Les bundistes répandent leur message « orbi »
via un petit nombre de cyber-cellules sectaire, juives pour la
plupart, qui retienne fort peu l’attention intellectuelle,
politique et idéologique. Le yiddish, pourtant supposé être
leur bannière culturelle, est quasiment non-existent chez les
juifs laïcs. Il n’a aucun impact culturel sur les juifs, ni
d’ailleurs sur n’importe qui d’autre. Comme le prédisait, déjà,
le penseur juif marxiste Abraham
Leon dans les années 1930, le yiddish est désormais
devenu officiellement une langue morte, tout au moins pour les
juifs laïcs.
De manière particulièrement piquante, l’hébreu
a remplacé le yiddish en tant qu’identifiant symbolique de la
fraternité juive et que représentation tant de l’ethnicité
juive que du tribalisme juif. Même quand des juifs ne parlent pas
l’hébreu, ils en connaissent suffisamment pour dire « Shalom »,
ou « Toda Raba » (Merci). L’utilisation de la langue
biblique réincarnée a pour fonction d’affirmer leur
appartenance ethnique. Et cela ne doit en rien nous surprendre.
Bien que le journalisme moderne et l’édition en yiddish soient
littéralement inexistants, vous pouvez trouver plusieurs
quotidiens en hébreu, et cela, non seulement en Israël ;
vous trouverez aussi des films en hébreu, de la pop music en hébreu,
et même des films porno en hébreu (je n’ai pas connaissance
d’un quelconque film porno en yiddish, à moins que les derniers
bundistes que sont Ronald Rance, Tony Greenstein, Michael Rosen et
Lenni Brenner ont peut-être quelque chose de gratiné pour moi,
de derrière le comptoir ??).
L’hébreu
et l’israélité / Israël VS Diaspora
Le débat entre le Bund et le sionisme a perdu sa signification
politique voici, de cela, soixante ans. Le Bund est mort, et le
sionisme a vaincu. Pourtant, autant le sionisme était compréhensible
dans le contexte de la diasporique, autant il perd toute
signification au sein de la réalité israélienne. Autant le juif
de la diaspora peut lutter afin de synthétiser la polarité
dialectique originelle entre « isonomie » et « singularité »,
autant cette même dualité est-elle totalement vide de sens dans
le discours israélien contemporain. Vu sous l’angle purement
dialectique dont il est question, le juif israélien est un
individu sincère et authentique : il voit dans l’israélité
un identifiant national authentique, mais il vit tout aussi bien
en paix avec sa singularité : avec ses traits personnels
uniques, avec sa langue hébraïque, avec sa culture, et même
avec le crime originel de son Etat juif. Pour le juif né Israélien,
l’aspiration sioniste est parfaitement absurde : il est né,
dans le foyer national juif, projeté dans une civilisation hébraïque.
Contrairement au juif de la diaspora, lequel attend une
transformation à venir, le juif israélien est né,lui, dans une
réalité d’ores et déjà transformée.
Le nouvel Israélien, celui qui est né dans
un Etat juif, n’est absolument pas préoccupé par la quête judéocentrique
diasporique : « Qui suis-je ? ». Le sujet
israélien considère être un citoyen ordinaire, dans une société
nationale normale. Certains juifs israéliens ont même tendance
à être d’accord avec les critiques formulées par des
non-juifs au sujet de leur Etat juif. Certains Israéliens sont
outragés par de telles critiques, mais ils en reconnaissent le
caractère légitime. Beaucoup d’Israéliens, pourtant, auraient
tendance à affirmer que toute critique d’Israël est tout
simplement inacceptable. Et c’est probablement là le succès le
plus éclatant du sionisme. Contrairement à Max Nordau
[ http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Zionism/nordau1.html],
qui affirmait que « le juif assimilé est incertain dans ses
rapports avec ses frères humains, timide avec les étrangers »,
l’Israélien n’est pas timide, ni hésitant pour un shekel :
il est fier de lui, et même, au goût d’énormément de gens,
il est sans doute « bien trop fier » de lui.
Toutefois, le juif occidental de la diaspora,
celui qui insiste sur le maintien d’une identité tribale au
sein d’une société ouverte et multiculturelle, est encore en
quête d’une identité. Il recherche une recette qui lui
permette de combler l’abîme entre l’ « isonomie »
et la « singularité » et, apparemment, Israël et le
sionisme sont désormais le seul modèle auquel il s’identifie.
Aussi triste cela paraisse, Israël et le sionisme ont réussi à
prendre en otage la notion de sécularisme juif. Le jeune juif de
la diaspora qui doit choisir entre un rabbin pâlichon et barbu
l’appelant à rejoindre une yéshiva et un jeune marin israélien
athlétique qui lui offre un flingue, un béret rouge et une
guerre à livrer, risque de trouver ce dernier légèrement plus séduisant.
