La crise des relations entre Washington et
Jérusalem n’est pas nécessairement une mauvaise chose dans
l’optique de l’avancement du processus de paix. Bien entendu,
cette crise constitue pour l’administration Obama l’un des
problèmes les plus graves de sa politique étrangère en général
et pourrait modeler et influencer la politique américaine dans
la région pour les prochaines années.
Il est très important de faire la liste de
toutes les options politiques à la disposition de la diplomatie
américaine afin de parvenir à une issue positive. Ce qui a
réellement transpiré dans les médias n’est pas complètement
connu de l’opinion. Il y a des rumeurs, et seuls de rares faits
sont réellement connus. Ce qui suit est ce que j’ai pu
reconstituer - avec une réserve : si ce scénario est faux, alors
les projections peuvent elles aussi se révéler fausses. Mais
s’il est correct, la situation constitue de fait, peut-être, la
crise la plus grave que les relations entre Israël et les
Etats-Unis aient jamais connue
Avant la décision de la Ligue arabe de
soutenir le lancement de pourparlers, l’OLP présentait à
Mitchell un document de trois pages, dont des questions et des
positions fermes concernant le début des négociations. Ce
document comprenait : les négociations auront pour base la ligne
Verte ; elles devaient commençait là où les propositions d’Olmert
à Abbas finissaient ; elles devaient comprendre tous les sujets
liés à un accord de règlement final ; enfin, il devait y avoir
un gel total de la colonisation, dont Jérusalem, au cours des
négociations. Une source palestinienne, en général fiable, me
disait que le sénateur Mitchell avait remis à Abbas un document
avec réponses, dont des assurances américaines selon lesquelles
la construction à Jérusalem Est serait gelée pendant la période
des négociations.
Si cela est vrai, je ne peux que formuler une
hypothèse : Netanyahou était d’accord. Il est probable qu’il
était également d’accord pour qu’Israël n’annonce pas
publiquement cette décision. Encore une fois, si cela est exact,
alors le fait d’avancer sur le projet de planification des 1 600
logements à Ramat Shlomo, et en même temps sur d’autres plans
des commissions locales et régionales d’urbanisation,
constituait directement un abus de confiance à l’égard des
Etats-Unis. C’était donc plus grave qu’un simple
dysfonctionnement bureaucratique, et donc qu’une simple baisse
de la confiance entre les parties avant toute négociation. La
profondeur de la crise ainsi créée déterminait aussi la
profondeur des options politiques.
Il est certain que l’annonce faite par
Netanyahou à la Knesset, devant le président du Brésil, que peu
importait le dysfonctionnement et qu’Israël continuerait à
construire partout à Jérusalem Est, était le signe clair de la
décision de ce gouvernement d’aller au bras de fer avec Obama.
Cette annonce de Netanyahou suivait une
conversation téléphonique de 43 mn avec Hillary Clinton,
rapportée en détail par elle-même et par le Département d’Etat.
Hillary Clinton a trois exigences envers Israël : 1/ le retrait
du plan de 1 600 logements à Ramat Shlomo 2/ des gestes sérieux
aux Palestiniens, comme des libérations de prisonniers et des
levées de check points 3/ annoncer que tous les sujets
concernant le règlement final seraient sur la table des
négociations. La déclaration de Netanyahou sur la poursuite de
la construction à Jérusalem Est, après ces exigences
américaines, est une attaque frontale et directe contre
l’administration Obama, et ne peut être perçue autrement.
