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De la tromperie à la vindicte : une interprétation du rêve sioniste
Gilad Atzmon


Gilad Atzmon

Vendredi 9 octobre 2009

 « La structure socio-économique du peuple juif diffère radicalement de celle des autres nations ; notre structure socio-économique est une structure anomale, ab-normale » (Ber Borochov, in The Economic Development of the Jewish People, 1917).

« Vous (les juifs), vous êtes dépourvus des notions d’honneur, de sentiment du devoir, de moralité, de patriotisme, d’idéalisme… » (Max Nordau, discours devant le 1er Congrès sioniste, 1897).

 « Toutefois, le travail est la seule force qui puisse attacher l’homme au territoire… le travail est l’énergie fondamentale permettant de créer une culture nationale. C’est ce dont nous sommes dépourvus ; mais nous avons conscience de ce manque. Nous sommes un peuple sans pays, sans langue vivante nationale et sans culture nationale. Nous semblons penser que si nous n’avons pas notre propre force de travail, cela n’a aucune importance : Ivan, John ou Moustapha feront le boulot à notre place… » (A.D. Gordon, in Our Tasks Ahead, 1920)

A ses débuts, le sionisme était véritablement un rêve exaltant : il s’agissait de rien de moins que de transformer ‘le juif’ en ‘être humain civilisé, respectable et authentique’. Les fondateurs du sionisme furent inspirés par les notions de ‘peuple semblable à n’importe quel autre peuple’ et de ‘nation parmi les nations’. Les écrits des premiers théoriciens du sionisme, tels que Nordau, Borochov et Gordon, nous fournissent des descriptions extrêmement défavorables de la personnalité et de l’identité juives, en comparaison desquelles l’idéologie nazie apparaît doucement libérale.

Toutefois, l’on ne saurait trop recommander le lecteur de marquer une seconde de pause et d’en profiter pour réfléchir de manière critique au rêve sioniste évoqué plus haut. L’on peut se demander qui donc peuvent bien être ces gens, qui ‘rêvent’ de ‘devenir des êtres humains’ ? Imaginerait-on un Français, un Anglais ou un Chinois (ou une Française, une Anglaise ou une Chinoise) qui rêverait de devenir un ‘être humain’ ordinaire ? Nous pouvons sans difficulté aucune penser à des êtres humains opprimés qui exigent d’être traités en tant qu’humains (les Palestiniens, les mouvements des droits civiques, les mouvements anti-apartheid, etc.). Mais le rêve sioniste est radicalement différent : ça n’est pas seulement un désir de reconnaissance ou d’égalité, il ne s’agit pas seulement d’être traité de manière convenable : c’est, en plus de cela, un rêve d’ « auto-transformation ». De fait, il s’agit de rien moins que d’une métamorphose miraculeuse faisant passer celui qui en fait l’objet d’une forme d’existence morbide ‘ab-normale’ à une forme d’existence humaine acceptable. 

Dans le contexte d’une fiction, nous pouvons imaginer aisément une vache fantasmant de devenir une fermière, un cochon « se mourant » à l’idée de devenir un schnitzel cachère, ou encore un serpent aspirant à prendre le contrôle du parti travailliste, puis à lancer une énième guerre sioniste illégale. Mais il est tout à fait inhabituel de penser que des gens aient pu en venir à développer une aspiration à devenir des ‘êtres humains ordinaires’…

Une manière intelligible d’expliquer ou d’interpréter ce rêve particulièrement inhabituel consiste probablement à présumer que ceux qui succombent au rêve sioniste sont ceux qui se trouvent penser qu’en ce qui concerne leur manière naturelle d’être au monde, ils sont, de fait, très éloignés de l’humanité. L’on pourrait à bon droit supposer que des gens qui aspirent à devenir des êtres humains sont nécessairement convaincus que l’humanité, en quelque sorte, n’est pas précisément une caractéristique qu’ils se trouvent avoir.

Hier, au cours d’un débat, à la Librairie Résistance, à Paris (à l’occasion d’une manifestation de collecte d’argent pour Gaza), l’on m’a demandé mon interprétation de la « barbarie évolutive » d’Israël ; comment il peut se faire que 84 % des Israéliens aient soutenu le crime génocidaire de l’armée israélienne à Gaza en décembre dernier.

« Pour comprendre de quelle manière ces pratiques criminelles d’Israël ont émergé », ai-je répondu, « il nous suffit de remonter la filière et de relire les écrits des premiers idéologues du sionisme. Nous pouvons aisément apprendre de la part des penseurs juifs quel est leur « rêve » et la vision qu’ils ont de leurs frères et coreligionnaires. Il se trouve que ces fondateurs du nationalisme juif contemporain ont reconnu, peu ou prou, qu’il y avait quelque chose de totalement corrompu dans l’identité juive, dans la culture juive et dans la personnalité juive. Toutefois, ils pensaient sincèrement que cela était remédiable.

Le sionisme n’avait d’autre raison d’être que de créer un nouveau juif, un être humain civilisé et productif. C’était évidemment là un rêve particulièrement illusoire et épique.

Jeune Israélien, j’ai moi-même succombé à ce rêve rose. J’avais tendance à croire qu’Israël était « mon » pays historique ; je voyais dans les protagonistes de la Bible mes ancêtres en lignée directe. J’étais persuadé qu’au moins dans le cas des ainsi-dit « premiers Israéliens », l’opération de transplantation idéologique avait magistralement réussi. Nous, les jeunes Israéliens nés en Israël, nous avions tendance à croire que nous étions rien de moins que le résultat d’une métamorphose particulièrement réussie, que nous étions des ‘êtres humains laïcs humanistes modifiés et civilisés ».  