La jeune femme juive de la diaspora qui doit choisir entre une
moumoute pour couvrir sa tête rasée et l’interprétation israélienne
plutôt olé-olé de la féminité, trouvera probablement le style
de vie israélien considérablement plus attractif.
Les juifs de la diaspora, de manière générale,
s’identifient à Israël, certains d’entre eux sont des
sionistes grand teint, d’autres ne font qu’en emprunter
certaines des manifestations superficielles folkloriques, voire même
purement verbales et dépourvues de toute signification réelle.
Quoi qu’il en soit, toutes les Simchas
juives (bar-mitsvah, mariages, etc.) est désormais une célébration
du folklore israélien hébraïque. Jusqu’à un certain point,
en raison de la pénétration extrêmement profonde du folklore
israélien et de la nouvelle culture hébraïque, chaque
bar-mitsvah et chaque mariage réaffirme une identification
symbolique avec l’Etat juif. Toute occasion festive juive peut
être vue comme un mini-meeting sioniste. L’interstice culturel
qui de cela, tout juste quatre décennies était occupé par la Yiddishkeit,
est désormais submergé par la culture israélienne et hébraïque.
Aussi tragique cela puisse sembler, la culture et le folklore israéliens
sont devenus un nouveau ciment juif. L’hébreu est devenu le
lien tribal, et l’israélitude est est le nouvel identifiant
culturel symbolique.
Cela nous ramène à Abba Eban, qui fut
probablement le premier à identifier l’antisionisme au « nouvel
antisémitisme ». Du point de vue du sujet de la diaspora
juive laïque, Israël est l’unification vivide de la polarité
dialectique entre « égalité » et « particularité ».
Du point de vue de la diaspora juive, Israël a réussi à résoudre
le soi-disant « problème juif », en liant entre elles
l’ethnicité, la tribu et même la religion dans une seule et même
notion. Il offre au juif de la diaspora un destin, et aussi
quelque chose de solide à quoi s’identifier dans sa vie de tous
les jours.
En conséquence de quoi, toute critique d’Israël
est perçue par le juif de la diaspora comme une agression contre
la légitimité de toute identité juive possible. Comme si cela
ne suffisait pas, toute critique d’Israël est considérée
comme une agression contre la possibilité d’une existence,
voire même d’un destin juif séculier. Comme Eban l’avait
formulé si éloquemment dès les années 1970, « Le nouvel
antisémitisme dit que le droit à fonder et à pérenniser un
Etat national indépendant et souverain est la prérogative de
toutes les nations, pour peu que les nations en question ne se
trouvent pas être juives. »
Eban, très manipulateur, identifie Israël
à la « judéité », et vice-versa. A ses yeux, Israël,
c’est « la mission universelle du peuple juif », et
en conséquence, toute tentative de critiquer Israël dépouille
le juif de son « droit universel », un acte qui doit
compris comme relevant de l’antisémitisme pur et simple.
Comme nous le savons tous, les accusations
d’antisémitisme sont lancées en l’air par la quasi-totalité
des activistes juifs : les juifs ethniques militants, les
responsables officiels israéliens, et même d’ex-bundistes des
temps modernes. J’espère que, désormais, tout est très clair.
A la lumière de l’échec total du Bund et de l’absence de
toute identité juive diasporique authentiquement lucide, le
sionisme et lui seul est devenu le seul et unique symbole de
l’identité juive séculière. Ayant cela à l’esprit, toute
critique contre l’Etat juif est perçue, par énormément de
juifs de la diaspora, comme une tentative de porter atteinte à la
possibilité d’une identité juive séculière. Erronément,
beaucoup de juifs de la diaspora voient dans la moindre critique
d’Israël une tentative de les chasser de la part égale qui
leur revient du discours « multiculturel » en cours
d’émergence en Occident.
Ceux d’entre nous qui soutiennent le peuple
palestinien, ceux parmi nous qui sont dévastés par l’ampleur
sans cesse croissante des atrocités israéliennes, ceux qui
souhaitent apporter la justice en Palestine, et ceci comporte la
possibilité, pour les Palestiniens de rentrer chez eux, dans leur
pays, devront se décider, tôt ou tard. Désormais, tout ce que
nous faisons, et tout ce que nous disons à propos de l’Etat
juif sera toujours considéré, par un juif, quelque part,
comme de l’antisémitisme. Nous devons prendre position,
et décider, une bonne fois pour toutes, si nous voulons nous
concilier la juiverie mondiale, ou bien si nous voulons nous
battre pour les Palestiniens ?
Personnellement, j’ai choisi. Pour moi, c’est la Palestine, et le
peuple palestinien. Si cela fait de moi un antisémite, aux yeux
de quelques juifs paumés de la diaspora (de gauche, de droite et
du milieu), je devrai apprendre à vivre avec. Au bout du compte,
je ne puis contenter tout le monde…Traduit
de l’anglais par Marcel Charbonnier
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