Comment le régime est sorti gagnant de
la « guerre universelle » contre la
Syrie
Au lendemain du «
Printemps arabe »,
une saison de « Pèlerinage » à Damas
Fida
Dakroub
Jeudi 29 mars 2012
Généralités
Au lendemain de la défaite décisive des
groupes wahabites au bastion rebelle de
Baba Amr, entrainant la fuite des
milliers de mercenaires à travers la
frontière avec le Liban, les appels des
dirigeants atlantiques et des émirs et
sultans arabes du Golfe à renverser le
régime du président syrien, Bachar al-Assad,
paraissent plus futiles que jamais. En
effet, après un an de « guerre
universelle », la Syrie a réussi jusqu’à
présent à dépasser l’étape la plus
dangereuse de la conjuration
arabo-atlantique, celle du soulèvement
armé des groupes islamistes appuyés par
des milliers de mercenaires
étrangers[1].
Le front diplomatique : la Syrie sur la
défensive
Dans le domaine de la diplomatie, la
Syrie a pris, depuis le début de la
crise, une position défensive en
essayant de repousser les « attaques »
continues qui la frappaient de tout
côté.
Le régime visait toujours à laisser le
dossier syrien dans son cadre arabe –la
Ligue – et à ne pas donner d’excuses aux
conjurateurs pour le transférer au
Conseil de sécurité (CS). Pour compléter
cet objectif, la Syrie a pris plusieurs
mesures concrètes : premièrement, le
président Assad a entamé une série de
réformes politiques et
constitutionnelles ; deuxièmement,
les autorités ont libéré des
centaines de détenus politiques ;
troisièmement, le régime a salué toute
initiative arabe visant à trouver une
solution à la crise ; et quatrièmement,
les autorités ont collaboré au maximum
avec le comité des observateurs arabes
et ont facilité leur mission. Cependant,
quand le comité a soumis son rapport à
la Ligue, cette dernière l’a rejeté ;
pour la simple raison que le rapport
indiquait la présence de groupes armés
dans les rangs de l’ « opposition », et
il les rendait aussi responsables des
violences et des pertes humaines que le
régime. En plus, le rapport a souligné
la collaboration des autorités syriennes
avec les observateurs.
Évidemment, une telle réalité ne servait
pas les objectifs des conjurateurs
qui augmentaient leur pression
sur la Syrie en transférant le dossier
syrien au Conseil de sécurité (CS), le 4
février.
Après le deuxième échec de la
Sainte-Alliance arabo-atlantique au sein
du CS[2], grâce au veto chinois et
russe, le président syrien, Bachar al-Assad,
voyait le summum de la campagne
arabo-atlantique contre la Syrie. Ainsi,
dans le domaine diplomatique, la
campagne arabo-atlantique commença à
dessiner une ligne descendante. Rien de
pire ne pourrait arriver après l’échec
du projet de résolution ; le message du
double veto était précis et bien
déterminé : non à l’intervention
militaire directe en Syrie ; non à une
résolution du CS entrainant une
intervention militaire sous prétextes de
type « humanitaire » ; non au
renversement du président Assad.
La Syrie a déjà gagné la bataille dans
l’arène du CS.
Le front militaire : la Syrie à
l’offensive
Au lendemain de la visite du ministre
des Affaires étrangères de Russie,
Serguei Lavrov, accompagné du directeur
du Service des renseignements extérieurs
de la Fédération de Russie, monsieur
Dmitri Medvedev, le 7 février[3], le
président Assad donna le feu vert pour
une opération militaire majeure contre
les bastions rebelles à Homs, à Idlib et
au Rif de Damas. Après quelques semaines
de combats féroces, l’armée syrienne a
mené une victoire décisive sur les
groupes wahabites, armés et appuyés par
des milliers de mercenaires arabes et
atlantiques ; d’abord au Rif de Damas,
puis à Baba Amr, enfin à Idlib. Grâce à
cette opération militaire, la plupart
des villes et des régions infestées par
des combattants wahabites et des
mercenaires ont été libérées.
