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Ce que la burqua
dévoile de la France
Farid Laroussi
Jeudi 9 juillet 2009 Il arrive parfois que les
titres de l’actualité se télescopent de manière inattendue et
ironique. En France on débat de la burqua et de son interdiction
possible. Michael Jackson meurt soudain. Or ce dernier lors de
son long séjour à Bahrain en 2006-2007 n’hésitait pas justement
à porter la burqua pour pouvoir se rendre dans les centres
commerciaux et autres lieux publics en paix et incognito, ou
presque. Puis en novembre 2008, de retour à Los Angeles, Michael
Jackson s’est converti à l’Islam.
Un détail pour les médias puisque dans les
émissions hommage et les journaux télévisés, l’information n’a
toujours pas été reprise ou bien elle reste en suspens comme
s’il s’agissait d’une autre toquade de star sans vraie
conséquence. Une fois encore le dogme islamophobe consacre la
dimension des évidences que l’on se construit pour ne pas
regarder la réalité en face. Imaginez donc des centaines de
millions de fans à travers le monde qui pleurent la disparition
d’un musulman ! Les funérailles planétaires c’était juste pour
la musique, comme de bien entendu.
En utilisant le débat sur la burqua en France
aujourd’hui comme support de stigmatisation d’une communauté
donnée, les politiques et les médias s’offrent les moyens de
libérer le refoulé de l’islamophobie devenue en quelques
décennies le pendant de l’antisémitisme français au XIXème
siècle. On sent une menace, l’étrangeté absolue, et surtout le
sentiment de la double allégeance.
Pendant ce temps, le tissu industriel français
se délite inexorablement, l’agriculture pâtit de décisions de
technocrates établis à Bruxelles, le système financier traverse
sa plus profonde crise, le principe de service public se réduit
à une peau de chagrin, le pouvoir d’achat est devenu l’art du
renoncement, et pourtant ce sont les femmes en burqua qui
dominent l’actualité. Faut-il vraiment que les idéaux de la
République soient à ce point vacillants que quelques milliers de
femmes parviennent à les ébranler ?
On sait que ni le Coran ni la tradition
prophétique ne prescrivent le port de la burqua. Elle-même est
un attribut saoudien et de pays d’Asie centrale, pas du Maghreb,
d’Afrique occidentale, ni de Turquie, qui sont les zones
géographiques sources de l’Islam en France. Selon toute
apparence il y a donc un décalage entre la culture, la pratique
religieuse et le message politique.
Comme lors du débat sur le foulard en 2003-04,
le corps de la femme musulmane devient une mesure de la chose
dicible et de salut public, celle des droits et de la dignité.
Sauf bien entendu que la liberté de conscience et de confession
passent au second plan. Ajoutez à cela un soupçon de
paternalisme colonial : le message ne consiste-t-il pas à
énoncer que le devoir de la France est de contribuer à
l’émancipation de la femme musulmane ?
Dans les quotidiens qui ont pignon sur rue, les
islamophobes attitrés s’en donnent à coeur-joie dans les
approximations culturalistes, les mécanismes d’une subjectivité
profane, et autres fallacies qui flattent le nouvel intégrisme
laïcard. Les féministes médiatiques montent au créneau avec pour
preuve fondamentale qui fasse adhérer à leur vérité, le mépris
de la femme dès lors qu’elle n’appartient pas à la sphère
reconnue et avalisée du discours dominant. Les intellectuels,
eux, tellement généreux avec leurs axiomes de liberté sont soit
réduits au silence, soit saisis de l’ivresse de sauver les
meubles d’une modernité qui leur échappe de plus en plus.
En tout état de cause, le discours sur la
différence subvertit la logique de la Raison des Lumières sans
abolir pourtant les fondements du droit universel. On pourrait
être choqué, par exemple, que ceux qui se voient déjà sur les
barricades pour défendre les droits de la femme ne s’expriment
jamais sur ceux de la femme palestinienne. Naturellement, tout
le monde sait qu’une bonne discussion sur la burqua est plus
essentielle qu’un débat sur l’auto-détermination d’un peuple.
Au lieu de cela les politiques et quelques
penseurs en chaise longue nous servent, à leurs dépens, la tarte
à la crème d’un Occident hégémonique comme si rien ne s’était
produit depuis les indépendances. Comment pourraient-ils dès
lors comprendre que la citoyenneté aujourd’hui n’est ni un
miroir ni une limite : elle est devenue l’enjeu de l’État-nation
au bord de la rupture.
En France aujourd’hui on « intègre » son voisin
italien ou danois mais on continue à entretenir la suspicion à
l’endroit de son compatriote de confession musulmane. D’abord
qu’est-ce qu’une femme en burqua ? C’est un sujet qui cache en
rendant visible. Pas simplement son corps, mais la nouvelle
étrangeté citoyenne. D’aucuns ont parlé d’une cinquième colonne
salafiste, mouvement littéraliste et ultra-conservateur
musulman, c’est possible.
