Opinion
Quand
l'interventionnisme humanitaire perd ses
lettres de noblesse
Françoise Compoint
© Thierry
Meyssan
Jeudi 26 septembre 2013
Dans un récent article publié
sur le site du
Réseau Voltaire,
Thierry Meyssan évoque la fin du
colonialisme français. Il dit « français
», mais peut-être devrions-nous
généraliser en disant atlantiste.
Lorsque, constate-t-il,
Poutine écrit dans le New York Times
« que la guerre de Syrie oppose
l’Etat au djihadisme international
» et qu’Hollande, dans un même temps, «
affirme à TF1 qu’il s’agit
d’une guerre pour la démocratie », on se
sent gagné par un étrange sentiment de
dissonance cognitive.
C’est à peu près le même
sentiment que l’on éprouve lorsque M.
Hollande reçoit à l’Elysée des princes
saoudiens, représentants d’un pays où
l’on coupe la tête aux poètes révoltés.
C’était le même sentiment que l’on
éprouvait lorsque Sarkozy entretenait
des relations privilégiées avec le Qatar
en vociférant contre le méchant Kadhafi.
Toujours et encore, même sentiment
d’incohérence lancinante qui nous gagne
quand on voit le nombre de morts
accumulés chaque année en Irak et en
Lybie, deux pays brillamment «
démocratisés ». Or, s’il faut établir un
bilan humain, mettons, pour l’Irak, il
est de 500 morts durant la période
août-septembre. La Lybie, naguère pays
économiquement rayonnant (PIB le plus
élevé d’Afrique), sur le point de créer
un dinar or, s’est transformée en «
base-arrière d’un djihadisme maghrébin
en mutation » pour reprendre
l’expression du site
maghrebemergent.
Fait curieux, mais relevons
le quand même, toutes les interventions
soi-disant humanitaires de ces dernières
années visaient, de un, des états
profondément souverains et forts sur le
plan économique, de deux, des états
musulmans modérés. Le résultat est
partout identique, il suffit de revenir
bien en arrière pour voir ce qui reste
de l’Afghanistan, un pays où,
référez-vous aux (relativement) vieilles
photos de Kaboul, le hidjab, s’il faut
un symptôme particulièrement visible,
faisait plus l’exception que la règle.
Mais il fallait alors un instrument pour
contrer l’exaspérante puissance de
l’URSS, il fallait inventer un Ben
Laden, emblème baroque du terrorisme
international, pour, primo, brosser le
portrait d’une menace ambiante qui en
perspective justifierait toute
intervention occidentale dans le monde
musulman, secundo, sèmera le chaos aux
frontières soviétiques. Chose projetée,
chose faite. Ben Laden a grandi et pris
du poids pour, à la longue, muter en
l’image ô combien grandiloquente du djihadisme universel.
Inutile de disserter sur
l’identité de cette mouvance guerrière
infernale, il suffit d’aller faire un
tour dans les quartiers occupés de
Syrie. Ce qui compte, c’est que par la
suite elle a été récupérée pour
accentuer les clivages
intraconfessionnels au sein de l’islam
en jouant sur les points de rupture
entre chiisme et sunnisme tout en
permettant de diaboliser le monde
musulman dans son ensemble, les
amalgames gagnant l’esprit collectif à
une vitesse cosmique. La première étape,
c’est-à-dire l’exacerbation des
contradictions confessionnelles,
intervient dès lors que ceux qui se
prennent pour les « seigneurs » de ce
monde taxent tel ou tel dirigeant de
dictateur. Comme le plus souvent ces
mêmes dictateurs dits « sanguinaires »
ne jouissent guère du soutien des
radicaux, contrairement à la majorité de
la population civile qui elle a bien
voté pour ce « terrible dictateur »,
l’Occident commence à jouer sur les
contradictions cette fois politiques,
secouant conformément à la tradition
n’importe quelle société. Ces lames de
fond sociales faciles à manipuler au
moyen de fauteurs de troubles infiltrés
et dûment payés créent l’illusion d’un
soulèvement populaire massif contre un
oppresseur à moitié imaginaire,
soulèvement devant donner lieu à un
processus de « démocratisation »
vivement soutenu mais à leur manière par
les djihadistes. Ce schéma s’applique
tour à tour à l’Irak, à la Lybie, à la
Syrie cette fois à la seule différence
que cette dernière tient toujours grâce
à l’intercession sino-russe.
