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Dissidentvoice
L’Aipac
et le mouvement anti-guerre aux Etats-Unis : portés disparus en
opération ?
Gabriel
Ash
on Dissidentvoice.org, 21 avril 2007
http://www.dissidentvoice.org/Apr07/Ash21.htm
Il devient de plus en plus clair, si jamais
cela a été obscur, que le Congrès à majorité démocrate
n’est pas en mesure de faire mettre une fin à la guerre en
Irak, voire même de stopper toute escalade que l’administration
Bush pourrait envisager. Le Congrès ne suspendra pas les
financements. Le congrès n’interdira même pas formellement à
Bush d’attaquer l’Iran. Tous les principaux espoirs démocrates
à la présidentielle ont adopté des positions soi-disant
anti-guerre vaseuses et passablement délayées, mais ils
endossent essentiellement la poursuite indéfinie de la présence
militaire américaine en Irak. Obama, Clinton et Edwards sont même
plus faucons, contre l’Iran, que ne l’est Bush. Si l’un
quelconque de ces trois venait à être élu en 2008, il ou elle
poursuivra [voire, accentuera] vraisemblablement l’escalade
actuelle dans ce conflit annoncé.
Pourquoi les démocrates ignorent-ils aussi
effrontément leur base électorale ? D’après Paul Krugman,
les démocrates sont « coupés de la base » parce
qu’ils sont hantés par des peurs irraisonnées et surannées,
et parce qu’ils ne comprennent pas que leur électorat
accueilleraient très favorablement une position anti-guerre
beaucoup plus ferme de leur part [1]. Mais si quelqu’un est coupé
de sa base, c’est bien Krugman ! Les démocrates lisent les
mêmes sondages que n’importe qui. Ils n’écoutent pas leur
base par ce que leur premier engagement est pour leurs mécènes
et les intérêts de la kleptocratie des grands trusts, à
laquelle ils appartiennent. Loin d’être mou, leur mépris
permanent des souhaits de leur électorat de base est l’indice
de leurs nerfs d’acier.
Selon une interprétation croissante, les démocrates
sont pieds et poings liés entre les mains de l’Aipac, la
principale organisation de lobbying israélien et un des
principaux propagandistes de la guerre. L’Aipac a soutenu la
guerre en Irak, et il s’attèle à pousser à la confrontation
armée avec l’Iran dès qu’il en a l’occasion. Le message de
Scott Ritter, Jeffrey Blankfort, James Petras et bien d’autres,
c’est que l’Aipac est la principale force qui a poussé à la
guerre contre l’Irak, et qui détermine la politique des
Etats-Unis au Moyen-Orient, de manière générale. L’adhésion
à la complicité de l’Aipac et d’autres forces sionistes dans
le maintien des Etats-Unis sur le pied de guerre au Moyen-Orient
devient de plus en plus consensuelle, et cela est dû en grande
partie aux interventions réussies des universitaires Mearsheimer
et Walt. John Walsh affirme que même les démocrates les plus
haut situés dans la hiérarchie admettent que l’Aipac est en
train de devenir pour eux un boulet – un boulet qui risque fort
de leur coûter leur succès aux prochaines électiosn [2].
Beaucoup, dans le camp de la gauche et
progressiste [am. liberal, ndt] refusent de reconnaître
l’importance politique de l’Aipac. D’aucuns, tel Stephen
Zunes, pensent que l’Aipac n’est qu’une marionnette
impuissante et qu’Israël est un valet docile de l’impérialisme
américain. Mais pas besoin d’être un négationniste fanatique
du lobby israélien pour démolir la théorie attribuant les mésaventures
US au Moyen-Orient essentiellement à l’Aipac.
