Tunisie
Tunisie. La charia
dans la constitution ? Inutile et
dangereux
Faïk
Henablia
Vendredi 24 février
2012
Si ajouts à la constitution il doit il y
avoir, que cela soit dans les domaines
fondamentaux de la garantie des libertés
et de la démocratie plutôt que dans
cette prétention arrogante de nous faire
découvrir… l’islam !
Par
Faïk Henablia*
Certains courants politiques de notre
pays semblent sur le point de céder à la
tentation démagogique et populiste
d’imposer l’introduction la charia dans
la constitution, prétextant que cela
correspond à l’attente d’une opinion
prétendument à la recherche de son
identité. Je prétends que cette
initiative est inutile et dangereuse
pour la Tunisie.
La fausse
question de l’identité
Cette initiative est inutile car,
contrairement à ce qu’affirment ses
défenseurs, il n’y a pas de problème
d’identité en Tunisie. Les Tunisiens
sont musulmans depuis Oqba Ibn Nafaâ,
soit quatorze siècles.
Ils n’ont pas attendu l’année 2012 et
l’émergence de formations à l’agenda
bien connu et pratiquant
l’instrumentalisation politique de la
religion ainsi que le chantage à
l’apostasie, pour en faire la
découverte.
Elues
voilées à la constituante, le miracle...
de la révolution
Les zélateurs de la charia
douteraient-ils à ce point de leur
identité pour vouloir se protéger à
travers un article de la constitution ?
Les Tunisiens, dont la foi musulmane
est incontestable, pratiquent l’islam à
leur façon, beaucoup, peu, ou pas du
tout. Ils refusent cependant qu’on leur
dicte leur conduite ou qu’on leur impose
quoi que ce soit pour des motifs
idéologiques. Ils n’acceptent pas les
censeurs, même s’ils se réclament de
Dieu et n’ont, de surcroît, aucune leçon
à recevoir de pays dont on s’efforce
manifestement de copier les lois, mais
dont les citoyens s’empressent dès
qu’ils en ont occasion d’échapper à
cette chape de béton en se rendant dans
cet Occident tant décrié et en y
investissant massivement.
Cette initiative est inutile car, le
moins que l’on puisse dire, est qu’il
n’y a pas de consensus dans le pays en
faveur de cette idée. Celle-ci suscite
même tant de débats et de polémiques,
chez les partisans et adversaires,
qu’elle risque de semer la zizanie dans
nos rangs, à un moment où l’union est
plus que jamais nécessaire pour répondre
aux défis, autrement plus graves,
auxquels le pays est confronté. De plus,
une grande partie des Tunisiens est
d’autant plus frustrée qu’elle se sent
bernée.
Les défenseurs de cette proposition
se sont en effet, non seulement bien
gardés d’en faire mention durant la
campagne électorale, mais ont carrément
essayé de faire croire le contraire. On
se souvient de ces fréquentes références
au modèle turc, en dépit de son
caractère laïc, ainsi que des
dénégations indignées d’Ennahdha quant à
son intention d’appliquer la charia.
Adopter une attitude aux antipodes, une
fois le résultat acquis, ne pourra
rester longtemps sans conséquence.
Manifestation de femmes devant
l'Assemblée constituante
Les acquis
sont en danger
Pour ces deux raisons, cette
proposition est inutile. Elle est, de
surcroit, dangereuse. Pourquoi ?
Cette initiative est dangereuse,
d’une part parce que la charia,
contrairement à ce que certains essaient
de faire croire, n’est pas divine, mais
bien humaine. Y ouvrir la voie dans la
constitution, en tant que source
principale de droit, fait courir le
risque de voir s’y engouffrer les
salafistes, les wahhabites, les talibans
et qui sais-je encore ? Bref, tous les
Wajdi Ghanim de ce monde. C’est mettre
en péril les acquis des cinquante
dernières années. Car comment dès lors
s’opposer au retour de la polygamie par
exemple, puisque celle-ci est bel et
bien prévue dans la charia ou du moins
dans son interprétation majoritaire ?
Et puis, qui donc va décider de la
conformité, ou non, d’une constitution
ou d’une loi à la charia ? Faudra-t-il
dans ces conditions instaurer, en plus,
une sorte d’autorité suprême de la
charia dont les décisions seraient sans
appel ? Ces dérives et ce glissement
possibles vers la théocratie
correspondent-ils aux vœux des Tunisiens
et surtout des Tunisiennes ?
Dégradation
de l’image de la Tunisie
Ensuite, cette initiative est
dangereuse parce que la plus grande
partie de nos échanges extérieurs se
fait avec l’Occident.
Nous dépendons de l’Europe pour tout,
exportations, importations, tourisme,
technologie, formation, investissements,
émigration. Notre niveau de vie en est
tributaire. Or il n’a sans doute échappé
à personne que les investissements
étrangers ne reprennent pas et que les
touristes ne sont pas revenus. Tant
mieux pour la Grèce, même si nous
n’avons pas vocation à nous sacrifier
pour ce pays concurrent.
Mais à qui la faute, et faut-il
s’étonner de cette image détestable que
nous donnons de plus en plus de
nous-mêmes ? En faire porter la
responsabilité aux médias, tel celui qui
veut casser le thermomètre pour ne pas
voir la maladie, sera-t-il de nature à
redonner confiance ?
La triste réalité, est qu’aux yeux
des Européens, nous devenons semblables
à l’Iran, l’Afghanistan ou l’Arabie
Saoudite. Pouvons-nous nous le permettre
? Comment comptons-nous nous en sortir ?
En quémandant quelques milliards aux
Wahhabites ou en remplaçant les
touristes occidentaux par les Saoudiens,
si tant est que ces derniers voudraient
venir dans notre pays ? Ne sait-on pas
que ce pays investit massivement en
Occident et que les Saoudiens, las de
leur législation obscurantiste, passent
leurs vacances, de préférence, dans des
pays «mécréants» ?
Au lieu des milliards escomptés,
c’est tout au plus quelques millions
qu’ils nous consentiront, de même que
les Qataris, et au prix de quelles
concessions ?
Les idéologues à l’origine de ce type
de propositions doivent savoir qu’ils
portent une grande responsabilité dans
la dégradation de l’image de la Tunisie
et qu’ils font courir un danger
redoutable à notre pays.
Si ajouts à la constitution il doit
il y avoir, que cela soit dans les
domaines plus consensuels et néanmoins
plus fondamentaux de la garantie des
libertés et de la démocratie plutôt que
dans cette prétention, si arrogante, de
nous faire découvrir… l’islam !
* Gérant de portefeuille associé.
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Publié le 24 février 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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