Opinion
Le mieux et le plus
intelligent
Fidel Castro Ruz
Fidel Castro - Photo:
RIA Novosti
Jeudi 31 mars 2011
Hier, pour des motifs d’espace et de temps, je n’ai dit mot du
discours sur la guerre de Libye que Barack Obama a prononcé le
lundi 28. Je disposais d’une copie de la version officielle
distribuée à la presse par le gouvernement étasunien. J’avais
souligné certaines choses. Je l’ai révisé et je me suis
convaincu qu’il ne valait guère la peine de trop dépenser de
papier à ça.
Je me suis rappelé ce que m’avait raconté
Carter – quand il nous a rendu visite en 2002 – sur la
sylviculture aux USA, car il possède une plantation familiale en
Georgia. À cette visite-ci, je lui ai posé à nouveau des
questions sur cette plantation et il m’a confirmé qu’il semait
des pins séparés par une distance de trois mètres sur deux, soit
mille sept cents arbres par hectare, et qu’on les récolte tous
les vingt-cinq ans. J’ai lu voilà bien des années que le papier
de la livraison dominicale du
New York Times
exigeait l’abattage de quarante hectares de forêt. On comprendra
dès lors mon souci d’économiser du papier…
Bien entendu, Obama est un excellent
enfileur de grands mots et de belles phrases. Il pourrait gagner
sa vie à écrire de contes pour enfants. Je connais son style
parce que la première chose de lui que j’ai lue et soulignée
avec respect, bien avant qu’il n’accède à la présidence, est son
livre Les Rêves de mon
père, ce qui m’a permis de constater que son auteur savait
choisir le mot exact et la phrase idoine pour forcer la
sympathie des lecteurs.
J’avoue ne pas avoir apprécié sa tactique du suspense et sa
façon d’occulter ses idées politiques à lui jusqu’au bout.
J’avais fait un effort spécial pour ne pas aller chercher au
dernier chapitre ce qu’il pensait de différentes questions qui
sont à mon avis cruciales en cette étape de l’histoire humaine.
J’étais convaincu que la profonde crise économique, les dépenses
militaires colossales et le sang jeune versé par son
prédécesseur républicain l’aideraient à battre son adversaire à
la présidence malgré les énormes préjugés raciaux de la société
étasunienne. J’étais conscient qu’il courait le risque d’être
éliminé physiquement.
Pour des raisons de politicaillerie traditionnelle qui coulent
de source, il était allé quêter, avant les élections, les voix
des anticubains de Miami, dirigés pour la plupart par des
réactionnaires nostalgiques de Batista qui ont converti les USA
en une république bananière où la fraude électorale a déterminé
rien moins que le triomphe de W. Bush en 2000 et écarté un futur
Prix Nobel, Al Gore, le vice-président de Clinton et candidat à
la présidence.
Un sens de la justice
élémentaire aurait dû conduire le
président Obama à rectifier les conséquences du procès infâme
qui a abouti à l’incarcération inhumaine, cruelle et
particulièrement injuste des cinq patriotes cubains.
Son message sur l’État de l’Union, ses
discours au Brésil, au Chili et en El Salvador, la guerre de
l’OTAN en Libye m’ont contraint à souligner son discours sur
la Libye encore plus abondamment que son
autobiographie.
Qu’est-ce
qu’il y a de pire dans ces déclarations et comment expliquer les
quelque deux mille cinq cents mots que contient la version
officielle ?
Sur le plan intérieur, sa carence totale de réalisme place son
heureux auteur aux mains de ses pires adversaires qui souhaitent
l’humilier et se venger de sa victoire électorale de novembre
2008. La punition qu’ils lui ont infligée fin 2010 ne leur
suffit pas.
Sur le plan extérieur, le monde a mieux pris conscience de ce
que le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’OTAN et
l’impérialisme yankee signifient pour de nombreux peuples.
Je vais être aussi bref que j’ai promis.
