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Peace
Palestine
Mais :
pourquoi les haïssons-nous tellement ?
Gilad Atzmon
Gilad Atzmon
on Peacepalestine.blogspot, 04.07.2007
http://peacepalestine.blogspot.com/2007/07/gilad-atzmon-why-do-we-hate-them.html
Quand je suis venu m’installer en
Angleterre, il y a, de cela, treize ans, j’ai trouvé un pays très
tolérant. J’étais étonné de constater tant de personnes de
tant de couleurs différentes, vivant ensemble non seulement en
paix, mais même en totale harmonie. A l’Université Essex,
l’institut où je poursuivais mes études post-maîtrise, tout
le monde était enthousiasmé par le post-colonialisme. Les
British – tout du moins, c’est ce qu’il m’avait semblé,
à l’époque – se repentaient de leur passé colonial
encombrant. Je fus plutôt impressionné, mais pas totalement
subjugué. En fin de compte, ça n’est pas si difficile que
cela, de dénoncer les crimes perpétrés par votre pépé.
J’étais émerveillé de voir des Turcs et
des Chypriotes tenir des épiceries attenantes, dans la rue Green
Lane. Mon premier co-piaule fut un étudiant palestinien en maîtrise,
originaire de Beit Sahour. A cela, aucun problème : cela
paraissait parfaitement naturel. Il ne m’a pas fallu longtemps
pour tomber amoureux de la ville, et de décider d’en faire mon
lieu de résidence définitif.
A l’époque, l’Angleterre était très
différente du coin d’où je venais. Dans mon pays, le
territoire humain était officiellement réduit à deux types. Par
une sorte d’opposition binaire cruelle, il y avait toujours une
division extrêmement claire entre les « Bons » et les
« Mauvais », « Nous » et « Eux »,
l’ « Occident » et l’ « Orient »,
ou tout simplement « les juifs » et « les Arabes ».
Dans le bled d’où je venais, on n’apercevait pas la paix, même
à l’horizon. Mais dans le Londres des années 1990, il n’y
avait pas cette dichotomie. Malheureusement, cela a changé.
Quotidiennement, nos médias ressassent la question idiote :
« Pourquoi nous haïssent-ils tellement ? » Donc,
de nos jours, c’est tout à fait clair, l’opposition manichéenne
entre « eux » et « nous » a réussi à
devenir partie intégrante du discours britannique – aussi.
Quand je suis venu m’installer ici, au début
des années 1990, la politique anglaise était particulièrement
chiante. John Mayor était au pouvoir. Mais, peu de temps après,
un jeune politicien dynamique et visionnaire l’écarta du
pouvoir. Ce politicien est un homme qui a réussi, en dix ans –
à peine –, à démolir une des sociétés les plus harmonieuses
de tout l’Occident. Tony Blair, puisque c’est de lui dont il
s’agit, la grande promesse du Nouveau parti Travailliste, régnait
jusqu’à il y a peu depuis une décennie ; il a réussi à
entraîner son pays dans tous les conflits possibles et
imaginables, et à faire monter la mayonnaise de conflits mineurs
jusqu’à en faire des crises internationales. Il a réussi à
mentir en permanence à son peuple, à son parlement et à son
cabinet, il a lancé une guerre illégale qui a coûté la vie à
plus de 700 000 civils innocents. Il a, de toute évidence,
été incapable d’apercevoir l’impact qu’ont pu avoir ces
guerres sur sa propre société multiethnique, chez lui.
Blair vient de quitter le bureau du Premier
ministre – grâce au Ciel ! Toutefois, ce pays est désormais
au bord de l’effondrement moral. Son système de droits civils
est sévèrement menacé. Des politiciens de tous bords sont en
train d’en appeler à des lois d’emprisonnement beaucoup plus
sévères encore. La possibilité d’une déportation massive de
nouveaux immigrants ne relève pas du cauchemar invraisemblable.
Pourtant, plus préoccupant encore est le rôle joué par les médias
« libres » dans ce pays. Les principaux journaux et
les télévisions succombent tout à fait volontiers à la ligne
de pensée officielle du gouvernement. C’est là quelque chose
qui me rappelle par trop les médias aux ordres dans mon pays
natal maudit, cet endroit que j’ai quitté voici treize années.
Je me surprends à me demander comment les médias
peuvent-ils avoir le culot de demander « pourquoi nous haïssent-ils ? »
On dirait qu’ils ne connaissent pas la réponse ? Vraiment ?
Cette réponse, ne la connaissons-nous pas ? Ceux qui ont démoli
l’Irak, c’était pas nous, des fois ? Celui qui a donné
le feu vert aux Israéliens pour aplatir le Liban sous les bombes,
c’était pas notre Premier ministre,
un certain Blair Tony ? N’est-ce pas le gouvernement
Tony Blair, qui a rejeté le gouvernement Hamas démocratiquement
élu, en Palestine ? N’est-ce pas Blair qui a permis que
les Israéliens affament la bande de Gaza ?
Pour ceux qui ont encore du mal à réaliser,
tuer, c’est quelque chose de très simple. Transformer des
villes entières et tas de décombres, ça n’est pas compliqué
non plus. En revanche, si élever un enfant prend quelques années,
édifier une ville, cela exige des centaines d’années, et établir
l’harmonie entre les êtres humains, cela demande des millénaires.
Arrêtons de mentir aux autres et de nous mentir à nous-mêmes.
Nous savons parfaitement pourquoi ils nous haïssent : ils
ont de bonnes raisons pour cela, vu l’état des choses en ce
moment. C’est nous, qui les massacrons en masse. C’est nous,
qui démolissons leurs villes et massacrons leurs enfants.
Alors, au lieu de poser la question pathétique
« pourquoi nous haïssent-ils ? », nous ferions
mieux de quitter notre humeur de redresseurs de torts et de nous
demander : « Pourquoi les haïssons-nous tellement ? »,
ou même : « Pourquoi haïssons-nous tellement »,
de manière générale.
Pour ramener la paix à Londres, à Glasgow, en Grande-Bretagne et en
Occident, il faut nous regarder dans la glace, regarder nos méfaits
gravissimes et dévastateurs, réparer les dégâts causés par
Blair, Bush et Cie, et reconsidérer le rêve de la société
occidentale œcuménique. C’est possible. Nous en sommes
capables. C’est exactement ce que nous étions en train de
faire, il n’y a pas si longtemps. Je m’en souviens très bien :
c’était il y a tout juste treize ans. C’est ce que j’avais
ressenti, dès que j’avais atterri en Grande-Bretagne.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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