Il est évident que le régime vise à
mener une victoire décisive dans les
villes principales avant la fin du mois
d’avril et de sécuriser les autoroutes
principales pour relier les villes l’une
à l’autre. Pourtant, jusqu’à présent, le
régime ne fait aucune illusion que les
opérations militaires pourraient durer
longtemps avant qu’il puisse détruire
complètement les réseaux de bandits, de
mercenaires et de groupes armés.
Le président Assad avait attendu un an
avant qu’il a donné le feu vert à une
telle opération militaire. À fortiori,
le président Assad attendait la présence
de deux conditions :
Premièrement, entraîner et préparer les
troupes aux tactiques des guerres de
villes et des combats de rues.
Les résultats d’une telle
préparation se sont apparus aux combats
de Baba Amr, où l’armée syrienne
utilisait les tactiques des forces
spéciales, lui permettant de prendre le
bastion rebelle ruelle après ruelle,
maison après maison, avec un minimum de
pertes.
Deuxièmement, choisir le moment
politique le plus convenable pour
écraser les groupes armés. À preuve, dès
le début des violences en Syrie, le
président Assad insistait à « traiter
les groupes armés en tant que champignon
de peau qu’il fallait laisser s’étendre
avant de le brûler à l’aide d’un remède
le plus efficace »[4]. Dans ce sens, il
ne reste plus secret que le président
Assad n’aurait pas déclenché l’opération
militaire sans la protection
diplomatique du double veto chinois et
russe.
La victoire décisive à Baba Amr « a
cassé le dos » des groupes rebelles et
des mercenaires étrangers – selon une
expression en dialecte syro-libanais –
et des milliers de combattants
islamistes et étrangers se sont enfuis à
travers la frontière avec le Liban et la
Turquie. L’ambassadrice étatsunienne au
Liban, Maura Connelly a demandé au
gouvernement libanais d’appuyer les
soldats syriens désertés et les membres
de groupes armés qui s’enfuyaient par
milliers à travers la frontière avec le
Liban[5].
Une victoire diplomatique au sein du CS
et une autre militaire à Baba Amr, la
Syrie fut couronnée !
Le début de la « saison de pèlerinage »
à Damas
Parallèlement à la fuite des combattants
et des mercenaires[6], des diplomates et
des émissaires se sont dirigés vers « la
capitale des Omeyyades », Damas, pour
faire le pèlerinage au sein du « Qasr
al-Mouhajerine », le palais
présidentiel. La Syrie a approuvé la
venue de la responsable des opérations
humanitaires de l'ONU Valérie Amos, qui
avait auparavant annoncé qu'elle allait
se rendre en Syrie pour tenter d'obtenir
un accès humanitaire «
sans entrave ». Elle était
arrivée à Damas le 7 mars et est partie
le 9 mars[7]. Par ailleurs, la Syrie
avait salué la visite de l'émissaire de
l'ONU et de la Ligue arabe pour la
Syrie, Kofi Annan, qui est arrivé le 10
mars à Damas : « la Syrie salue la
visite de Kofi Annan, émissaire du
secrétaire général de l'ONU », a indiqué
la chaîne d'État, citant un responsable
sous couvert de l'anonymat[8]. M. Annan
était accompagné de son adjoint,
l'ancien ministre palestinien des
Affaires étrangères Nasser al-Qidwa,
pour cette première mission en Syrie[9].
Pour rappel, l'ancien secrétaire général
de l'ONU Kofi Annan a été nommé le 23
février « émissaire conjoint des Nations
unies et de la Ligue arabe sur la crise
en Syrie ». La mission déclarée de M.
Annan visait à arriver à un
cessez-le-feu dans toutes les régions
syriennes, sécuriser des accès
humanitaires et libérer des milliers de
détenus.
En revanche, ce qu’on a déclaré devant
les microphones et les caméras ne
reflète pas nécessairement ce qu’on
avait dit dans les coulisses.
