Un monde
changeant
Obama n'a pas
changé la politique étrangère américaine
: pourquoi ?
Fedor Loukianov
© Fedor
Loukianov - Photo: RIA Novosti - Alexei
Naumov
Vendredi 6 septembre 2013
"Un monde
changeant" par Fedor Loukianov
Source:
RIA Novosti
Et alors, répondant à la critique de
son opposant, Obama a dit : "Je me suis
levé et me suis opposé à cette guerre,
sachant qu'il était politiquement risqué
de le faire. Car non seulement on ignore
combien elle coûterait, quelle serait
notre stratégie de sortie, comment cela
affecterait nos relations à travers le
monde ou si notre renseignement a
raison, mais également parce que nous
n'avons pas fini notre travail en
Afghanistan" (I stood up and opposed
this war at a time when it was
politically risky to do so because I
said that not only did we not know how
much it was going to cost, what our exit
strategy might be, how it would affect
our relationships around the world, and
whether our intelligence was sound, but
also because we hadn't finished the job
in Afghanistan).
Magnifique discours. Sauf qu'il ne
concerne pas la Syrie et ne date pas
d'automne 2013 mais de 2008, quand le
candidat à la présidentielle Obama était
opposé au républicain John McCain lors
des premiers débats télévisés. Il
parlait alors de la guerre en Irak,
particulièrement impopulaire à l'époque.
McCain, lui, devait soutenir une cause
perdue : défendre l'administration
sortante en pleine crise économique et
alors que la fatigue des Américains face
à toute initiative étrangère était à son
comble. Obama avait un avantage sur les
autres car, tout nouveau au Capitole
(sénateur depuis 2005), il n'était pas
responsable des fautes antérieures. Les
"mains propres" du politicien noir
vis-à-vis de l'establishment
washingtonien ou des dynasties
politiques ont joué en sa faveur et il
est devenu le symbole du renouveau
auquel aspiraient beaucoup d'Américains.
En d'autres termes, on attendait de lui
qu'il fasse les choses différemment.
Un an plus tôt, à l’été 2007, Barack
Obama était simplement candidat pour
représenter le parti démocrate dans la
campagne présidentielle. Il avait alors
publié dans le Foreign Affairs un
article de campagne sur la politique
étrangère. "Une diplomatie logique
appuyée par l'ensemble des outils de la
puissance américaine – la politique,
l’économie et l’armée – pourrait
apporter des succès même lorsqu'il
s'agit de négociations avec des
adversaires aussi intransigeants que
l'Iran et la Syrie… La diplomatie,
combinée à la pression, pourrait
également détourner la Syrie de son
ordre du jour radical vers une position
plus modérée – ce qui aiderait ensuite à
stabiliser l'Irak, isoler l'Iran,
libérer le Liban de l'emprise de Damas
et sécuriser davantage Israël." (Tough-minded
diplomacy, backed by the whole range of
instruments of American power --
political, economic, and military --
could bring success even when dealing
with long-standing adversaries such as
Iran and Syria… Diplomacy combined with
pressure could also reorient Syria away
from its radical agenda to a more
moderate stance -- which could, in turn,
help stabilize Iraq, isolate Iran, free
Lebanon from Damascus' grip, and better
secure Israel)
"Au final, aucune politique étrangère
ne peut réussir avant que le peuple
américain la comprenne et sente qu'il a
quelque chose à y gagner – à condition
qu'ils croient aussi que leur
gouvernement entend leurs
préoccupations", avertit Obama. Et de
conclure : "L'Amérique ne peut pas faire
face seule aux menaces de ce siècle et
le monde ne peut pas y faire face sans
l'Amérique". (Ultimately, no foreign
policy can succeed unless the American
people understand it and feel they have
a stake in its success -- unless they
trust that their government hears their
concerns as well. America cannot meet
the threats of this century alone, and
the world cannot meet them without
America)
Six années ont passé. Barack Obama,
entre temps devenu lauréat du prix Nobel
de la paix, se voit obligé de lancer une
opération militaire contre la Syrie. Une
campagne sans objectif précis ni grande
envergure. La population ne la soutient
pas et comprends de moins en moins les
actions du gouvernement. Les
conséquences et les frais éventuels sont
indéterminés. L'appel de Washington à
punir le régime syrien dans le cadre
d’une coalition internationale est resté
en suspens – les alliés ne s'y opposent
pas ouvertement, comme dans le cas
irakien, mais pratiquement personne n'a
l'intention d'apporter son soutien
actif. Les chances d'obtenir
l'autorisation du Conseil de sécurité
des Nations unies sont nulles. Le
président américain sait que l'opération
est non seulement dangereuse mais
qu'elle risque de donner le résultat
inverse à celui escompté, provoquant une
réaction en chaîne incontrôlable dans la
région. Et en dépit de tout cela Obama
est condamné à l'escalade, voire à
rejoindre le point de vue de McCain :
une attaque chirurgicale serait
insuffisante, il faut parvenir à un
résultat une fois l'opération lancée.