Pour commencer, Obama a commencé par affirmer que les troupes
étasuniennes « étaient en
train de freiner le dynamisme des Talibans en Afghanistan et de
traquer Al-Qaeda à travers le monde entier ».
Et d’ajouter presque aussitôt : « Des
générations durant, les États-Unis d’Amérique ont joué un rôle
unique en tant que bastion de la sécurité mondiale et défenseur
de la liberté humaine. »
Une vérité dont – tous les lecteurs le savent – peuvent attester
les Cubains, les Latino-Américains, les Vietnamiens et bien
d’autres.
Après une profession de foi aussi
solennelle, Obama consacre une bonne partie de son temps à
parler de Kadhafi, de ses horreurs et des motifs pour lesquels
les États-Unis et leurs « alliés
les plus proches – le Royaume-Uni, la France, le Canada, le Danemark, la Norvège, l’Italie,
l’Espagne, la
Grèce et
la Turquie, tous pays qui se sont battus à nos
côtés durant des décennies […] ont décidé d’assumer leurs
responsabilités de défendre le peuple libyen. »
Et d’annoncer un peu plus loin :
« …l’OTAN
a pris le commandement pour faire appliquer l’embargo sur les
armes et la zone d’interdiction aérienne ».
Puis il confirme les objectifs de la décision :
« Par
suite de cette transition à une coalition plus vaste basée sur
l’OTAN, les risques et les coûts de cette opération pour nos
militaires et les contribuables étasuniens se réduiront
significativement.
« Je
tiens donc à être clair à l’adresse de ceux qui doutaient de
notre capacité à mener cette opération : les États-Unis
d’Amérique ont fait ce que nous avions dit que nous ferions. »
Il
distille ensuite ses obsessions sur Kadhafi et révèle les
contradictions qui l’agitent :
« …Kadhafi n’a pas encore abandonné le
pouvoir, et tant qu’il ne le fera pas, la Libye
restera un danger.
[…]
« Il est vrai que les États-Unis ne peuvent pas utiliser leur
armée partout où il y a une répression. Et, compte tenu des
coûts et des risques d’une intervention, nous devons toujours
soupeser nos propres intérêts et la nécessité d’une action.
[…]
« La tâche que j’ai assignée à nos forces – protéger le peuple
libyen […] – est en accord avec un mandat de l’ONU et avec un
appui international.
Et
puis, son obsession, encore et toujours :
« Si nous nous efforcions de renverser Kadhafi par la force,
notre coalition se scinderait. Pour remplir cette mission, nous
devrions envoyer des troupes étasuniennes à terre ou risquer de
tuer de nombreux civils depuis les airs.
[…]
« …nous sommes pleins d’espoir en l’avenir de l’Iraq. Mais le
changement de régime a coûté huit années, des milliers de vies
étasuniennes et iraquiennes et presque trois milliards de
dollars. »
Quelques jours après le début des bombardements de l’OTAN, on a
appris qu’un chasseur-bombardier étasunien avait été abattu. Une
nouvelle qu’une source a confirmée ensuite. Des paysans, en
voyant descendre un parachute, ont fait ce qu’on fait par
tradition en Amérique latine : ils se sont approchés pour prêter
secours, le cas échéant. Nul ne pouvait savoir comment ils
pensaient. C’étaient vraisemblablement des musulmans, des gens
qui faisaient produire la terre et qui ne pouvaient pas être
partisans des bombardements. Soudain, un hélicoptère est apparu
pour récupérer le pilote et leur a tiré dessus, blessant
grièvement l’un d’eux et ne les tuant pas tous par miracle. Les
Arabes, on le sait, sont traditionnellement hospitaliers envers
leurs ennemis, les logent sous leur propre toit et se retournent
pour ne pas savoir par où ils repartent. Ni un lâche ni un
traître ne représente jamais l’esprit d’une classe sociale.
Seul un Obama pouvait nous débiter la curieuse théorie qui
apparaît à un moment donné de son discours :
« Il y aura toutefois des occasions où, même si notre sécurité
n’est pas directement menacée, nos intérêts et nos valeurs le
seront. […] …nous savons qu’on réclamera souvent l’aide des
États-Unis, comme la nation la plus puissante du monde.
