The Wounds of Gaza
2 février 2009
http://www.thelancetglobalhealthnetwork.com/archives/608
Deux chirurgiens britanniques, le Dr.
Ghassan Abu Sittah et le Dr. Swee Ang, ont réussi à entrer dans
la bande de Gaza durant l’invasion israélienne. Ils décrivent
ici ce qu’ils ont vécu, partagent leur vision des choses et
concluent que la population de Gaza est extrêmement vulnérable
et sans défense, dans l’éventualité d’une nouvelle attaque
militaire.
Les blessures de Gaza sont profondes, et
multicouches. Faut-il rappeler le massacre à Khan Younis, en
1956, qui fit 5 000 victimes, ou l’exécution de 35 000
prisonniers de guerre par Israël, en 1967 ? Ou encore les
blessures de la première Intifada, la désobéissance civile d’un
peuple occupé à l’encontre de ses occupants ayant entraîné un
nombre énorme de blessés et des centaines de morts ? Nous ne
saurions non plus mettre de côté les quelque 5 420 blessés, dans
le seul sud de la bande de Gaza, depuis l’année 2000. Non, ce
dont nous parlerons ici, c’est « seulement » de l’invasion
déclenchée par Israël le 27 décembre 2008.
Sur la période allant du 27 décembre 2008
jusqu’au cessez-le-feu du 18 janvier 2009, on estime que c’est
environ un million cinq-cent-mille tonnes d’explosif qui ont été
lancées sur la bande de Gaza. Gaza mesure une quarantaine de
kilomètres de longueur, sur quinze de largeur, et un million et
demi de personnes y vit. Cela en fait la région la plus
densément peuplée du monde. Avant cette guerre, Gaza avait été
soumise à un blocus total et affamée durant cinquante jours. En
réalité, depuis les élections (législatives) palestiniennes
(remportées par le Hamas, ndt), Gaza a été soumis à un blocus
partiel ou total depuis plusieurs années. Durant la seule
première journée de l’invasion, ce sont 205 personnes qui ont
été tuées.
Tous les commissariats de police de la
bande de Gaza, sans aucune exception, ont été bombardés, de
nombreux policiers ayant été tués. Les forces de police une fois
anéanties, l’attention se focalisa sur les cibles non
gouvernementales. Gaza a été bombardé du ciel par des avions
F-16 et des hélicoptères Apache, et bombardé depuis la mer par
des vedettes israéliennes, ainsi que depuis le sol par
l’artillerie des tanks. Beaucoup d’écoles ont été réduites à des
tas de gravats, dont l’American School de Gaza, quarante
mosquées, des hôpitaux, des bâtiments de l’Onu et, bien entendu,
21 000 appartements ont été touchés, dont 4 000 ont été
totalement détruits. Le nombre des sans abri est aujourd’hui
estimé à 100 000 personnes.
Les
armes israéliennes
Mis à part les bombes conventionnelles et
les bombes à haute puissance de déflagration, les Israéliens ont
utilisé des armes non-conventionnelles, dont on peut identifier
au moins quatre catégories différentes :
1 - Les bombes à sous-munitions et les obus au phosphore
Les bombes au phosphore lancées par les
Israéliens ont été décrites par des témoins oculaires comme des
bombes explosant à haute altitude, dispersant un large parapluie
de petites bombes au phosphore, qui touchent une très large zone
au sol.
Au cours de l’incursion terrestre, des
témoins oculaires décrivent les tanks pilonnant les maisons
d’habitation tout d’abord au moyen d’obus conventionnels. Les
murs une fois démolis, une deuxième sorte d’obus – des obus au
phosphore – sont alors tirés à l’intérieur des domiciles. Ils
sont utilisés de manière à ce que le phosphore explose et
carbonise à la fois les occupants et les locaux. Beaucoup de
corps carbonisés ont été retrouvé au milieu de particules de
phosphore en fusion dont la combustion se poursuivait.
Un sujet de préoccupation, c’est que le
phosphore semble être utilisé par les Israéliens après avoir été
mélangé à un agent stabilisant spécial. Cela a pour effet que le
phosphore, étant plus stable, ne se consume pas totalement. Des
résidus jonchent toujours les champs, les espaces de jeu des
enfants et les cours des immeubles. Ils s’enflamment
spontanément lorsque de très jeunes enfants, par curiosité, les
ramassent, ou ils dégagent des fumées dangereuses quand les
paysans retournent dans les champs pour les irriguer. Une
famille de paysans, retournée dans son champ à cette fin a été
exposée à des nuages de fumée produisant des saignements de nez.
Ainsi, les résidus d’un phosphore vraisemblablement traité au
moyen d’un produit stabilisateur agissent, eux aussi, à l’instar
d’armes anti-personnel contre des enfants, rendant le retour à
la vie normale difficile, un accident étant toujours possible.
