Opinion
Obama : un discours historique en
dehors de l'histoire
Fatma Benmosbah
Dimanche 22 mai 2011
Contrairement à
ce que pense M. Geisser, qui soutient dans son interview
parue dans le nouvelobs du 20 mai, que le discours de M. Obama
est historique, ce discours n’est en rien historique.
Il n’a fait que reprendre ce que nous n’avons pas cessé
d’entendre de la bouche des dirigeants américains depuis le
début du printemps arabes.
Il est dommage que M. Geisser n’ait pas procédé à une revue de
la presse arabe avant de répondre aux questions de Céline
Lussato. Il aurait réalisé que là où lui décèle une approche
démocratique, les peuples arabes bien au contraire y décèlent
une fois de plus un double langage teinté de mépris et de
racisme.
Outre qu’il fait de ces peuples une race distincte (le monde
libre et le monde arabe) mais en plus il se place en tuteur de
ces peuples qu’il considère encore mineurs ( “Je suis le garant
de la démocratie dans le monde arabe, que les dictateurs fassent
très attention à ce qu’ils feront à leur peuple car je suis là
pour accompagner les peuples dans leur processus de
démocratisation”). Il serait très intéressant de demander à M.
Obama qui de ces peuples l’a investi de cette mission ? Sûrement
pas la jeunesse arabe, et encore moins celle du Moyen-Orient.
Après avoir soutenu sans réserve les dictatures qui brisaient
les rêves de ces jeunes, après avoir été pris de court par les
mouvements de ces derniers pour être demeuré aveugle à leurs
cris de détresse, le voilà qui s’improvise aujourd’hui
protecteur de ceux qui vivaient dans la souffrance qu’il a
cautionnée et qu’il continue à cautionner là où les intérêts de
son pays ont la primauté (Arabie Saoudite, Oman, Jordanie…). Les
dictateurs auxquels il s’adresse doivent eux-mêmes sourire de
ses propos.
Les révolutions tunisienne et égyptienne se sont faites sans
lui et n’ont nullement besoin que M. Obama les accompagne. La
jeunesse a été plus qu’explicite avec Mme Clinton lors de son
passage dans ces deux pays. En Tunisie, les journalistes lui ont
fait comprendre qu’ils n’avaient aucune leçon à recevoir d’elle
alors qu’en Egypte les jeunes de la Place Tahrir lui ont
ouvertement signifié qu’ils refusaient de la rencontrer malgré
des appels personnels de sa part aux dissidents.
Le souvenir de la démocratisation de l’Irak et de
l’Afghanistan sont encore très présents dans les mémoires de ces
peuples, souvenirs auxquels vient s’ajouter la compréhension du
véritable but de l’ »aide humanitaire » apportée aux « insurgés
libyens ». Et c’est justement les jeunesses tunisiennes et
égyptiennes qui sont les mieux placées pour en parler, elles qui
ont l’occasion de palper de près le désespoir des réfugiés
libyens à leurs frontières, réfugiés qui fuient autant les
frappes de Kadhafi que de l’Otan.
Le discours d’Obama n’apporte rien de neuf sauf qu’il est une
simple manœuvre pour cacher au monde que dans le monde arabe,
les Etats-Unis sont en perte de vitesse et que le temps ne joue
plus en leur faveur. Et ce ne sont pas les menaces faites au
Président Bashar El Assad qui vont nous laisser croire à un
quelconque pouvoir sur les régimes qui ont toujours refusé de se
plier à l’hégémonie américaine. Il ne fait aucun doute que le
peuple syrien a tout à fait le droit de se révolter contre la
répression exercée par le clan Assad depuis plus de quarante
ans, mais c’est à lui et à lui seul qu’il revient de décider si
son Président doit démissionner ou pas, tout comme il revient au
peuple américain et à lui seul de décider s’il va réélire M.
Obama ou pas. En bon père de famille, Papa Obama a décidé
dorénavant de ne plus discuter avec les élites mais de
s’adresser directement au peuple. Est-ce à dire que M. Obama va
maintenant faire commerce avec les femmes d’Arabie Saoudite
(dont la moindre réclamation est celle de circuler librement
dans la rue ou de conduire une voiture) ? Par ces temps de crise
où l’économie américaine est au bord de la faillite, Obama
osera-t-il dépasser les Princes saoudiens, ses « grands amis «
et pourvoyeurs de fond ? Pas si sûr.
Pas si sûr pour un Président qui, non content de soutenir les
monarchies non constitutionnelles du Golfe, encourage les autres
monarchies de la région à rejoindre le cercle très fermé du
Conseil de Coopération des Pays du Golfe pour en faire le
Conseil de Coopération des Monarchies du Golfe.
Pas si sûr pour un Président qui s’acharne contre le régime
syrien quand bien même celui-ci montre sa volonté d’ouverture et
de réformes et qui évoque timidement le Bahreïn où une sanglante
répression a déjà fait des centaines de morts depuis plus de
trois mois.
Pas si sûr pour un Président qui demeure pieds et poings liés
face à un Israël de plus en plus arrogant, au point d’exiger
d’un grand défenseur de la laïcité de poser la reconnaissance de
sa judaïcité comme condition préalable à tout accord de paix.
Pas si sûr pour un Président qui tout en déclamant de belles
paroles sur la démocratie, ne cache pas son parti pris pour
Israël, Etat le plus répressif de la région, et omet de
condamner le blocus sauvage de Gaza auquel ce pays soumet plus
d’un million et demi de personnes depuis plus six ans.
Au final le discours d’Obama n’est en rien historique. C’est
bien plus un discours en dehors de l’histoire d ans lequel
l’orateur montre à quel point il n’a pas encore pris la mesure
des bouleversements en train de s’opérer dans le monde arabe.
Le15 mai, lors la commémoration de la Nakba, une large frange de
la population du Moyen-Orient lui a envoyé un message fort à
travers lequel elle lui a laissé entendre que sa façon d’aborder
les problèmes du monde arabe et particulièrement le problème
palestinien est très loin de rencontrer le consensus attendu.
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