On parlait dans ces coulisses que
lors de son arrivée au palais
présidentiel, monsieur Annan a présenté
le projet de la Ligue arabe, mais sans
l’appel au renversement du président
Assad. M. Annan demandait au président
syrien un cessez-le-feu, la libération
des milliers de détenus et des accès
humanitaires. Pourtant, le président
Assad s’est interrogé devant son « hôte
» : « comment pouvons-nous arriver à un
accord avec l’opposition en présence de
groupes armés ? Qui pourrait garantir
que ces derniers respecteraient un tel
accord ? » ; le président Assad a ajouté
: « il n’en reste qu’à dévoiler ceux qui
appuient, financent et arment les
groupes armés. Il est ridicule de croire
que toutes ces armes et tout cet argent
tombent du ciel »[10] ; mais l’émissaire
international n’a rien dit pour calmer
les inquiétudes du président Assad ; il
a seulement haussé la tête en murmurant
: « vos suggestions méritent d’être
étudiées ». Par cette phrase très
courte, la rencontre entre les deux
hommes a été conclue.
Par ailleurs, et selon la même source
d’« informations », les dirigeants
syriens auraient retardé leur réponse
aux « propositions » de monsieur
l’émissaire, pour qu’ils pussent les
discuter avec Moscou ; car Damas n’avait
confiance ni en l’ONU ni en monsieur
Kofi Annan[11].
En effet, ce qui a renforcé la méfiance
des dirigeants syriens c’est que
l’émissaire a quitté la Syrie vers le
Qatar pour rencontrer son premier
ministre, Hamad. On se demande ici,
n’aurait-il pas été plus « démonstratif
» si l’émissaire de l’ONU et de la Ligue
arabe s’était réuni avec le secrétaire
de la Ligue, M. Nabil al-Arabi, ou avec
le secrétaire de l’ONU, M. Ban-ki Moon ?
Au moins que monsieur Annan considérait
le Qatar « en état de guerre » avec la
Syrie, qu’il fallait négocier avec son
émir !
Le début de la fin
Ne trouvant que les injures et la
profération de menaces pour exprimer
leur indignation face aux victoires de
la Syrie, les dirigeant atlantiques,
accompagnés des émirs et sultans arabes
du Golfe, se rassemblèrent à une
conférence à Tunis, dite la « Conférence
des amis du peuple syrien »[12]. Cette
conférence d’ « Amis », dont le but
déclaré prétendait l’offre de l’aide à
la prétendue « révolution » syrienne,
visait en effet à renforcer et à
rassembler la foule opposante qui
commença à se disperser en toute
direction. L’émir du Qatar, Hamad, et le
sultan du Royaume de l’Arabie Saoudite,
Faysal, entrèrent la salle de conférence
en hurlant la célèbre phrase de Karl
Jaspers : « Le désespoir est une défaite
anticipée » ; Camarades révolutionnaires
printaniers, il ne faut pas désespérer !
Par contre, l’objectif réel caché
derrière le vacarme créé par la
conférence d’ « amis » avait un usage de
« bombe à lacrymogène » plutôt qu’une
utilité politique. La foule d’ « amis »,
rassemblée à Tunis, choisit l’ancien
secrétaire général de l’ONU, monsieur
Kofi Annan comme émissaire de l’ONU et
de la Ligue arabe pour la Syrie.
Malheureusement, ce vacarme « à
l’Arabique » n’avait aucun effet sur le
terrain et n’a laissé qu’un écho sourd à
Damas. Pour ces conférenciers audacieux,
la bataille au CS a été déjà perdue,
ainsi que celle à Baba Amr.
Ainsi, des figures les plus célèbres du
despotisme obscurantiste arabe coalisé
avec l’impérialisme occidental, telles
que les émirs et sultans de la péninsule
Arabique, se précipitèrent au microphone
prêchant à la Syrie la démocratie et les
droits de l’homme. En définitive, la
guerre contre la Syrie constituait le
summum de la mascarade du discours
philanthrope impérialiste. D’un côté on
prêche la démocratie et les droits de
l’homme ; de l’autre côté on s’allie au
despotisme obscurantiste arabe ; on se
précipite « au secours » du peuple
syrien, mais on tourne le dos à
l’élimination systématique du peuple
palestinien.
La déclaration du
Conseil de sécurité : la Syrie
victorieuse
Loin des brouhahas arabo-atlantiques qui
voyaient dans la déclaration du CS[13]
une victoire décisive sur le régime
syrien, cette déclaration a mis fin aux
illusions qui faisaient croire que « les
jours du président Assad se comptaient
sur les doigts »[14]. À plus forte
raison, la déclaration du CS sur la
Syrie, le 21 mars, a envoyé plusieurs
messages :
Premièrement, la déclaration ne portait
aucune allusion au renversement du
président Assad, contrairement aux «vœux
» du Conseil national syrien et des
émirs et sultans arabes du Golfe. En
effet, la déclaration a reconnu – sous
entendu – le président Assad comme seul
représentant de la République arabe
syrienne et du peuple syrien.