Mersheimer et Walt sont des idéologues de
l’impérialisme, et leur compréhension de la politique américaine
est profondément erronée : les mots « trusts »,
« finance » et « capitalisme » sont tout
simplement absents de leur vocabulaire [3]. D’autres auteurs
sont aussi myopes qu’eux, mais d’une autre manière. A en
croire James Petras, les milliardaires qui ont installé Bush à
la Maison Blanche, en 2000, grâce à la campagne électorale la
plus richement dotée de toute l’histoire des Etats-Unis,
auraient été grugés par une cabale d’agents secrets israéliens
tels Wolfowitz, Perle et Feith, qui auraient envoyé les
Etats-Unis faire une guerre perdue d’avance, qui a pratiquement
mis le pays en faillite économique, porté atteinte aux
perspectives de toutes leurs principales firmes pétrolières et
menacé les points forts dans le monde des firmes américaines, le
tout, en raison de leur engagement sioniste [4].
Le fait que la classe des milliardaires américains
ait repiqué au truc et ait soutenu Bush en 2004, à nouveau,
devrait être attribué à son masochisme et à son désir de
perdre encore plus de fric ! [5] Le sionisme est une idéologie
retorse, et l’Aipac est une organisation puissante. Néanmoins,
la vision avec des œillères, selon laquelle le sionisme serait
le principal déterminant de la politique américaine n’est que
la dernière version en date du mythe classique du poignard dans
le dos [6]. La seule chose que je sois en mesure d’offrir à
ceux qui gobent ce conte de fées en croyant que la politique américaine,
faisant abstraction du pouvoir des trusts, du complexe
militaro-industriel, des pétrodollars, des conflits
d’accumulation [du capital] et de la lutte des classes, c’est
un paquet d’actions Enron à prix d’ami !
Le fait de rejeter cette vision avec des œillères,
toutefois, ne justifie en rien le refus pleutre des associations
anti-guerre progressistes et de gauche de défier l’Aipac.
Malheureusement, le camp de gauche et progressiste comporte
beaucoup de ceux qui utilisent la complexité théorique comme
excuse pour leur inaction pratique. A titre d’exemple, je
parlerai de Mitchell Plitnick du mouvement : « Jewish
Voice for Peace » [Une voix juive pour la paix ».
Plitnick prétend vouloir « défier » l’Aipac ;
mais en réalité, il fait tout ce qu’il peut pour protéger
cette organisation contre toute critique.
L’occasion de sa dernière intervention en
ce sens fut le succès remporté par l’Aipac à expurger du
projet de loi sur le budget la clause requérant l’autorisation
du Congrès pour toute attaque contre l’Iran [7]. Plitnick
reconnaît que « l’Aipac a certes fait un lobbying intense
pour obtenir la suppression de cet article. Mais dire que ce
lobbying fut la cause, voire même un facteur majeur, dans le
retoquage de cette clause, serait contraire à la réalité
objective. » Après quoi il explique avec un niveau de détail
stupéfiant les raisons pour lesquelles cette clause était vulnérable,
expliquant qu’elle aurait sans doute été supprimée, sans que
l’Aipac fût intervenu d’une quelconque manière. J’imagine
qu’il a raison ; il y a beaucoup de forces politiques,
culturelles et financières, Israël mis à part, qui poussent les
Etats-Unis à la confrontation
avec l’Iran, et qui auraient œuvré pour éliminer cette
clause. Mais n’ayant pas la possibilité de vérifier ces
arguments contraires, je ne suis pas en mesure de vérifier ce qui
se serait produit si l’Aipac n’avait pas été impliqué, et
Plitnick non plus. Le seul fait que nous puissions affirmer, lui
comme moi, c’est que l’Aipac a fait un lobbying d’enfer, et
avec succès, afin d’affaiblir toute opposition du Congrès à
une escalade potentielle de la guerre [contre l’Iran, ndt].
L’argument invoqué par Plitnick ressemble à une parodie de
droite de ces marxistes qui pensent que l’analyse structurale
signifie que les agents individuels ne seraient jamais
responsables de leurs actes.
Plitnick cautionne les critiques selon
lesquelles « la puissance du ‘lobby israélien’ ont
toujours été exagérées ». Nul doute qu’il y ait
toujours eu des voix marginales affirmant que la politique
moyen-orientale des Etats-Unis aurait été entièrement dominée
par des « intérêts » israéliens. Je suis d’avis
que c’est faux. Mais, d’une certaine manière, Plitnick oublie
que la grande majorité des commentateurs consensuels,
progressistes et de gauche, de la politique américaine ont
toujours presque totalement ignoré le Lobby dans leurs analyses.
