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Déconstruire
David Grossman
S’il
est la gauche israélienne, qui a encore besoin de la droite ?
Gilad
Atzmon
10 novembre
2006
www.redress.btinternet.co.uk/gatzmon24.htm
Gilad Atzmon met en lumière les contradictions inhérentes
à la vision de l’auteur sioniste israélien David Grossman qui
a l’air d’épouser la paix avec les Palestiniens mais montre
d’inquiétants signes de croyance en une suprématie juive.
Le
monde entier a l’air de se lever pour applaudir le nouvel
orateur israélien, l’auteur David Grossman. Les relations
publiques d’Israël ont désespérément besoin d’un
intellectuel vertueux, d’un auteur qui « parle de paix », un homme qui prêche la « réconciliation »,
un homme de shalom ([i]).
Le 8 novembre, le Guardian a publié
([ii])
un discours que Grossman avait prononcé la semaine précédente,
lors des commémorations d’Yitzhak Rabin à Tel Aviv.
Grossman
est un « Israélien éclairé
et mûr », un sioniste de la gauche légère qui aspire
ardemment au changement. J’ai lu le discours de Grossman et je
dois dire que bien que le bonhomme passe aux yeux de certains pour
un intellectuel israélien de gauche, je ne vois dans son discours
rien d’autre qu’inconditionnelle suprématie juive et même le
maintien du vieux et brutal agenda racial sioniste. Grossman,
comme d’autres Israéliens, est totalement englouti dans un
discours chauviniste sio-centrique, un discours de déni de la cause palestinienne,
c’est-à-dire le droit au retour.
J’ai
rassemblé et mis en lumière quelques extraits scandaleux dus à
l’orateur hébreu de gauche nouvellement émergé.
Grossman et le mythe des « valeurs juives
universelles »
Grossman,
l’Israélien que certains parmi nous sont ravis d’aimer, nous
donne un aperçu de premier ordre sur la tournure d’esprit
sioniste laïque. « Je suis », dit-il de lui-même, « un homme totalement laïque ». Pourtant, Grossman ne s’arrête
pas là. « Pour moi,
la création et l’existence même de l’Etat d’Israël est
comme un miracle qui nous est arrivé à nous en tant que peuple ;
un miracle politique, national, humain. »
Je
me demande depuis quand les laïcs croient aux miracles. Il
faudrait peut-être rappeler à « l’intellectuel
israélien laïque » qu’un miracle est « un
effet ou un événement extraordinaire, dans le monde physique,
qui dépasse toutes les puissances humaines ou naturelles connues
et est attribué à une cause supranaturelle ». En fait,
Grossman, comme beaucoup d’autres Israéliens, s’est arrangé
pour suivre une nouvelle forme de laïcité : un athéisme
qui « prête à une
cause supranaturelle ». Assez curieusement, les laïcs
sionistes sont plutôt fondamentalement orthodoxes en ce qui
touche à leur nouvelle et pathétique religion. J’aimerais bien
aider Grossman en lui suggérant qu’il n’y a pas de vrai
miracle, réellement héroïque, autour d’Israël. Israël
n’est qu’un vulgaire Etat ultranationaliste et raciste. Le
succès relatif d’Israël ne paraît miraculeux que parce
qu’il a fallu quelques générations, à ses voisins arabes,
pour s’adapter au niveau de la barbarie sioniste.
D’après
Grossman, Israël aurait gaspillé ce « miracle »,
cette « grande et
rare opportunité que l’histoire lui a offerte, l’opportunité
de créer un Etat démocratique éclairé, fonctionnant
correctement, et qui agirait en accord avec les valeurs juives et
universelles ».
A
suivre l’aperçu offert par Grossman de l’âme juive,
l’esprit des Lumières et la démocratie sont étrangers aux
Juifs et leur surgissement dans la sphère juive devrait être
tenu pour un miracle. Sans s’en rendre compte probablement,
Grossman reconnaît que les « Lumières »
et la « démocratie »
s’opposent à l’âme juive. Ce courant intellectuel n’est
assurément pas neuf, et pas davantage original. Les premières
vagues d’idéologues sionistes croyaient que, à Sion, un
nouveau Juif émergerait : un Juif civilisé, laïque, démocrate
et éclairé, qui se rebelle contre son ancêtre moralement dégénéré
de la Diaspora.
De
manière plus inquiétante, Grossman trompe ouvertement ses
auditeurs en se référant à des « valeurs
juives universelles » comme si ces valeurs constituaient
un fait communément admis. Si bizarre que cela puisse paraître
à certains, il n’existe pas un ensemble généralement accepté
de « valeurs juives
universelles ». Y a-t-il un livre présentant une notion
de « valeurs juives
universelles » ? Je ne pense pas. S’il est un
ensemble de valeurs devant être reconnues comme « valeurs
juives universelles », elles sont véhiculées comme il
faut par le cœur du judaïsme. Je crois que les Juifs de la Torah
qui soutiennent sincèrement la cause palestinienne connaissent
quelque chose aux valeurs universelles. Mais Grossman se dépeint
comme un homme laïque. Ce n’est assurément pas à l’interprétation
juive orthodoxe qu’il pense lorsqu’il se réfère à
l’universalité juive. C’est en fait le christianisme qui
traduit le judaïsme en un système de valeurs universelles.
C’est le christianisme qui transforme le « voisin » en un « autre
universel ». Il ne fait pas de doutes qu’il y a
beaucoup d’humanistes universels qui se trouvent être juifs
d’origine. Il n’y a néanmoins pas un ensemble reconnu de
« valeurs juives
universelles ». Grossman et d’autres intellectuels
juifs qui diffusent le mythe de « l’universalisme
juif » s’abusent et abusent leurs auditeurs. En outre,
le fait que le sécularisme juif manque d’un bagage
philosophique explique peut-être la faillite morale générale de
l’Etat juif. Comme nous allons le lire, Grossman lui-même tombe
dans le piège. Il a sans doute connaissance du concept de moralité
mais il échoue à présenter une vision du monde morale cohérente.
Il a sans doute conscience de l’effet négatif du racisme mais
il s’arrange lui-même pour tomber, et plutôt facilement, dans
un sectarisme fondé sur une suprématie.
Une vision du monde fondée sur une suprématie
Grossman
est assez courageux pour se lever et reconnaître que « la violence et le racisme » ont pris le contrôle de sa
maison, Israël. Jusque là, ça va. Le temps d’une seconde, je
penche à croire que Grossman est effectivement un Juif laïque,
antiraciste, éclairé, mais vient alors la phrase suivante où il
demande : « Comment se peut-il qu’un peuple avec nos forces de créativité et de
renaissance » soit parvenu à se retrouver aujourd’hui
« dans un tel état de faiblesse et d’impuissance » ?
Le
lecteur critique se demande peut-être à quoi Grossman se réfère
lorsqu’il parle d’un « peuple
avec nos forces de créativité et de régénération ».
C’est plutôt simple : Grossman croit vraiment en
l’unicité du peuple élu. En d’autres termes, Grossman est
fondamentalement un déterministe biologique.
La
question qu’il faut poser ici est : pourquoi le Guardian
a-t-il consacré trois pages à un adepte de la suprématie juive ?
Je crois que les Juifs jouissent de certaines libertés qui
manquent au reste de l’humanité. J’ai, par exemple, beaucoup
de peine à croire que le Guardian
donnerait la parole à un philosophe allemand qui louerait les
« forces de créativité
et de régénération » du peuple aryen. D’une manière
ou d’une autre, un intellectuel juif peut se permettre de dire
exactement cela.
Bien
que Grossman soit assez honnête pour reconnaître que les
Palestiniens ont placé le Hamas aux fonctions dirigeantes, il en
appelle à Ehoud Olmert pour « s’adresser
aux Palestiniens par-dessus la tête du Hamas. S’adresser aux
modérés parmi eux, à ceux qui, comme vous et moi, s’opposent
au Hamas et à son idéologie ».
Monsieur
Grossman, si vous êtes effectivement un humaniste universel –
j’ai, évidemment, des doutes à ce propos – vous auriez mieux
fait d’apprendre à écouter le Hamas plutôt que de parler aux
Palestiniens par-dessus la tête de leurs dirigeants élus.
A
l’évidence, Grossman ne parvient pas à respecter ses voisins,
il ne parvient pas à respecter leur choix démocratique. D’une
manière plus générale, je suggère que nous abandonnions la méprisable
méthode de s’adresser à Bush et Blair en passant par-dessus
les têtes. Le privilège des intellectuels est d’écouter et
d’agir éthiquement.
Grossman, la victime
Mais
la houtzpah juive de
Grossman ne s’arrête pas là. « Regardez
les Palestiniens, juste une fois », dit-il à Olmert.
« Vous verrez un peuple pas moins torturé que nous le sommes ».
Ce n’est pas une blague ! Grossman, le Juif colonialiste
qui habite sur une terre palestinienne occupée, dans un Etat qui
opère le nettoyage ethnique d’une nation indigène, regarde les
victimes palestiniennes terrorisées en disant : « ils
sont presque aussi torturé que moi ».
C’est
tout dire. Cela résume le niveau de cécité de la sio-gauche. Et
de fait, si ce sont là les Israéliens de gauche, qui a encore
besoin de la droite ?
Dans
son paragraphe de conclusion, Grossman en convient : « Les
différences entre la droite et la gauche ne sont pas si grandes
aujourd’hui ». Il dit vrai. A l’intérieur du
discours politique européen, Grossman, l’icône intellectuelle
de la gauche israélienne, ne serait rien de plus qu’un banal néo-conservateur
de droite, un homme qui apparaît excuser une forme de foi en la
suprématie juive travestie en bonne volonté, un homme qui parle
par-dessus la tête d’autres gens.
Grossman et la solution à deux Etats
Grossman
se leurre lui-même ainsi que ses auditeurs en disant que « la
terre sera partagée », qu’ « il
y aura un Etat palestinien ». Vous vous trompez en
partie, Monsieur Grossman. Cette terre ne sera jamais partagée.
Je vais le dire très simplement, afin que vous et votre poignée
de Sio-gauchistes le compreniez une bonne fois pour toute. La
Palestine est une terre, Israël est un Etat. La Palestine sera
toujours la Palestine, c’est-à-dire une terre. Israël, de son
côté, est un Etat raciste, nationaliste et il disparaîtra. La
terre ne sera pas partagée. Elle sera réunie en une Palestine.
Plutôt que de maintenir un Etat raciste, nationaliste,
j’appelle Grossman et ses amis à rejoindre le mouvement pour
une Palestine, un mouvement qui affirme l’égalité sur la terre
de Palestine, une Palestine où les valeurs sont universelles.
Gilad Atzmon est un musicien et un écrivain, né en
Israël. C’est, pour le conflit israélo-palestinien, un
partisan d’une solution à un Etat, laïque et démocratique,
solution dans laquelle les deux peuples vivent dans un même Etat,
citoyens égaux en droits et en responsabilités.
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