Mais c’est aussi une réalité minoritaire qui
exclut autant les non-musulmans que ceux-là même parmi leurs
coreligionnaires qui pratiquent leur foi et respectent les lois
de la République. Hormis une présence confidentielle, le
salafisme c’est l’épouvantail de ceux qui sont incapables de
concevoir l’objet anthropologique de la citoyenneté. Disons-le,
le radicalisme islamique et le nationalisme français (en vérité
européen) convergent ensemble sur le terrain de l’origine et du
destin sur lequel on remet en question toute causalité,
c’est-à-dire la Raison. Chez les uns il y a les bons musulmans,
chez les autres il y a les bons Français. Pas de juste milieu,
seule la fiction de l’extrémisme.
Si l’on remonte la filière des enchaînements
idéologiques depuis les années 1980 et l’avènement d’une
revendication dite « beure », on arrive à un concept qui
pourrait se résumer à une guerre de représentations : « vous
m’avez exclu, à mon tour de vous exclure ». C’est en
considération de cette logique qu’il conviendrait peut-être
d’aborder la réflexion. On retrouve là également une question
qui affecte la nouvelle citoyenneté comme montage culturel, pas
seulement un appareil légalisateur. En ce sens la pensée
politique française s’est emprisonnée elle-même, tout en
déclamant ses vertus occidentales sans voir qu’il n’y a plus de
certitude mesurable depuis que Dieu a été coché de l’équation
démocratique.
On navigue à vue dans une République qui est à
deux doigts de revendiquer haut et fort son origine
judéo-chrétienne. Ainsi personne ne s’est-il offusqué que le
corps politique français, avec le président en tête, assiste à
une prière à Notre-Dame à la mémoire des victimes de l’accident
du vol Rio-Paris. En même temps on pousse des cris d’orfraie
pour que les signes religieux (entendu non-chrétiens) soient le
moins visibles possible dans rues de la République. Ces femmes
en burqua, pour autant que leur situation prête à discussion,
sont avant tout le symbole des limites de valeurs et d’une
identité nationale en souffrance. Elles sont un miroir que l’on
ne veut plus voir, quitte à forcer ces femmes à demeurer
enfermées chez elles. N’est-ce pas la même chose qui s’est
produite lorsqu’on a exigé des jeunes françaises qui voulaient
étudier à l’école de la République qu’elles aillent voir
ailleurs littéralement ?
Sans entrer dans une problématique du désir, de
l’eros permanent dont la femme est l’objet, le débat sur la
burqua nous entraîne néanmoins vers ce qui est constitutif d’un
idéal de possession. Il faut que tous les enfants appartiennent
à la République, qu’ils soient présents, visibles, dans ce lien
que l’on nomme société voire civilisation. L’identité y devient
exactement cela : une similitude, une consubstantialité de
valeurs et de références. Surtout pas un rapport de forces.
Toute discontinuité identitaire creuse un
doublement, exhibe la réalité d’une France ni pure ni simple.
D’une certaine manière, la burqua théâtralise le rapport de la
division psycho-somatique de ce que ce cela signifie qu’être
français aujourd’hui. Un raciste, ou un islamophobe, qui
s’emporte contre la burqua, veut dire en premier lieu : « cela
n’est pas moi ». Le terme de burqua passe alors pour un
signifiant allogène (arabe ? farsi ? pachtoune ?), et la
représentation, elle, se transforme en totem dogmatique, car au
fond c’est Ben Laden qui se cache derrière.
Comment donc évoquer la burqua sans toucher au
déterminisme politique français ? On l’a bien vu, le sujet
fédère les partis de tous horizons. Le débat qui commence à
peine, selon les déclarations du président lors de son discours
au congrès de Versailles, porte en lui pourtant son archive.
Toute question de culture donne lieu à une topique
d’appartenance, c’est-à-dire d’inclusion ou d’exclusion. On
retrouve là le mode binaire classique d’une nation en perte de
repères, qui pense aller de l’avant par un repli sur soi. Mais
les accusations et décisions à venir ne sont pas sans
conséquence car elles visent à faire de ses propres citoyens un
corps étranger. Si la question d’une loi, comme ce fut le cas en
2004, reste aujourd’hui une option, on n’en demandera pas moins
à ces femmes de faire un choix. La burqua sera synonyme de tout
ce qui n’est pas français, même si ces femmes sont elles-mêmes
aliénées à toute autre culture. Il y a fort à parier que la
jeune fille, née et élevée en France, et qui aujourd’hui porte
la burqua serait incapable de s’acclimater à une nouvelle vie en
Algérie ou en Égypte, et ce pas seulement pour des raison de
différences économiques.
Une solution serait peut-être que la France
s’acquitte enfin de l’infantilisme imposé à ses citoyens
musulmans, qu’elle les laisse seuls examiner et régler la
question de la burqua. Malaxés par les discriminations, la haine
de soi, et aussi une ignorance patente de l’Islam, les jeunes
générations doivent faire leur éducation, reprendre en main le
flambeau de la fierté de leur religion, se délester aussi de la
faute de certains aînés qui ont fait à tort du terrorisme une
condition du dialogue. C’est bien la maîtrise de l’identité qui
sera le recours contre les outrances du nationalisme et de la
mondialisation.
Farid Laroussi est professeur
de littérature française contemporaine et de littérature du
Maghreb d’expression française, à l’université Yale (New Haven,
Connecticut).
Publié le 9 juillet 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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