Deuxièmement, la déclaration a dénoncé
les actes de violences venant de tous
les partis du conflit ; ceci entraine
une reconnaissance sous entendue de la
présence de groupes armés et terroristes
sur le territoire syrien, qui visent à
détruire les infrastructures de l’État.
Après cette déclaration, aucune parole
sur la nature « pacifique » des
oppositions syriennes ne serait échangée
au souk d’injures et d’accusations
contre le régime syrien.
Troisièmement, la déclaration prenait
comme titre principal la reconnaissance
du rôle du président Assad dans toute
solution future. La communauté
internationale semble finalement
convaincue que toute solution à la crise
syrienne ne pourrait passer sans
l’accord du président Assad, et à
travers lui ; et que sans lui, aucune
solution n’est possible. Désormais, les
appels au renversement du président
Assad sont devenus des vacarmes du
passé.
Quatrièmement, la déclaration a insisté
et encouragé le dialogue entre le régime
et les oppositions « sous le parapluie
du président Assad » et selon son
agenda. Ce qui mène à conclure que la
communauté internationale ne peut
désormais dépasser le rôle du président
Assad, non seulement concernant le
dossier de la crise syrienne, mais bien
plutôt tous les dossiers « chauds » de
la région : la Palestine, le Liban,
l’Irak et l’Iran.
Maintenant que la Syrie a franchit les
deux tunnels les plus obscurs de sa
crise, c'est-à-dire l’offensive
diplomatique et le soulèvement militaire
wahabite, il lui reste deux défis à
relever : l’économie et la sécurité.
La Fable des deux Chèvres
En guise de conclusion, il nous reste à
dire que le sort du Conseil national
syrien et des monarchies absolutistes du
Golfe – maintenant que la déclaration du
Conseil de sécurité a pris comme titre
principal la reconnaissance du rôle du
président Assad dans toute solution
future – ne semble pas assez étincelant
; ce qui évoque en nous la fable de La
Fontaine, Les deux Chèvres :
Faute de reculer, leur chute fut
commune.
Toutes deux tombèrent dans l'eau.
Cet accident n'est pas nouveau
Dans le chemin de la fortune.
(Fables de La Fontaine / Les deux
Chèvres / Livre XII, Fable 4)
Fida Dakroub, Ph.D
Pour communiquer avec l’auteure :
http://bofdakroub.blogspot.com/
Notes
[1]
http://rt.com/news/french-army-officers-syria-893/
[2]
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=29229
[3]
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/02/07/97001-20120207FILWWW00364-serguei-lavrov-est-arrive-a-damas.php
[4]
https://www.al-akhbar.com/node/45483
[5]
http://www.presstv.ir/detail/230600.html
[6]
http://www.presstv.ir/detail/230600.html
[7]
http://www.journaldequebec.com/2012/03/05/damas-salue-la-visite-de-kofi-annan
[8]
http://www.journaldequebec.com/2012/03/05/damas-salue-la-visite-de-kofi-annan
[9]
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/03/05/97001-20120305FILWWW00250-kofi-annan-se-rendra-a-damas.php
[10]
https://www.al-akhbar.com/node/45483
[11]
https://www.al-akhbar.com/node/45483
[12]
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/conference-des-amis-de-la-syrie-a-tunis_1086471.html
[13]
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2012/03/21/003-declaration-onu-conseil-damas-syrie-bombardements.shtml
[14]
http://www.thenews.com.pk/article-38006-Assads-days-are-numbered,-says-Obama
Docteur en Études françaises (UWO,
2010),
Fida Dakroub est écrivaine et
chercheure, membre du « Groupe de
recherche et d'études sur les
littératures et cultures de l'espace
francophone » (GRELCEF) à l’Université
Western Ontario. Elle est l’auteur de «
L’Orient d’Amin Maalouf, Écriture et
construction identitaire dans les romans
historiques d’Amin Maalouf » (2011).
Publié sur
Mondialisation.ca
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