Si je lis correctement la carte politique,
Netanyahou, en coordination avec ses alliés au Congrès, l’AIPAC
et d’autres organisations juives, a décidé qu’Obama serait, pour
ce qui les concerne, le président d’un seul mandat. En
conséquence, ils cherchent à affaiblir le Président, quelles que
soient les répercussions sur la scène internationale. Les
élections de mi-mandat au Congrès ne sont que dans 8 mois, et la
carte stratégiques des compétitions de congressmen clés a été
tracée, avec le but de gagner les élections contre les membres
du Congrès les plus pro-Obama et les plus menacés. (Il se peut
que Netanyahou ait du mal à réussir dans ce projet. Cf. le
récent [1]
Ce défi posé au Président par le gouvernement
israélien sur la construction à Jérusalem Est est un défi qui
déterminera en grande partie la question de savoir si Obama est
perçu en Israël, dans la région et dans le monde comme un fort
ou un faible. Si l’administration américaine cède au
gouvernement israélien, après avoir fait de Jérusalem une telle
question d’importance, le prestige, la puissance et la force en
souffriront sévèrement. Ironie de la chose : Israël a besoin
d’un président américain fort pour s’attaquer à la communauté
internationale sur l’Iran, et ce défi d’Israël pourrait en fait
affaiblir les Etats-Unis et son président. Et le gouvernement
israélien ne voit pas que c’est lui qui a grimpé trop haut sur
l’échelle. En fait, on m’a posé la question deux fois ces deux
derniers jours, par des proches conseillers de Netanyahou :
« Qu’est-ce qui fera descendre les Palestiniens de l’échelle ? »
Pourquoi ce défi de Netanyahou ? D’une part,
parce que c’est sa position idéologique. D’autre part, à cause
des pressions de sa coalition, surtout de Lieberman et du Shass,
qui ont fait du sujet d’Israël contre le monde entier la
nouvelle vision du monde israélienne. Lieberman le dit tous les
jours, jamais plus nous ne céderons à une quelconque pression
internationale, nous forcerons le monde à respecter Israël ! Et
du côté du Shass, qui connaît lui aussi une crise de leadership,
Eli Yishaï bâtit son autorité sur la question de Jérusalem dont
il veut paraître comme le protecteur juif. Troisièmement, il y a
le scénario décrit ci-dessus d’une volonté d’affaiblir Obama et
de s’assurer qu’il n’aura pas de second mandat.
Avec l’actuelle coalition en Israël, il n’y a
absolument aucune chance d’avancer sur un processus de paix avec
les Palestiniens. Et il n’est pas du tout certain qu’il soit
possible d’avancer avec un Netanyahou au pouvoir. Mais on peut
espérer que la même dynamique qui a joué pour d’autres
dirigeants israéliens et les a menés à changer radicalement de
position pourrait arriver à Netanyahou. Ainsi que l’ont déclaré
Rabin, Sharon et Olmert, ce qu’on voit d’un endroit ne ressemble
pas à ce qu’on voit de l’autre.
Où serait l’intérêt des
Américains et que peuvent-ils faire ?
1. Reculer n’est pas une option. Si les
Américains cédaient à la pression d’Israël, l’administration
Obama serait considérée comme faible et sa politique incohérente
et inefficace. Le prestige présidentiel serait mis à mal et
Obama lui-même serait perçu comme un looser, ce qui aurait de
profondes répercussions pour la politique étrangère américaine
dans le monde entier, et en particulier au Moyen-Orient. Un
recul américain renforcerait également le mythe du pouvoir du
lobby juif aux Etats-Unis, ce qui pourrait provoquer directement
une montée de l’antisémitisme dans le monde. Ainsi, il est
essentiel pour le Président qu’Israël réponde au moins aux trois
exigences d’Hillary Clinton. Il est d’ailleurs probable que sa
position sortira renforcée de sa rencontre avec le Quartet,
prévue aujourd’hui à Moscou.
2. Une recomposition du gouvernement
israélien pourrait être une issue positive à la crise. Un
gouvernement composé du Likoud (27 députés), de Kadima (28) et
des travaillistes (13), avec au total 68 sièges, même avec
quelques députés récalcitrants au Likoud ou au Kadima, pourrait
en principe aller plus rapidement que la coalition actuelle.
Avec Lieberman, le Shass, La Torah unifiée et Habayit HaYehudi
dans l’opposition (il existe une possibilité que la Torah
unifiée et ses 5 sièges restent dans la coalition), Netanyahou
aurait bien plus de marge de manœuvre intérieure pour aller au
processus de paix (s’il le veut, bien sûr). Il est possible que
les Etats-Unis cherchent à faire avancer ce scénario, dans la
coulisse, bien entendu. A ma connaissance, les Américains
travaillent déjà à cette hypothèse.