Les chirurgiens ayant opéré dans les
hôpitaux ont eux aussi fait état de cas dans lesquels, après une
laparotomie de première intention, pour traiter des blessures
relativement peu étendues comportant une contamination minimale
(par le phosphore, ndt), ont constaté, après une deuxième
laparotomie de vérification, l’augmentation des zones de nécrose
des tissus à environ J+3. Certains patients sont devenus alors
très gravement malades, et à environ J+10, ces patients
nécessitant une troisième vérification de leurs plaies
présentaient des nécroses massives du foie. Cela pouvait, ou
non, s’accompagner d’hémorragie générale, de défaillance rénale
ou/et cardiaque, entraînant le décès. Bien que l’acidose, la
nécrose hépatique et l’arrêt cardiaque subit dû à l’hypocalcémie
soient des complications connues de l’intoxication au phosphore
blanc, il est pour l’instant impossible d’attribuer ces
complications au seul phosphore.
Il est vraiment urgent d’analyser et
d’identifier la nature réelle de ce phosphore modifié, au regard
de ses effets à long-terme sur la population de Gaza. Il est
également urgent de collecter et de détruire les résidus de
phosphore qui jonchent la totalité de la bande de Gaza. Etant
donné que ces résidus produisent des fumées toxiques lorsqu’ils
rentrent en contact avec de l’eau, dès les premières pluies,
toute la région sera polluée par les émanations d’acide
phosphorique. Il faut mettre en garde les enfants contre les
dangers qu’ils encourent encore à toucher, voire pire, à
manipuler, ces résidus phosphoreux.
2 – Les bombes d’armes lourdes
Le recours à des bombes [de destruction
massive] dites DIME (dense
inert material explosives)(explosifs à matériaux inertes
denses) est évident, même si l’on ne peut assurer que de
l’uranium appauvri ait été utilisé, dans le sud de la bande de
Gaza. Dans les zones civiles, des patients survivants ont été
retrouvés avec les membres amputés par les bombes DIME, les
moignons, comme coupés à la guillotine, ne saignant pratiquement
pas. Les éclats et les shrapnels de ces projectiles sont
extrêmement denses.
3 – Les bombes à pulvérisation de carburant, dites « bombes à vide »
Des « bunker
busters », ces bombes capables de détruire des bunkers en
béton profondément enterrés, ont été utilisées. Certains
immeubles, en particulier celui, de huit étages, du bâtiment des
Sciences et de la Technologie de l’Université Islamique de Gaza,
ont été réduits à des piles de décombres ne dépassant pas un
mètre – un mètre et demi de hauteur.
4 – Les bombes silencieuses
La population de Gaza nous a fait état de
bombes pratiquement silencieuses, extrêmement destructrices. La
bombe arrive, comme un projectile silencieux, produisant tout au
plus un sifflement, produisant une large zone où tous les objets
et tous les être vivants sont vaporisés, sans laisser la moindre
trace. Nous ne connaissons pas d’arme conventionnelle produisant
de tels effets, et nous envisageons donc la possibilité que de
nouvelles armes à particules aient été testées.
Les
exécutions
Des survivants décrivent des tanks
israéliens arrivant devant des maisons et demandant aux
habitants d’en sortir. Des enfants, des personnes âgées et des
femmes, qui sortaient parfois de ces maisons, étaient alignées
contre un mur et immédiatement mitraillées et tuées. Des
familles ont ainsi perdu des dizaines de leurs membres au cours
de telles exécutions collectives. La prise pour cible délibérée
d’enfants sans défense et de femmes a été dûment documentée par
des associations de défense des droits de l’homme dans la bande
de Gaza, tout au long du mois écoulé.
Des
ambulances prises pour cibles
Treize ambulances ont fait l’objet de tirs,
les conducteurs et des secouristes ayant été tués alors qu’ils
procédaient à des secours et à des évacuations de blessés.
Bombes à fragmentation (Cluster
bombs)
Les premiers patients atteints par des
sous-munitions (de bombes à fragmentation) ont été amenés à
l’Hôpital Abu Yusef Najjar. La moitié des tunnels ayant été
détruits, Gaza a perdu une part importante de sa ligne de
survie. Ces tunnels, en effet, contrairement à l’idée répandue,
ne servent pas à acheminer des armes, même si des armes légères
ont pu faire l’objet d’une contrebande par ce canal. Toutefois,
ils représentent le principal moyen d’acheminer de la nourriture
et du carburant à Gaza. Les Palestiniens ont d’ores et déjà
recommencé à creuser de nouveaux tunnels. Toutefois, il est
désormais certain que des bombes à fragmentation ont été lancées
sur la zone frontalière de Rafah, et que l’explosion de la
première de ces bombes a été déclenchée précisément par des
travaux de creusement d’un tunnel. Cinq patients brûlés ont été
hospitalisés, après avoir déclenché accidentellement une machine
infernale du type « booby
trap » [il s’agit de mines, dispersées par le container
d’une bombe à sous-munition, qui explosent lorsque quelqu’un
marche dessus, ndt].