Peut-être Plitnick oublie-t-il qu’y compris beaucoup de ceux
(dont je fais partie) qui ont critiqué l’essai de Mearsheimer
et Walt, qui fit l’effet d’une bombe ne purent que saluer le
fait que quelqu’un, à Harvard, ait bel et bien remarqué que le
Lobby existait bel et bien.
Arguant du fait que nous ne devrions jamais
ni surestimer, ni sous-estimer le Lobby, Plitnick conseille de le
défier « en faisant un travail d’entrisme politique avec
beaucoup de compétence », car (sic) « il ne s’agit
pas d’une organisation sinistre, mais simplement d’une
organisation qui joue le jeu de la politique américaine, aussi
bien que n’importe qui, et mieux que la plupart… »
Autrement dit : n’accusez pas l’Aipac ! Le jeu
politique américain est sans doute corrompu et dominé par
l’argent. Et si l’Aipac réussit tellement bien à faire
avancer sa cause, c’set parce qu’ils usurpent l’identité
juive mieux que n’importe qui d’autre. Au lieu de geindre,
nous devrions essayer de les surpasser, sans doute en usurpant
plus fortement notre propre identité. Après tout, les règles du
jeu sont comme ça, alors : que le meilleur gagne !
C’est ce que Plitnick appelle « relever
le défi » de l’Aipac. Je suppose que Plitnick
recommanderait à ceux qui dénoncent la manière (inhumaine, ndt)
dont Nike traite ses ouvriers de « relever le défi »
de Nike en créant une entreprise concurrente produisant des
chaussures de sport !
Même si nous admettions le scepticisme théorique
de Plitnick concernant la puissance de l’Aipac (et je
l’accepte pour partie), il n’en reste pas moins que ses
recommandations pratiques sont non seulement une capitulation
devant l’Aipac, mais même, en réalité, une des composantes
importantes de son pouvoir. Les démocrates savent que les groupes
de base de la gauche progressiste, grâce à des gens comme
Plitnick, préféreraient se tirer une balle dans le pied gauche
plutôt que de proférer un mot peu aimable au sujet d’une
organisation soi-disant « juive ». Accuser l’Aipac
est par conséquent la meilleure stratégie, pour le leadership démocrate,
pour gérer la tension croissante entre sa base en colère et ses
clients appartenant à l’élite. C’est là un arrangement qui
aide l’Aipac à faire la promotion de l’agenda des fauteurs de
guerre, sans aucune opposition. Ceux auprès de qui l’Aipac fait
la promotion dudit agenda, ça n’est que considération
secondaire. Nul besoin d’adhérer au conte de fée total raconté
par Petras et d’autres pour comprendre ces faits, simples et
incontestables :
- l’Aipac fait un lobbying agressif en
faveur de la guerre ;
- l’Aipac est extrêmement bien financé,
extrêmement bien introduit et extrêmement efficace sur la
colline du Capitole ;
- l’Aipac est une organisation vouée à
subvertir une démocratie au sens plein de ce terme.
Le mouvement anti-guerre a-t-il besoin de
raisons supplémentaires pour relever les manches et commencer à
réellement contrer la plaidoirie de l’Aipac en faveur de la
guerre ?
Défier l’Aipac, toutefois, cela ne doit en
aucun cas signifier que l’on cherche à tenter d’en égaler
l’influence corruptrice. Défier l’Aipac, cela signifie défier
le jeu lui-même, sa légitimité, et celle de ceux qui y jouent.
Il est inadmissible que des lobbyistes stipendiés, représentant
les intérêts d’on se fout pas mal de qui, d’imposer une
guerre au Moyen-Orient et à l’opinion publique américaine.
Ceux qui font cela ne sauraient être des expressions démocratiques
légitimes. Ce sont vraiment des gens sinistres. Et il faut
absolument les arrêter. Le tribut des morts, en Irak, est en
train d’atteindre les 700 000, et il dépasserait très
bientôt le million si nous ne mettons pas un terme à la guerre.