Inutile de préciser que l’histoire de la Palestine, les Palestiniens et la Nakba étaient totalement cachés à nos yeux. Nous ne voyions même pas les Palestiniens qui étaient autour de nous ; nous n’avions pas conscience de leur souffrance (alors, leur cause, vous pensez bien…) De fait, nous étions totalement aveugles. Nous avions aussi tendance à croire que notre armée était la « plus humaine de toutes les armées de la région ». Nous avons grandi avec l’Agenda de la Victoire de 1967, un luxueux album de photo devenu légendaire, que tout Israélien plaçait bien en évidence sur son étagère. Là, dans ce livre de propagande sur papier glacé, un soldat israélien compatissant donnait à boire à un prisonnier Egyptien.

Ce soldat était, pour nous, le symbole de l’adhésion de notre peuple à l’humanisme universel. Naturellement, nous ignorions le fait horrifiant que le désert du Sinaï avait été en réalité un abattoir pour des centaines de nos prisonniers de guerre égyptiens. Pourquoi ne le savions-nous pas ? C’est là, en soi, une excellente question. Nos pères, qui avaient fait cette guerre, devaient savoir, mais ils se taisaient. Nos parents, qui avaient vu les convois de réfugiés palestiniens en 1948, savaient nécessairement des choses sur la Nakbah, mais ils réussissaient à ne pas en parler.  

Très significativement, ce n’était pas seulement nos parents qui se taisaient : nous avions adopté exactement la même attitude. Etant devenus, à notre tour, des soldats de l’armée israélienne, nous avons fait exactement la même chose que nos parents : nous avons fermé les yeux (notamment en 1982, au Liban). Et cela n’a jamais changé. Le réveil moral israélien ne s’est jamais produit. Aujourd’hui, je pense pouvoir dire qu’il ne se produira jamais. Le rêve sioniste est bien trop confortable ; après plus d’un siècle de tromperie à base de morale phantasmatique, les Israéliens sont profondément enfoncés dans leur coma éthique.

Le rêve de « métamorphose humaniste » du sionisme n’a jamais mûri pour produire une réalité ou une pratique. Bien au contraire, les Israéliens et les sionistes ont appris à se voir au travers d’un prisme phantasmatique illusionnant. Bien loin d’avoir été transformés en de véritables humanistes, ils sont devenu des « humanistes-en-chef » de leur propre rêve ultra-judéo-centrique.

Freud nous a enseigné que le rêve a pour fonction de prolonger le sommeil : une sirène d’alarme, les pleurs d’un enfant ou un robinet qui goutte, dans le monde extérieur, se voient incorporés à l’intérieur de notre rêve afin que nous puissions continuer à pioncer.

Le « rêve humaniste sioniste » opère de manière similaire ; il a pour fonction de prolonger la sieste sioniste, de laisser les juifs dans l’ignorance et dans l’insouciance des crimes que commet leur Etat (en leur nom, de surcroît).

Les perturbations provenant du « monde extérieur », comme le rapport Goldstone ou les critiques judicieuses d’Ahmadinejad, sont incorporées à leur rêve sous la forme d’un simple « bruit de fond » généré par un « antisémitisme pathologique ». Bien qu’en réalité l’Etat juif soit d’une barbarie insurpassable, dans leur rêve, il n’est question de rien d’autre que du « Tout va très bien, Madame la Marquise ».

La réalité quotidienne de la barbarie sioniste en Palestine doit nous rappeler à notre devoir de réfléchir à ce rêve initial de transformation qui fut celui du sionisme. En dépit de sa grande promesse, l’Etat juif a échoué à devenir une ‘nation comme les autres’. De la même manière, le peuple sioniste n’est pas réellement un ‘peuple comme les autres’, car aucun autre peuple, au monde, n’approuve collectivement un génocide, comme, lui, il le fait.

L’Etat juif, qui était censé être une célébration d’une transformation identitaire, est devenu, en lieu et place, l’incarnation ultime des symptômes morbides que le sionisme était précisément censé soigner. Israël a d’ores et déjà trouvé le moyen de s’entourer de gigantesques murs de ghetto et il crache le feu et ses armes de destruction massive contre sa population indigène. Il enferme des millions de personnes dans des camps de concentration et il les affame. Aussi curieux cela paraisse, ce n’est que devant la colossale barbarie sioniste que l’on peut vraiment percevoir l’ironie inhérente au rêve sioniste (illusoire) de métamorphose humaniste.

Le sionisme était voué à l’échec : c’est un projet lié à la notion de sang, ce projet est racialement connoté et il est suprématiste jusqu’à la moelle. Le rêve sioniste est devenu un véritable cauchemar dévastateur, et pas en rêve, pour de bon : c’est le Golem* que l’Etat juif réveille, chaque matin, pour commettre de plus en plus de crimes au nom du peuple juif. 

Doté d’un arsenal de plusieurs centaines de bombes nucléaires et motivé par une religion de l’Holocauste fantasmatique qui ne prêche rien d’autre que la vengeance, il n’y a pas de plus grand danger pour l’humanité, l’humanisme et notre civilisation qu’Israël et ses thuriféraires dans le monde entier.

Je n’ai qu’un seul conseil à vous donner. Ce conseil, c’est : « ouvrez l’œil, et le bon ! »

All I have to say is beware!

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

[* Le Golem est la version yiddish de Frankenstein]

Article original :
http://www.gilad.co.uk/writings/from-delusion-to-vindictiveness-by-gilad-atzmon.html



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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