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Peace
Palestine
De la culpabilité à la
responsabilité
Gilad Atzmon
Photo :
Richard Kaby
Speech
given in Stockholm 18 March 2007
Conférence prononcée à Stockholm le 18 mars 2007
http://peacepalestine.blogspot.com/2007/03/gilad-atzmon-from-guilt-to.html
L’impossibilité
d’être un ex-Israélien qui soit néanmoins un être humain aux
tendances éthiques entraîne nécessairement un grave complexe de
culpabilité. Je fais allusion, ici, au cas évident de
quelqu’un d’incapable de se sentir coupable des crimes commis
en son nom par un de ses frères. Pourtant, force m’est bien de
reconnaître que, si le remords peut parfois être charmant, tout
au moins pendant un certain temps, c’est très loin d’être un
état d’esprit productif, sur le long terme. Le remords est une
entreprise autocentrée ; elle ne vise aucun changement. Ce
n’est que dans la seule culpabilité qu’il y ait quelque
espoir d’un avenir meilleur. De fait, la seule manière de
traduire la culpabilité en productivité, c’est de transformer
le remords en responsabilité.
Tout
du moins en ce qui me concerne, ma responsabilité est fondée,
avant tout, sur la profonde reconnaissance du fait que, bien
qu’entièrement à l’encontre de ma volonté, les actes étant
posés par l’Etat juif, toute atrocité perpétrée par Israël
est en réalité commise en mon propre nom et en mes lieu et
place. Autrement dit, mon engagement envers la cause palestinienne
découle de mon acceptation de ma propre responsabilité. Même si
le fait de crier « Pas en mon nom ! » aurait pu
contribuer à me racheter, moi, en tant qu’individu, cela ne
changerait rien au sinistre fait que tout crime de guerre israélien
est, de fait, perpétré au nom du peuple juif.
Ainsi,
je n’ai jamais été partisan de l’appel « Pas en mon
nom ! ». A l’évidence, ce que je cherche, ce n’est
pas mon propre salut, mais bien plutôt un saut qualitatif métaphysique
dans la conscience. Par conséquent, la responsabilité, pour moi,
c’est une forme d’intervention qui comble le gap inévitable
entre l’acceptation silencieuse et l’engagement éthique. Ma
responsabilité, c’est mon engagement à faire tout ce qu’il
m’est possible de faire pour mettre un terme immédiat à la
souffrance des Palestiniens.
A
l’évidence, c’est un énorme défi que je me lance, ici, à
moi-même. Sachant que mes armes sont mon saxophone et mon stylo,
cela peut même sembler légèrement pathétique. Il est loisible
de se demander s’il est possible d’abattre une superpuissance
régionale dotée de l’arme atomique avec un saxophone soprano,
ou même avec un stylo ? Bien que je n’aie pas encore de réponse
définitive à cette question, je suis prêt à admettre qu’au
cours des sept années écoulées j’ai essayé de tenter le
coup.
Pour
moi, être responsable, cela signifie regarder en face les atrocités
israéliennes, tout en me considérant moi-même au cœur du problème.
Alors que, par le passé, je tendais peu ou prou à m’exclure du
conflit, adoptant la position d’un scout détaché, je me
surprends aujourd’hui à rechercher les réponses en moi-même,
dans mon propre esprit, dans ma propre expérience ésotérique. A
la suite d’Otto Weininger, j’ai tendance à penser que les révélations
de l’artiste sur le monde sont le résultat direct d’une
certaine introspection. Toutefois, en procédant à cette
introspection, j’ai manifestement constaté que, si je suis
capable de dire certaines choses sur le conflit israélo-palestinien,
je suis probablement incapable de dire grand-chose sur ses aspects
politiques. De manière générale, discuter du conflit israélo-palestinien
est loin d’être quelque chose de facile. De plus, depuis
quelque temps, cette tâche a tendance à devenir de moins en
moins aisée.
En
raison d’une intense pression imposée aux Palestiniens par Israël
(avec l’entier soutien d’un Occident complice et obéissant),
les Palestiniens sont poussés vers un état proche d’une guerre
civile. Conséquence : l’animosité en train d’émerger
au sein de la société palestinienne (tant en Palestine que dans
la diaspora palestinienne) rend très difficile de suggérer une
quelconque contribution intellectuelle ou idéologique susceptible
de faire référence à une résolution du conflit. Désormais, la
société palestinienne est officiellement divisée dans
pratiquement tous les domaines. S’ajoute, à cela, le fait que
les Palestiniens peuvent même éprouver de la difficulté à se
dire d’accord sur la notion de cause palestinienne. Apparemment,
beaucoup parmi nous, en Occident, se trouvent soutenir la cause
palestinienne sans être effectivement capables de suggérer ce
que peut bien représenter cette cause, encore aujourd’hui. Très
souvent, nous nous surprenons à classifier des militants, sur la
base de leur vision de la résolution du conflit. Nous avons
tendance à dire : « Celui-ci est O.K. : il est
pour une solution à ‘Un seul Etat’ ; en revanche,
celle-là, laisse tomber : c’est une sionarde, elle est
partisane d’une « solution » à ‘deux Etats’ ! »
Autrement dit, nous identifions des affiliations politiques avec
ce qui nous semble, à nous, la ‘véritable’ cause
palestinienne. Mais, en réalité, l’image que nous nous formons
de la cause palestinienne dépend, en elle-même, de notre culture
politique propre, de nos propres combats politiques, de nos
affiliations et de notre style de vie personnels. Voilà qui a très
peu à voir avec la Palestine et les Palestiniens, ni avec leurs
besoins, tant présents que futurs.