Comme la Syrie donne bien
du fil à retordre au bloc otanien et que
celui-ci est à court d’arguments, les
pires mensonges ressortent au grand
jour.
C’est ainsi que lors de la
conférence de presse du 17 septembre qui
s’est tenue à Moscou, Fabius a usé d’un
argument qui discrédite d’emblée tout le
travail réalisé par les services de
renseignement français en disant ceci :
à l’époque, nous avions envoyé nos
services secrets en Irak pour savoir
s’il y avait sur son territoire des
armes de destruction massive. Comme il
n’y en avait pas, nous ne nous y sommes
pas aventurés. En revanche, comme ces
mêmes services ont attesté l’existence
d’un arsenal chimique sur le territoire
syrien et ont démontré qu’il avait été
exploité par le « régime », nous avons
jugé bon de préparer une intervention.
Comme je ne doute en aucun cas des
capacités intellectuelles de M. Fabius,
j’en déduis qu’il prend ses auditeurs
pour des amnésiques ou des ignares
achevés sachant que M. Hussein avait
plus d’une fois employé le sarin contre
les forces iraniennes et que les
représailles de 1988 contre les Kurdes
étaient bel et bien son œuvre. Il est
vrai que, quelques minutes plus tard,
parlant du drame de la Ghouta, M. Fabius
avait évoqué la « deuxième plus grande
attaque chimique » depuis 1988.
Mettons-nous donc à sa place : il
faudrait soit reconnaitre que les
attaques perpétrées sous l’égide de la
CIA ne sont pas des massacres comme
tels, soit reconnaitre que la notion
d’intervention dite humanitaire s’opère
à la carte, c’est-à-dire en fonction de
l’intérêt atlantiste et que, partant,
motifs réels et prétextes se valent.
C’est ainsi que,
l’impartialité du service de sécurité
ayant des limites bien cernables, le
rapport des experts russes sur la nature
du gaz sarin utilisé n’a pas été
exploité comme il se devrait par la
Communauté internationale. Or, ce
rapport met le doigt sur la nature
essentiellement artisanale du sarin
disséminé à Alep. Le même type de gaz
avait été disséminé dans la banlieue de
Damas dans la nuit du 20 au 21 août.
Cette unilatéralité révélatrice dans le
traitement de l’information s’est déjà
manifestée dans l’épisode du mois de mai
avec les 12 rebelles arrêtés à la
frontière par les autorités turques
parce qu’ils transportaient 2 kg de gaz
sarin. Comment se fait-il que M. Fabius
ne se soit alors pas indigné ?
En somme, si les cas
irakien et libyen ont été trop
promptement « traités » pour susciter
une réflexion plus ou moins critique de
la part des partis neutres, le cas
syrien reflète quant à lui l’échec de
plus en plus flagrant de la
désinformation. Or, tout
interventionnisme supposément
humanitaire se fonde sur la
désinformation. De même reflète-t-il la
mauvaise foi de ceux qui déstabilisent
le Moyen-Orient au nom d’un colonialisme
qui finira par se retourner contre les
colonisateurs eux-mêmes. Perdant le
contrôle de la situation en Syrie, ceux
qui ont cru triompher dans les guerres
ayant suivi le 11.09 se perdent dans
leurs propres compilations mensongères,
enterrant peu à peu la notion jusque là
surexploitée d’intervention humanitaire
armée.
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La Voix de la Russie
Publié le 27 septembre 2013
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