« En ces cas, nous ne devons pas avoir peur d’agir, mais le
poids de l’action ne doit pas retomber uniquement sur les
États-Unis. Au contraire, tout comme nous le faisons en Libye,
notre tâche est de mobiliser la communauté internationale en vue
d’une action collective. […]
« Tel est bien le genre de leadership dont
nous faisons preuve en Libye. Bien entendu, même si nous
agissons dans le cadre d’une coalition, les risques de n’importe
quelle action militaire seront élevés. On a pu constater ces
risques quand un de nos avions a eu des ratés en survolant
la Libye. Or,
quand un de nos aviateurs a sauté en parachute, dans un pays
dont le dirigeant a si souvent satanisé les États-Unis, dans une
région qui a eu des relations si difficiles avec notre pays, cet
Étasunien n’a pas rencontré d’ennemis, au contraire, il a été
accueilli par les gens à bras ouverts. Un jeune Libyen venu le
secourir lui a dit : "Nous sommes vos amis. Nous sommes si
reconnaissants envers ces hommes qui protègent notre ciel."
« Cette voix n’est rien que l’une des nombreuses voix dans une
région où une nouvelle génération refuse de se voir dénier ses
droits et ses chances plus longtemps.
« Ce changement compliquera toutefois le monde pendant un temps.
Le progrès sera inégal, et le changement surviendra différemment
dans les différents pays. Il y a des endroits, comme l’Égypte,
où ce changement nous encouragera et rehaussera nos espoirs. […]
Tout le monde sait que Moubarak a été l’allié des États-Unis.
Quand Obama s’est rendu à l’Université du Caire en juin 2009, il
ne pouvait ignorer qu’il avait volé des milliards de dollars à
l’Égypte.
Mais Obama poursuit son récit émouvant :
« …nous nous félicitons que l’histoire se soit mise en branle au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et que les jeunes soient à
l’avant-garde. En effet, partout où les gens rêvent d’être
libres, ils trouveront un ami dans les États-Unis. Somme tout,
c’est cette foi, ce sont ces idéaux qui sont la vraie aune du
leadership étasunien.
« …notre puissance à l’étranger s’enracine dans notre puissance
à domicile. Et notre étoile polaire doit toujours être la
suivante : la capacité de notre peuple à donner tout son
potentiel, à faire des choix judicieux à partir de ses propres
ressources, à amplifier la prospérité qui est à la source de
notre pouvoir et à vivre les valeurs qui nous sont si chères.
[…]
« […] Regardons l’avenir pleins de confiance et d’espoir non
seulement en notre pays, mais en tous ceux qui languissent après
la liberté dans le monde entier. »
À lire cette histoire à dormir debout, je
me suis souvenu du
Tea
Party, du sénateur Bob Menéndez
et de l’illustre représentante Ileana Ros, la « grande méchante
louve », qui narguait la loi pour continuer de séquestrer le
petit Cubain, Elián González, et qui est maintenant rien moins
que la présidente de la commission des Relations extérieures de
la Chambre
des représentants des États-Unis !
Kadhafi se tue à répéter qu’Al-Qaeda lui fait la guerre et
envoie des combattants contre son gouvernement, parce qu’il a
appuyé la guerre antiterroriste de Bush.
Al-Qaeda a eu par le passé d’excellentes
relations avec les services secrets étasuniens dans la lutte
contre les Soviétiques en Afghanistan et on connaît long sur les
méthodes de travail de
la CIA.
Que se passerait-il si les dénonciations de Kadhafi étaient
vraies ? Comment Obama expliquerait-il au peuple étasunien
qu’une partie de ces armes de combat terrestre tombent aux mains
des hommes de Bin Laden ?
N’aurait-il pas été mieux et plus intelligent de promouvoir la
paix en Libye, au lieu de fomenter la guerre ?
Fidel Castro Ruz
Le 31 mars 2011
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