Cette
prise de conscience risque de mettre au défi la notion de
solidarité, et elle implique la possibilité d’une certaine
forme de critique concernant l’ensemble de la question de la
responsabilité. Par conséquent, je me suis, depuis peu, fait à
l’idée que je dois être très prudent en matière de toute rhétorique
ayant quelque chose à voir avec la Palestine. Par voie de conséquence,
j’évite de parler au nom des Palestiniens. De plus, étant un
ex-Israélien, je ne me permets pas d’interférer dans le
discours palestinien concernant une résolution du conflit. Je
suis entièrement convaincu que l’avenir de la Palestine est une
affaire palestinienne intérieure. Le futur de la Palestine doit
être déterminé par le peuple palestinien et par les
Palestiniens eux-mêmes, et par personne d’autre. Pourtant, je
me sens plus que fondé à parler des atrocité en train d’être
perpétrées en mon nom. C’est ici, en effet, que ma
responsabilité entre en jeu.
Ma
tâche n’est vraiment pas difficile à définir. J’aurais
tendance à dire que si les crimes contre les Palestiniens sont
bien commis par l’ « Etat juif » au nom du
peuple « juif », avant qu’une quelconque avancée
soit possible, nous devons tout d’abord comprendre ce que
signifie le mot « juif ».Autrement dit, ce que je
tente de comprendre, c’est la judéité. Je m’efforce d’en
étudier la métaphysique, le substrat historique et culturel, de
comprendre de quelle manière les lobbies juifs sont en train
d’opérer au sein de diverses organisations, institutions et
systèmes d’hégémonie. J’avance que, dès lors que c’est
l’Etat juif qui est en train de terroriser les Palestiniens,
nous devons absolument comprendre, une bonne fois pour toutes, ce
qui se cache derrière cette notion de Judéité. Néanmoins,
j’estime nécessaire de développer les différences existant
entre les différentes catégories relatives au mot en « J ».
Résolument,
j’opère un distinguo entre le judaïsme (la religion), les
juifs (le peuple) et la judéité (l’idéologie). Je me refuse
catégoriquement à faire référence aux juifs tout en esquivant
la critique du judaïsme. Pour des raisons évidentes. Tout
d’abord, bien qu’Israël se considère comme l’ « Etat
juif », Israël est loin d’être l’Etat des Juifs.
Beaucoup de juifs vivent en dehors d’Israël, et n’ont rien à
voir avec Israël, ni avec les crimes israéliens. Ensuite, ce
n’est pas le judaïsme qui inflige cette douleur indicible aux
Palestiniens, mais bien des gens qui adhèrent à une vision
particulière, moderne et laïque, qualifiée de sionisme par
d’aucuns. Ainsi, c’est la judéité qui m’intéresse, en
tant que tournure d’esprit, du point de vue idéologique, et en
tant que cadre culturel. Ce qui m’intéresse, c’est le lien
collectif qui confère au sionisme un bouclier humain non-négligeable.
Ce qui m’intéresse, c’est ce qui fait du sionisme mondial une
vision du monde contemporaine de premier plan, et victorieuse.
Mais
c’est précisément là où les réelles difficultés
commencent. Bien que je me refuse fermement à faire référence
à des catégories raciales ou ethniques, voilà qu’une énergie
énorme est en train d’être mobilisée afin de m’empêcher
– moi, et bien d’autres avec moi – de dire ce que nous nous
sentons fondés à affirmer. Des groupes de pression (politique)
juifs, tant de gauche que de droite, tant sionistes
qu’antisionistes, tant du côté des marxistes sectaires que de
celui des colons fascistes livrent bataille afin de conserver la
différenciation entre judaïsme, judéité et les juifs aussi
floue que possible. Puis-je suggérer l’idée qu’ils savent
parfaitement ce qu’ils font : c’est en effet cette
tactique qui leur permet de rejeter toute critique d’Israël et
de ses lobbies, en la qualifiant d’agression raciste. Aussi
longtemps que la démarcation entre judaïsme, juifs et judéité
demeurera obscure, Israël sera à l’abri de toute critique.
En
perpétuant cette tactique, les associations juives, tant de
gauche que de droite, ont réussi à bloquer tout débat faisant réellement
sens au sujet d’Israël, de l’Etat juif, de la Palestine, de
la juiverie mondiale, du lobby israélien aux Etats-Unis, etc..
Toute discussion sérieuse est immédiatement exclue, au motif
qu’il s’agirait d’une forme de racisme ou d’antisémitisme
pur et simple. Il est, dès lors, de ma responsabilité de tenir
bon et de résister. Mon devoir, c’est de démontrer que la judéité
est une idéologie ou, au minimum, un état d’esprit. C’est
une idée qui a rendu la Nakba possible, c’est une idéologie
qui pérennise une politique d’épuration ethnique depuis
soixante ans, c’est une intuition sui
generis qui est capable de coexister sans problème avec un
taux de sous-nutrition atteignant 80 % de la population dans la
bande de Gaza.
Ce
ne sont ni les juifs, ni le judaïsme, qui sont ici en cause, mais
ce n’est pas non plus le sionisme. La judéité est, en réalité,
un concept plus profond que ne l’est le simple sionisme. Comment
sais-je qu’elle est plus profonde que le sionisme ? Je le
sais parce que je m’examine moi-même, et parce que je fais
retour sur mon propre passé. Je le sais parce que j’ai grandi
en Israël, et parce que je peux dire qu’à l’époque où j’étais
un jeune garçon, le mot sionisme était totalement étranger à
mes oreilles. Mes potes et moi, nous étions des Israéliens, nous
étions le peuple juif, nous n’étions pas des sionistes. Le
sionisme, c’était une expression étrangère et abstraite ;
le sionisme, cela sentait la Galut (la diaspora). Nous étions
juifs, et nos ennemis, c’étaient « les autres »,
qui que ces autres eussent bien pu être, à une époque déterminée :
les Allemands, les Goyim, les antisémites, les Arabes en général
et les Palestiniens en particulier, etc., etc..
Il
est par conséquent de ma responsabilité de dénoncer la
signification réelle de l’idée juive, dans toute son ampleur.
Ma mission, c’est de comprendre l’essence de cette peur
toute-puissante qui se love confortablement dans le giron de la
psyché collective juive. Ma responsabilité, c’est de révéler
les fourriers et les protagonistes de cette idéologie. En tant
qu’artiste, j’ai le devoir de m’examiner moi-même, et
d’en retrouver l’origine en mon âme propre.
Si,
effectivement, j’ai raison – si la judéité est donc bien une
idéologie –, alors la judéité ne saurait tout simplement se
situer, comme elle le fait, au-delà de toute critique. Si je suis
effectivement la bonne piste, mon devoir, en tant
qu’intellectuel et en tant qu’artiste croyant en la liberté
de l’esprit, consiste à faire observer que le discours
palestinien est formaté vicieusement par une forme absurde de
politiquement correct bloquant tout discours sensé et fertile.
Je
saisirai cette opportunité unique pour mentionner, également,
que j’en ai par-dessus la tête de m’entendre dire :
« Gilad, toi, tu peux tout dire – n’es-tu pas juif ? ».
C’est justement là quelque chose que je n’accepte pas. Rien,
dans mon appartenance ethnique ou biologique ne devrait me valoir
une quelconque autorisation spéciale. Je dois tout aussi bien
reconnaître que je ne me suis jamais entendu dire à un ami
musulman, ou arabe : « Tu peux le dire ; n’es-tu
pas musulman ? » ou : « Tu peux bien le dire ;
n’es-tu pas Arabe ? » Je ne me souviens pas non plus
avoir jamais entendu quiconque suggérer à quelqu’un d’autre :
« Tu peux le dire, tu es protestant, Irlandais, Noir, etc. ».
Il est notable que l’Etat juif et ses fans aient réussi à
positionner leur pays chouchou dans une position éminemment
privilégiée et précieuse, car très au-delà de toute critique.
Ma responsabilité, c’est de dénoncer le caractère totalement
fallacieux de cette tactique.
Je
pense que nous ne pourrons former le moindre espoir pour la
Palestine tant que nous n’aurons pas appris à parler librement,
tant que nous ne nous serons pas autorisés à ouvrir le débat.
Je me permets même d’ajouter que je suis sincèrement persuadé
qu’une telle initiative sera bénéfique pour les sionistes et
les Israéliens eux-mêmes
Les
Israéliens et ceux qui les soutiennent se placent eux-mêmes dans
une sorte d’abri artificiel et coupé de toute réalité. Ils se
sont entourés de murs de sécurité et ils ont réussi à bloquer
tous les canaux de la critique. Etant dans un état de cécité
totale, les Israéliens n’ont pas remarqué qu’ils sont
devenus l’incarnation du mal contemporain. Plus que quiconque
d’autre, ce sont l’Etat d’Israël et les Israéliens, qui
ont besoin qu’on les réveille. Immédiatement.
Traduit de
l’anglais par Marcel Charbonnier
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