Tunisie
Le salafisme en
Tunisie,
un outil au service de l'Arabie saoudite
Fouad
Bahri
Jeudi 13
septembre 2012
La recrudescence
de violences commises par des
salafistes, au lendemain de la
révolution tunisienne, marque-t-elle un
tournant politique majeur dans
l’histoire de ce pays où naquit le
printemps arabe?
Par
Fouad Bahri
(Zaman
France)*
Pour les experts interrogés par Zaman
France, si le phénomène salafiste n’est
pas récent dans le monde musulman, le
soutien politique et financier saoudien
lui ont permis de gagner en puissance.
Depuis la chute du régime de Ben Ali,
les Tunisiens font face à une nouvelle
menace: l’émergence visible et violente
de groupuscules salafistes. En quelques
semaines, les attaques impliquant des
éléments de cette mouvance religieuse
radicale se sont multipliées.
L’agression d’un élu français, Jamel
Gharbi, à Bizerte, le 16 août dernier,
celle du quartier de Sidi Bouzid où des
dizaines de salafistes ont fait 7
blessés ou encore l’annulation de la
représentation du spectacle ‘‘Made
in Tunisia, 100 pour cent halal’’
de l’humoriste Lotfi Abdelli dans la
localité de Menzel Bourguiba, ont
illustré violemment la montée en
puissance de cette tendance
ultra-minoritaire mais très active.
Comment comprendre ce phénomène qui a
frappé également d’autres pays du monde
arabe comme l’Egypte ou d’Afrique noire
tels que le Mali ou la Somalie?
En Tunisie, «on a l’impression
que les salafis viennent de nulle part
alors qu’ils sont d’implantation
lointaine», explique Samir Amghar,
spécialiste de ce mouvement et auteur du
livre ‘‘Les islamistes au défi du
pouvoir’’ (Michalon). «Ils
étaient tout juste tolérés sous Ben Ali;
on laissait faire car ils ne prônaient
pas l’action armée, étaient apolitiques
et très critiques à l’égard des autres
mouvements islamistes», précise le
sociologue.
L’équation
géopolitique saoudienne
Toutefois, la recrudescence de leur
activisme serait aussi l’une des
conséquences du printemps arabe. «Depuis
la révolution tunisienne, on assiste à
un développement du salafisme qui est la
conjonction de trois facteurs : le
retour de salafis installés en Europe
après la chute de Ben Ali, de
djihadistes partis en Irak et la
libération de militants ultra-radicaux
des prisons tunisiennes», ajoute
Samir Amghar.
Si elles ont toujours existé dans les
pays musulmans, les tendances salafistes
ont néanmoins bénéficié d’un soutien
extérieur, à la fois financier et
politique, clairement identifié et qui
les ont nettement renforcées.
Pour Mohamed-Ali Adraoui, chercheur
et enseignant à Sciences Po-Paris sur le
monde arabe, «leur émergence est
l’une des conséquences et l’un des
outils de la politique étrangère
saoudienne». «Depuis la guerre
en Libye, poursuit-il, l’Arabie
saoudite a adopté une politique plus
proactive pour empêcher l’émergence de
pôles qui pourraient lui nuire. Le
calcul qui a consisté à financer et
appuyer l’émergence des mouvements
salafistes est fait par certains
dirigeants saoudiens».
Ainsi, en Egypte, le résultat
impressionnant du parti politique
salafiste An-Nour aux dernières
élections a été rendu possible par le
soutien financier de plusieurs millions
de dollars en provenance de Ryad. Un
soutien décisif car «moins d’un an
avant les élections égyptiennes, An-nour
ne voulait pas faire de politique»,
précise M. Adraoui.
Ennahdha
joue-t-il un double jeu?
A quels objectifs obéit ce soutien
saoudien? D’après Samir Amghar, à des
considérations purement géopolitiques
éloignées de toute motivation
religieuse. «Il faut savoir que les
Frères musulmans sont financés par le
Qatar. En arrière-cour, se joue une
sorte de guerre entre ces deux pays qui
luttent pour le leadership islamique sur
le monde musulman et avoir des relais
pro-qataris ou pro-saoudiens dans ces
pays là. Ils font le pari qu’à un moment
ou à un autre, ces partis auront le
pouvoir», dit-il.
Dans cette compétition politique, les
mouvements salafistes sont utilisés
comme un moyen de faire barrage aux
Frères musulmans dont se méfie
pleinement Ryad. «Les relations
entre l’Arabie saoudite et les Frères
musulmans se sont détériorées»,
confirme Mohamed-Ali Adraoui. «Une
partie des dirigeants des Frères
musulmans voudrait faire des ouvertures
à l’Iran ce qui a soulevé la crainte que
l’Egypte s’éloigne des Etats-Unis et de
Ryad», précise encore le chercheur
à Sciences Po. Mais les relations entre
Frères musulmans et mouvements
salafistes pourraient être plus ambigües
qu’elles ne le paraissent a priori.
Selon Samir Amghar, une convergence
idéologique et un certain opportunisme
politique auraient poussé les leaders d’Ennahda,
actuellement au pouvoir à Tunis, à
instrumentaliser les groupes salafistes.
«On a l’impression, dit-il,
même s’il faut le recouper par des
entretiens et des témoignages, qu’il y a
une instrumentalisation, de la part des
islamistes tunisiens, des salafistes,
pour capitaliser leur succès sur leur
propre parti. C’est une manière pour eux
de sous-traiter le champ islamique. Les
Frères musulmans vont tenir des postures
officielles hyper-consensuelles. En même
temps, leur base leur réclame d’avoir
des postures un peu plus radicales,
qu’ils ne peuvent pas avoir et qu’ils
vont donc déléguer aux salafis».
Parler
d’islam pour ne pas parler du chômage
Abou Iyadh,
le leader des salafistes tunisiens.
Les salafistes rempliraient ainsi une
double fonction de soutien politique
mais aussi de contrefeux social pour les
responsables islamistes tunisiens. «Ennahdha
se sert des salafis comme d’un
épouvantail pour dire: ‘‘vous nous
accusez d’être des radicaux! Or, il y a
pire’’», confirme Samir Amghar,
tandis que la focalisation sur la
question religieuse permet de faire
diversion sur la crise économique et
sociale traversée par le pays. «Il
est plus facile de se prononcer pour
plus d’islam dans la société que de
mettre en place une politique de lutte
efficace contre le chômage»,
remarque le sociologue.
Une analyse qui n’est pas partagée
par Mohamed-Ali Adraoui. Le chercheur
croit en effet qu’«il y a une
impossibilité à court terme (en
Tunisie) de combattre les groupes
salafistes». «Les gens d’Ennahdha
sont sur la défensive et ne peuvent pas
faire ce qu’ils veulent. Les salafis
sont plutôt une épine dans leurs pieds»,
conclut M. Adraoui.
* Directeur du site Zaman France.
*Le titre est de la rédaction.
Source :
‘‘Zaman France’’.
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Publié le 13 septembre 2012 avec
l'aimable autorisation de Kapitalis
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