3. Une troisième issue possible pourrait être
l’ouverture d’un canal secret de négociations - mais seulement
si Netanyahou est sérieux sur une possible avancée sur le
processus de paix. En fait cela serait recommandé même si les
pourparlers indirects devaient démarrer. Mais comment surmonter
l’impasse. Ici, je proposerais l’idée que je présentais déjà il
y a des mois : un processus imposé et non une négociation sur le
processus. En d’autres termes, les Américains présenteraient un
document, en public ou en secret, qui reprendrait le processus
de négociations, les paramètres de ce dont parleraient les
parties et le mécanisme des pourparlers (directs ou indirects,
ou passage de pourparlers indirects à directs). Ces paramètres
devraient inclure des déclarations comme : les négociations
seront menées en vue d’un accord définitif entre Israël et
l’OLP, sur la base d’accords précédents qui produiront la
cessation complète du conflit israélo-palestinien et se
fonderont sur la formule « deux Etats pour deux peuples ». Ces
négociations conduiront à la création d’un Etat palestinien à
côté d’Israël.
Sur le plan territorial, l’accord sera fondé
sur la ligne Verte de l’armistice de 1949, avec des échanges de
territoires sur le principe de 1 km2 pour 1 km2. Toutes les
questions relatives à un accord final seront sur la table, dont
Jérusalem, les frontières, les réfugiés, la sécurité, l’eau, les
relations économiques, etc. Les Etats-Unis serviront de
médiateur. Lorsque le médiateur le jugera nécessaire, il
soumettra aux parties des propositions de conciliation. Les
Etats-Unis s’engagent à ce que ces pourparlers débouchent sur
une issue positive et considèrent cette issue positive comme
l’un des objectifs politiques majeurs de l’administration Obama.
La lettre d’invitation au premier round de ces pourparlers sera
signée du président Obama lui-même. On verra bien si Netanyahou
ou Abbas refusent de venir. (Il est essentiel que les Etats-Unis
avertissent bien les parties des conséquences qu’aurait un
refus).
4. Il y a également l’option Thomas
Friedmann : laisser les parties mijoter dans leur jus. Il se
pourrait bien que ce soit l’option préférée de l’administration
Obama. Elle requiert un moindre effort, elle peut aussi se
révéler la moins dommageable pour le prestige du président, mais
c’est aussi l’option la plus dangereuse. Car il se développe,
partout en Cisjordanie, une « Intifada blanche » de
désobéissance civile massive et de confrontation directe avec
l’occupation [2].
Il est très peu probable que cette nouvelle Intifada demeure
non-violente, et il est plus que certain que l’armée y
répondrait massivement par la force. Tout le projet du
gouvernement de Salam Fayyad serait en danger et toutes ses
réussites de ces deux dernières années s’évanouiraient du jour
au lendemain. La droite israélienne monterait en puissance et
les distances entre Israël et les Etats-Unis s’élargiraient
encore.
5. Une autre option encore consisterait à
soutenir plus fort qu’aujourd’hui le plan Fayyad et son
gouvernement. Il existe des façons, pour les Etats-Unis, de
soutenir Fayyad économiquement et politiquement. Cela enverrait
un message très clair à Israël et au monde, et contribuerait à
une avancée, même en l’absence de négociations. Les Etats-Unis
pourraient exercer une pression sur Israël pour qu’il transfère
davantage de zones C à l’Autorité palestinienne, et travailler
avec le reste de la communauté internationale en préparant la
Palestine à un Etat. Cela pourrait également avoir des
conséquences internationales, comme un non-véto américain sur
une résolution qui accorderait à la Palestine le statut de
membre du Conseil de sécurité.
Pour les Etats-Unis, ne rien faire n’est pas
une option. Il serait d’ailleurs avisé de le faire, quelle que
soit l’option choisie, en collaboration avec tout le Quartet.
(2) cf.
http://www.lapaixmaintenant.org/article2037
Gershon Baskin
est le co-directeur israélien de l’IPCRI (Israel/Palestine
Center for Research and Information. www.ipcri.org