Tribut mortel
A la date du 25 janvier 2009, le nombre des
tués était estimé à 1 350, ce nombre ne cessant d’augmenter jour
après jour. Cela est dû aux blessés très grièvement atteints,
qui continuent à mourir dans les hôpitaux (60 % des tués étaient
des enfants).
Les
blessés graves
On relève 5 450 blessés graves, dont 40 %
d’enfants. Il s’agit principalement de patients polytraumatisés
et de grands brûlés. Les blessés ne souffrant « que » de
fractures et capables de marcher ne sont pas inclus dans ces
chiffres.
Au travers de nos conversations avec des
médecins et des infirmiers et infirmières, les mots
« holocauste » et « catastrophe » sont revenus avec insistance.
Les personnels médicaux portent tous le traumatisme
psychologique d’avoir dû vivre le mois écoulé dans cette
situation, d’avoir eu à faire face à des dizaines de blessés
engorgeant leurs chambres et leurs salles d’opérations. Beaucoup
de patients sont morts dans les services d’urgence, tandis
qu’ils attendaient un traitement impossible. Ainsi, dans un
hôpital de district, un chirurgien orthopédiste a dû effectuer
treize fixations externes, en moins d’une journée.
L’on estime que, sur le nombre total des
blessés graves, 1 600 sont mutilés et resteront handicapés à
vie. Il s’agit d’amputés, de personnes ayant été atteintes à la
colonne vertébrale, de grand brûlés qui souffriront de
cicatrices invalidantes.
Des
facteurs spécifiques
Le tribut des morts et des blessés est
particulièrement élevé, à la suite de cette récente agression,
en raison de plusieurs facteurs :
Aucune échappatoire possible : Gaza étant
totalement cernée par l’armée israélienne, personne ne pouvait
échapper aux bombardements ni à l’invasion terrestre. Il n’y
avait, tout simplement, aucune échappatoire. Et à l’intérieur de
la bande de Gaza elle-même, les déplacements du nord vers le sud
étaient impossibles, les tanks israéliens ayant coupé la moitié
nord de la bande de Gaza de la moitié sud (trois sections ont
même été évoquées, ndt).
Il faut comparer cette situation avec celle
qui avait prévalu au Liban en 1982 et en 2006, la population
ayant pu, au Liban, fuir des zones de bombardement intense et
passer à une zone de calme relatif – à Gaza, cette option
n’existait pas.
A- La densité de la population
Gaza est très densément peuplé. Il est
insupportable de constater que les bombes utilisées par Israël
ont été des bombes de précision. Ces bombes ont un taux d’impact
de 100 % sur des buildings bondés de gens. Nous citerons les
exemples du marché central, des commissariats de police. Des
écoles, des immeubles de l’Onu, utilisés comme des abris (en
principe) sûr, des mosquées (quarante d’entre elles ont été
détruites) et les maisons et appartements de familles qui se
croyaient en sécurité, dès lors qu’il n’y avait pas de
combattants chez elles, ainsi que des appartements situés dans
des étages élevés des tours d’habitation ont été visés, une
seule bombe détruisant plusieurs familles à la fois. Ce modèle
de prise systématique et constante des civils pour cibles laisse
soupçonner que les objectifs militaires atteints n’étaient que
des dommages collatéraux, alors que les civils étaient, quant à
eux, les cibles visées en priorité.
B- La quantité et la qualité des munitions utilisées
(voir ci-dessus)
C - L’inexistence de moyens de défense, à Gaza, contre les armes
ultramodernes d’Israël
La bande de Gaza ne dispose ni de tanks, ni
d’avions, ni de missiles antiaériens, contre l’armée d’invasion.
Nous avons constaté cela de visu, lors d’un affrontement mineur
au cours duquel des obus de tanks israéliens ont été échangés
contre des tirs en retour palestiniens, à l’AK47. Le
déséquilibre entre les armes était tout simplement accablant.
D - L’absence d’abris bien construits, pour les civils
Malheureusement, même des abris
anti-bombardements répondant aux meilleures spécifications ne
résisteraient pas aux bombes perceuses de bunker (offertes à
l’armée israélienne par les Etats-Unis, ndt)…
Conclusion
Etant donné tout ce qui précède, la
prochaine agression contre la bande de Gaza serait tout aussi
catastrophique. La population de Gaza est extrêmement vulnérable
et totalement dépourvue de moyens de se défendre, dans
l’éventualité d’une nouvelle agression.
Si la communauté internationale est
sérieuse, comme elle le prétend, dans sa volonté d’empêcher un
nombre aussi catastrophique de morts et de blessés à l’avenir,
elle devra mettre au point une forme ou une autre de force
défensive pour la bande de Gaza.
Sinon, beaucoup d’autres civils vulnérables
continueront malheureusement à mourir.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier