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CADTM
Pourquoi le
gouvernement de Mohammad Ghannouchi doit-il tomber ?
Fathi Chamkhi
Mohammad Ghannouchi
Jeudi 20 janvier 2011
La
formule de gouvernement proposée aussitôt après la destitution
de Ben Ali en Tunisie le 14 janvier, et présidé par Mohammad
Ghannouchi, n’est pas le gouvernement de la révolution
victorieuse, et de ce fait ne reflète donc pas ses aspirations
et n’adopte pas ses revendications. C’est l’expression politique
de la bourgeoisie locale et de son maître, la bourgeoisie
mondiale, dans une tentative de préserver les bases du système
économique et social capitaliste libéral, ce système qui s’est
développé sous la protection d’une dictature appuyée, notamment,
sur l’appareil du ministère de l’Intérieur et du Parti
Constitutionnel Démocratique (RCD)
Plus
précisément, nous exigeons la chute d gouvernement de M. Ghannouchi
pour les raisons suivantes :
Qui est
Mohammad Ghannouchi ?
Désigné en 1975 par Bourguiba comme directeur général du Plan,
il est apparu le 27 octobre 1987 pour la première fois comme
ministre délégué auprès du premier ministre Ben Ali. Puis, suite
au coup d’État du 7 novembre, il a été nommé en juillet 1988 par
Ben Ali comme ministre du Plan, puis il a occupé plusieurs
responsabilités ministérielles participant à l’élaboration et à
l’application des politiques capitalistes libérales : en plus du
Plan, il a été en charge des finances et l’économie.
En
1992, Ben Ali le nomma ministre de la coopération internationale
et de l’investissement extérieur, il menait donc les
négociations avec les institutions financières internationales
(la banque mondiale et le fond monétaire international),
concernant la politique économique et sociale du régime de Ben
Ali, avant de superviser en sa qualité de premier ministre
depuis 1999 son application. Ce qu’il fit avec un grand
dévouement, aux dépens des intérêts de la majorité, poussant les
cercles capitalistes internationaux à qualifier le pouvoir de
Ben Ali de « bon élève ».
Il a
été nommé premier ministre en novembre 1999, et garda ce poste
jusqu’à la destitution de Ben Ali par la révolution et à sa
fuite de Tunisie. Ghannouchi est alors resté, chargé d’apaiser
la marée populaire révolutionnaire et de l’empêcher de toucher
aux bases du système établi.
Sur le
plan politique, Mohammad Ghannouchi est depuis sa jeunesse
membre du R constitutionnel, puis de sa nouvelle formule : le
Rassemblement Démocratique Constitutionnel (RCD) au pouvoir dont
il devint en 2002 membre du bureau politique, le quartier
général politique de la dictature. Il fut ensuite nommé
vice-président du rassemblement aux côtés de Hamed Al karaoui,
puis ensuite vice-président du Rassemblement (le président étant
Ben Ali) le 5 décembre 2008 et jusqu’à la chute du tyran.
Mohammad Ghannouchi, est donc un serviteur docile du capital en
tant que classe, et cela explique les éloges dont il fait
l’objet depuis la chute de Ben Ali. Le maître est donc parti, le
serviteur est resté seul, après avoir été habitué à recevoir les
ordres et à obéir. Pas surprenant qu’il continue à lui
téléphoner en attendant l’arrivée du nouveau maître…
Donc,
Ghannouchi concentre tout ce que représente le système établi,
sur le plan économique, social ou politique : l’exploitation
capitaliste sauvage des forces ouvrières locales, l’injustice
sociale, le démantèlement du système des services sociaux,
l’oppression policière, la répression et l’humiliation du peuple
tunisien.
1- La
question démocratique :
Mohammad Ghannouchi n’a rien à voir avec la révolution. Il est le
vice-président du RCD et membre de son bureau politique, ce
parti qui a dominé le pays, opprimé, torturé, déplacé et
terrorisé tous ceux qui ont eu le courage ou essayé de faire
face au despotisme. Ce parti qui a répandu les pots-de-vin et la
corruption dans la société et dans tous les rouages de l’État ;
les dommages provoqués par le RCD ont touché toutes les
composantes de l’état, qu’il a entièrement pris dans ses filets.
Puisque ce parti ne peut pas être réformé, il est illogique que
nous consentions à aliéner aux symboles du régime révolu le sort
de la révolution et les aspirations des travailleurs, des jeunes
et du peuple tunisien en général à se libérer du joug de la
persécution, surtout lorsqu’il est question de l’un des plus
illustres généraux du tyran Ben Ali, qui l’a toujours servi et
obéi.
Le
proverbe dit : ‘la nature du poisson est de vivre dans l’eau’.
Le pouvoir de Ben Ali est toujours là, même après la chute du
tyran et sa fuite du pays. La preuve : l’appareil du ministère
de l’intérieur, qui a toujours fidèlement gardé la sécurité de
Ben Ali et qui maintenant réprime les manifestations pacifiques
refusant la tentative de mettre la main sur les acquis pour
lesquels le peuple a sacrifié nombre de ses enfants. Le 14
janvier, sur l’ordre de Ben Ali, les forces de la police,
supervisées par le premier ministre et ordonnées par le ministre
de l’intérieur Frey’a, ont sauvagement dispersé la manifestation
populaire pacifique. Puis le 18 janvier, les mêmes forces ont
dispersé avec la même sauvagerie la marche pacifique contre le
gouvernement de Ghannouchi et de Frey’a, son ministre de
l’intérieur. Le droit à la manifestation pacifique est l’un des
plus importants droits politiques ; c’est un droit que les
masses populaires n’ont jamais pratiqué durant toute la période
dominée par Ben Ali et Ghannouchi, sauf dans des cas
exceptionnels et de manière extrêmement réduite.
Quant
à l’espace de liberté qui commence à surgir ici et là, au début
de la récupération de la liberté de la parole, quant au droit de
critique et d’expression, ce sont des acquis qui ont été
arrachés des tyrans sans leur consentement. Il n’est pas du
droit de ceux qui sont encore des ennemis de la liberté et de
leurs nouveaux alliés de se cacher derrière ces acquis fragiles
afin de justifier le gouvernement illégitime de Ghannouchi. La
légitimité aujourd’hui après le déclenchement de la révolution
n’est pas celle appuyée sur la constitution ou les lois injustes
de Ben Ali, comme le répètent ceux qui tiennent aux restes du
régime révolu ; la légitimité s’appuie aujourd’hui sur la
révolution, donc sur le peuple. Seul le peuple donne la
légitimité à ceux qu’il veut ou la leur retire en manifestant
dans les rues, jusqu’à ce que la constitution et les nouvelles
lois soient formulées. La nouvelle Tunisie démocratique et
sociale à laquelle aspire le peuple sera organisée en fonction
de celles-ci.
Ghannouchi
a toujours servi et obéi au capitalisme mondial et veillé sur
ses intérêts en Tunisie. Ces intérêts sont contraires à
l’intérêt national. Il a veillé à faciliter la pénétration de ce
capitalisme dans le secteur public, car le comité de
privatisation œuvrait sous sa direction directe. C’est lui qui a
supervisé la vente des usines de ciment à des sociétés
italiennes, portugaises et espagnoles… la liste est encore
longue. Le capital mondial, et plus spécifiquement européen, a
réussi à s’accaparer des deux tiers de ce qui a été privatisé,
bien que cela représente une grande atteinte à la souveraineté
du peuple sur ses biens. Ghannouchi a également ouvert le pays
au capital mondial, en tant que premier ministre et surtout
parce qu’il est le meilleur connaisseur et le plus respectueux
des intérêts étrangers en Tunisie. Son gouvernement a conclu
plus de 60 accords bilatéraux afin de protéger les
investissements en Tunisie, notamment l’accord bilatéral avec la
France en 1997. Protéger cet investissement de qui ? Des
catastrophes naturelles ? Ou bien peut-être faudrait-il le
protéger de Ben Ali et de l’union tunisienne d’industrie et de
commerce ? Ou bien du peuple tunisien ? Pourquoi faudrait-il le
protéger du peuple tunisien s’il est adapté à ses intérêts ? Ce
peuple ne sait-il pas où résident ses intérêts ? C’est un
exemple qui montre les répercussions de la politique du
gouvernement de Ben Ali / Ghannouchi sur une question
extrêmement importante : le droit du peuple tunisien à
déterminer son destin de toute liberté sans aucune tutelle,
quelle qu’en soit l’origine ou la nature. C’est une question
démocratique très importante.
Enfin,
c’est bien le gouvernement de Ben Ali, présidé par Ghannouchi,
qui appliquait la politique de normalisation avec l’entité
sioniste, poussant le gouvernement de l’État d’Israël à
regretter profondément la chute de Ben Ali. Cette politique
n’a-t-elle pas renié les sentiments de l’écrasante majorité du
peuple tunisien, qui refuse l’entité sioniste et soutient les
revendications nationales palestiniennes ? Ghannouchi garde-t-il
la légitimité qui lui permet de présider le gouvernement de la
révolution ? N’est-il pas temps que Ghannouchi cesse de porter
atteinte aux intérêts vitaux des tunisiens en général ?
2- La
question sociale :
Il
ne faudrait pas croire in seul instant, comme le gouvernement de Ghannouchi et ses semblables essayent de nous le faire croire,
que la question sociale est dissociée dans la réalité de la
question démocratique. Les dimensions économique et sociale sont
indissociables ; elles représentent les deux bases fondamentales
du pouvoir. C’est dans la politique, et précisément à travers
l’appareil de l’État, que sont conçues, défendues et patronnées
les politiques qui servent les intérêts économiques de la classe
dominante dans la société. Donc, la question n’est pas une
question morale, comme lorsqu’on dit que « Ghannouchi est un
homme propre ou ‘désintéressé’… » En effet, malgré l’importance
des qualités personnelles de ceux qui servent l’intérêt général,
elles ne sont pas déterminantes dans la sélection du
représentant du peuple, de celui qui mérite la confiance de ce
dernier afin de veiller sur ses intérêts. Nous savons tous, et
je n’ai rien à ajouter à cet égard, que c’est une question de
programme. Oui, une question de programme. Lorsque les
défendeurs de Ghannouchi, tenant verbalement aux intérêts du
peuple et manœuvrant afin de justifier leur partialité pour les
intérêts des ennemis de ce dernier, énumèrent ses qualités
personnelles, ils omettent de parler de la chose principale qui
distingue Ghannouchi des autres symboles du régime révolu, en
tant que la personne la plus capable d’appliquer la politique
capitaliste libérale et la plus fidèle à cette politique, celle
pratiquée depuis 1987 par le régime de Ben Ali qui a
profondément affecté les masses populaires tunisiennes, et en
premier lieu les travailleurs et les jeunes ; ces derniers ont
souffert et patienté ; mais cette patience est arrivée à son
terme, et le peuple s’est soulevé tel un volcan contre
l’exploitation, la pauvreté, la marginalisation et la faim et
pour réclamer son droit aux bases vitales, et en premier lieu le
droit au travail. Voici précisément, en plus de la dimension
démocratique, le sens essentiel de la grande révolution des
masses populaires en Tunisie.
Le
gouvernement de Ghannouchi est-il à-même de servir ces
intérêts ? Ghannouchi a-t-il mentionné de manière ouverte ou
sous-entendu la nécessité d’un changement de politique
économique et sociale, celle que le peuple a subi puis refusé de
la manière la plus formidable, à travers la révolution ?
Ghannouchi n’a-t-il pas affirmé par exemple, lors de l’entretien
accordé à France24, que cette mauvaise politique avait connu
beaucoup de succès ? Ghannouchi et ses semblables, symboles du
régime révolu ou de ceux qui se sont rattachés aux conspirateurs
contre la révolution, ne répètent-ils pas les déclarations
concernant les acquis et les réalisations ? Pourriez-vous croire
un instant qu’ils ont l’intention de renverser le système
socio-économique injuste et d’instaurer un système alternatif
adapté aux intérêts et aux aspirations des masses populaires ?
Leur seule préoccupation n’est-elle pas de ménager le pouvoir
chancelant de Ben Ali afin de réussir à s’y maintenir pour
continuer à ‘servir l’intérêt du peuple’, comme prétendait avant
eux le garantir le tyran chassé ?
Il
est clair que le gouvernement de Ghannouchi insiste sur la
continuation de la politique socio-économique dictée par les
cercles capitalistes mondiaux à travers les institutions
financières mondiales. C’est ce que veut dire par exemple la
désignation par Ghannouchi du nouveau directeur de la banque
centrale Mostafa Kamal Nabili, qui vient de quitter son poste à
la banque mondiale en tant que chef de l’équipe des économistes
dans la direction du Moyen-Orient et de la région arabe. Ceci ne
clarifie-t-il pas assez les intentions du gouvernement et le
degré de sa représentation de la volonté du peuple ? Que fera ce
gouvernement pour fournir du travail aux centaines de milliers
de chômeurs, plus particulièrement les universitaires ? N’est-ce
pas la même politique qui a aggravé le chômage ? La lutte contre
la corruption financière (si elle est effectuée au cas où le
gouvernement de Ghannouchi reste) et ‘l’amélioration du climat
d’investissement’ suffiront-ils à fournir le travail ?
L’augmentation du rythme de développement économique (si elle se
produit) suffira-t-elle pour améliorer la performance du marché
de travail ? Assurément non, mille fois non.
Tous
les bords politiques doivent annoncer aux masses populaires quel
est le programme socio-économique qu’ils considèrent être
adéquat pour répondre aux multiples revendications en la
matière, et ne pas se contenter de parler du versant
démocratique, aussi important qu’il soit : quelle valeur revêtit
la liberté pour un chômeur ou un malade incapable de se procurer
le coût du traitement ?
Tunis,
19 janvier 2011
Fathi Chamkhi
RAID-ATTAC/ CADTM TUNISIE
(Traduit de l’arabe par Randa et révisé par Ounsi)
P.-S.
Depuis la rédaction de cet article :
Le
gouvernement de Ghannouchi s’est davantage affaibli ; le nombre
total des ministres démissionnaires est de 5. Cependant, ce
dernier ce maintien ; il est en réunion depuis quelques heures.
Parallèlement,
le mouvement révolutionnaire maintient une forte mobilisation et
se concentre sur deux axes, tous deux en rapporte avec le RCD
(parti de Ben Ali) :
Toutes
les manifestations dans pratiquement toutes les villes de
Tunisie, convergent vers les locaux du RCD, même chose pour son
siège à Tunis. Certains, notamment à Tataouine, ont été investi
et saccagé par les manifestants.
Les
employés des entreprises publiques et des administrations
centrales de l’Etat, surtout à Tunis (sièges sociaux…)
organisent des occupations qui réclament l’exclusion des
dirigeants, qui sont en même temps des membres notoires du RCD.
Ce fut le cas de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (PDG et
DGA chassés hier), STAR –assurance- (PDG chassé), BNA –banque-
(PDG chassé)… Les employés de l’administration centrale des
impôts, tout en exigeant la démission immédiate de du directeur,
veulent préserver les dossier afin de pouvoir enquêter par la
suite sur les évasion fiscales…
Le dossier Tunisie
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