Pourquoi le président s'est-il autant
écarté des intentions et des promesses
qu’il affichait dans la seconde moitié
des années 2000 ?
Objectivement, Obama est arrivé au
pouvoir à un moment difficile. Le
système international arrive à un
tournant et il est désormais impossible
de fermer les yeux sur le fait qu'aucune
stabilité ne s'est installée après la
Guerre froide, que le lien mutuel étroit
entre tout le monde ne signifie
aucunement l'intégrité du monde global.
Au contraire, en restant inséparable et
uni, ce monde se fragmente et ces
fragments se comportent d'une manière
incompréhensible et imprévisible. Parmi
l'establishment politique, Barack Obama
comprend mieux que quiconque à quel
point la planète a changé et à quel
point les anciennes méthodes d'influence
sur les processus et leur contrôle ne
fonctionnent plus. La force totale des
Etats-Unis est pratiquement illimitée
mais son application entraîne de plus en
plus souvent l'effet inverse. L'absence
d'une vision stratégique est due à
l'impossibilité de deviner le sens de
développement général et non à la
qualité médiocre des pronostics. Tout
cela tire une croix sur les plans
ambitieux du renouvellement ciblé de la
politique étrangère, de son adaptation à
l'environnement changeant, bien qu'Obama
soit parfaitement conscient de ce
besoin.
Par nature, Obama n'aime pas la
violence et le dogmatisme idéologique
parce qu’ils conduisent à l’impasse.
Cependant, dans le cadre du leadership
mondial des USA et de la culture
politique américaine, ces qualités du
président sont perçues comme de
l'incertitude et de l'opportunisme, ce
qui nuit à sa réputation.
Avoir conscience du besoin de
changement et percevoir la réalité de
manière cohérente sont des conditions
nécessaires mais insuffisantes pour
construire une nouvelle politique.
Malgré ses talents d'orateur, Obama n'a
pas su convaincre ses interlocuteurs
intérieurs et extérieurs. Pourtant, pour
"mettre à jour le leadership américain",
il faut pouvoir créer un large consensus
en sa faveur. Initialement on estimait
que c'était l'atout de ce président mais
en pratique, il s'est avéré qu'Obama
faisait partie des dirigeants les plus
polarisants : l'écart entre la société
et la classe politique s'est creusé
davantage sous son mandat.
La politique étrangère est secondaire
pour Obama, par rapport aux réformes à
mener en Amérique, appelées à devenir
son patrimoine historique : c’est
probablement la principale raison de
l'échec d'Obama. Il doit prouver sa
propre capacité à agir (c'est-à-dire de
faire la guerre) concernant la Syrie car
s'il ne le faisait pas, il deviendrait
un "canard boiteux" sans volonté, qu'on
n'écouterait plus, évoquant les
questions de santé, de réduction de la
dette publique ou les mesures visant à
surmonter la pauvreté et à développer
l'enseignement. Il s'avère que, du point
de vue d'Obama, les pertes consécutives
au refus d'attaquer la Syrie seraient
plus importantes qu'un éventuel
enlisement dans le marais
moyen-oriental. Pour cette raison, une
nouvelle guerre dans la région serait un
moindre mal, même si cela va à
l'encontre de ses principes - et du bon
sens.
"Nous ne pouvons pas nous retirer de
ce monde ni essayer de le forcer à la
soumission. Nous devons guider le monde
par nos actes et donner l'exemple",
écrivait Obama dans son article en 2007
(We can neither retreat from the world
nor try to bully it into submission. We
must lead the world, by deed and by
example). Paradoxalement, les
manifestations les plus négatives de
l'hégémonie américaine commencent à
remonter à la surface aujourd'hui, quand
la limite de ses capacité est de plus en
plus en flagrante - et non à l'époque où
l'Amérique pouvait pratiquement tout se
permettre. En restant les plus forts,
sans pour autant se sentir forts, les
USA pourraient infliger à tout le monde
un préjudice encore plus important par
leur incohérence que par leur
obstination arrogante du passé. Lorsque
"l'exemple" ne mène nulle part, il reste
la première phrase : "Nous ne pouvons
pas nous retirer du monde ni essayer de
le forcer à la soumission".
La Russie est-elle imprévisible?
Peut-être, mais n'exagérons rien: il
arrive souvent qu'un chaos apparent
obéisse à une logique rigoureuse.
D'ailleurs, le reste du monde est-t-il
prévisible? Les deux dernières décennies
ont montré qu'il n'en était rien. Elles
nous ont appris à ne pas anticiper
l'avenir et à être prêts à tout
changement. Cette rubrique est consacrée
aux défis auxquels les peuples et les
Etats font face en ces temps
d'incertitude mondiale.
Fedor Loukianov,
rédacteur en chef du magazine Russia in
Global Affairs.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 7
septembre 2013
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