Une organisation au budget annuel de 60 millions de dollars, qui a
fait du lobbying, usant de la flagornerie et de la menace, dans
les coulisses, en faveur de ce carnage, l’année dernière, et
qui œuvre à le perpétuer aujourd’hui, et peu importe qu’il
ait été ou non seul dans cet effort, est une entreprise de crime
organisé, et pas un groupe légitime de la « société
civile ». Ces gens devraient être aussi « bien »
reçus au Congrès qu’Al Capone !
Il est grand temps de lancer une campagne,
soutenue par toutes les associations anti-guerre, afin de
contester la légitimité de l’Aipac. Fomenter une guerre désastreuse
contre l’Iran comme le fait cette organisation, c’est une acte
de lobbying illégitime et inacceptable de la « communauté
juive ». La présence écrasante de l’Aipac sur Capitol
Hill, et la volonté générale des représentants à la Chambre
de continuer à recevoir leur feuille de route de cette
organisation, quelles qu’en soient les raisons, sur des
questions de politique étrangère : voilà une situation
inacceptable et moralement indéfendable dans un pays démocratique,
et peu importe l’interprétation des uns ou des autres sur les
sources premières du pouvoir de l’Aipac.
Le mouvement anti-guerre doit exiger que les
législateurs retournent à l’envoyer toutes les contributions
de tous les fomenteurs de guerre, y compris l’Aipac
(essentiellement à travers ses organisations satellites, les
PAC), et tous ceux qui lui sont affiliés. L’Aipac doit être
soumis à une enquête criminelle, ainsi que tous ceux qui ont
subverti le fonctionnement des agences gouvernementales lors de
leur campagne en faveur de la guerre contre l’Irak. Les législateurs
qui prétendent s’opposer aux guerres de Bush ne devraient pas
être autorisés à tergiverser et à se cacher derrière l’Aipac.
Ils devraient être mis en demeure de choisir entre écouter l’Aipac
et écouter le soutien de leur base électorale. Le mouvement
anti-guerre devrait aussi lancer un appel à toutes les
organisations juives afin qu’elles désavouent l’agenda
pro-guerre de l’Aipac et à entreprendre des actions afin de le
réduire au silence. L’Aipac, en tant qu’outil de fomentation
de guerre, doit être interdit. Il devrait être démantelé,
fustigé et si possible dissout. C’est le devoir du mouvement
anti-guerre, d’agir en ce sens.
Si vous êtes anti-guerre, alors vous êtes
aussi anti-pro-guerre !
Si vous trouvez des excuses à ceux qui défendent
la légitimité d’un lobbying pro-guerre effectif, vous n’êtes
pas un militant pacifiste, vous êtes un facilitateur de guerre.
Fomenter la guerre est inadmissible. Personne
ne devrait pouvoir le faire et s’en tirer indemne. Subvertir la
démocratie aux fins de déclencher une guerre est non seulement
inadmissible, c’est criminel. Et personne ne devrait pouvoir échapper
à ses responsabilités ?
C’est aussi simple que ça.
[* adresse mél de Gabriel Ash Gabriel :
g.a.evildoer@gmail.com
]
traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Références :
[1] :
Paul Krugman, "Way
Off Base," New York Times, April 16, 2007.
[2] : John Walsh, "Why
is the Peace Movement Silent About AIPAC?," CounterPunch,
April 17, 2007.
[3] : See my
extended appraisal.
[4] : Hagit Borer, James Petras, and Norman Finkelstein,
"The
Pro-Israel Lobby Debate," Dissident Voice, April 17,
2007.
[5] : L’idée selon laquelle la classe dirigeante américaine
aurait été au final lésée par l’aventurisme de Bush exige
qu’on s’engage à ne jamais lire les pages financières des
journaux, de même que la croyance selon laquelle l’Aipac ne
serait qu’un valet de l’ « impérialisme américain »
requiert de s’engager à ne jamais lire Ha’aretz ni les
journaux de la communauté juive des Etats-Unis.
[6] : Kevin Baker, "Stabbed
in the Back," Harper's, June 2006.
[7] : Mitchell Plitnick, "Over-Estimating
AIPAC: The Iraq Spending Bill and the Stricken Language on Iran,"
The Third Way, March 25, 2007.
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