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Opinion

Egypte : « Le peuple réclame la chute du régime »
Fadwa Nassar

Samedi 29 janvier 2011

Le discours de cinq minutes prononcé hier au soir, par le président Moubarak, annonçant un nouveau gouvernement, ne changera rien pour le peuple égyptien en révolte depuis plusieurs jours. Immédiatement après le discours d’un chef d’Etat qui n’a encore rien compris aux aspirations de la jeunesse de son pays, les manifestations au Caire ont repris de plus belle, en pleine nuit, et les jeunes scandaient, en réponse, le mot d’ordre : « le peuple réclame la chute du régime ».
Depuis le début de la semaine, la jeunesse égyptienne, qui vient de redonner honneur à son peuple, se révolte contre le pouvoir de Moubarak, président depuis près de 30 ans et qui vient à peine d’achever une des élections parlementaires les plus ridicules et les plus contestées dans le pays, depuis la formation de l’Egypte moderne. La jeunesse égyptienne a osé affronter la répression des forces sécuritaires formées et entraînées par les Etats-Unis et les puissances occidentales, en vue de réprimer le peuple. Le peuple égyptien est dans la rue.
Près d’un demi-million de manifestants dans les rues d’Alexandrie, des centaines de milliers dans les rues du Caire, 40.000 dans les rues de Suez et des dizaines de milliers dans les principales villes du pays : Mansoura, Doumiat… Un peuple dans la rue qui réclame d’abord la chute du régime de Moubarak, responsable selon lui de tous les maux : pauvreté, chômage, humiliation, répression, corruption, collaboration avec l’Etat sioniste, etc..
Jusqu’à présent, la répression menée par les appareils répressifs du pouvoir (police, sécurité présidentielle) ont tué des dizaines, blessé plus d’un millier et emprisonné plusieurs milliers de manifestants. Vendredi, l’armée est descendue dans la rue, mais il semble qu’elle n’ait pas encore participé à la répression, d’après les informations en provenance d’Egypte : les manifestants enthousiastes ont accueilli favorablement son intervention dans le Caire, en lui réclamant d’assurer la protection de certains bâtiments, comme le Musée du Caire et le bâtiment de la Radio-Télévision. Selon d’autres sources, l’armée serait descendue dans la rue pour réprimer le peuple en révolte.
La jeunesse égyptienne a surpris le monde entier et apparemment, elle s’est surprise elle-même. Comme pour la Tunisie, personne ne peut expliquer comment un peuple, qui semblait si soumis à un pouvoir répressif n’ayant cessé de chanter les louanges de sa « démocratie » et de sa « liberté », parvient à se mobiliser en quelques jours, sans avoir établi de plan préalable, et menacer un des régimes les plus corrompus de la planète. Il est vrai cependant que les multiples causes de sa révolte se sont accumulées tout au long de ces trente années et même au-delà, malgré la vitrine libérale que le régime essayait de montrer : au-delà du chômage et de la pauvreté, c’est le bradage de toute l’industrie nationale égyptienne que le pouvoir a mené, c’est la corruption jusqu’à la moelle de toute une classe économique et politique qui a accumulé des fortunes colossales en quelques années, se souciant peu du bien-être du peuple, c’est le libéralisme à outrance qui a plongé les masses les plus pauvres dans la misère totale et poussé des secteurs entier du peuple dans une marginalisation extrême, et obligé des centaines de milliers d’Egyptiens à émigrer mais c’est également l’écartement de la jeunesse de la vie politique, la poussant à se divertir et à regarder avec envie les frivolités de l’occident.
La jeunesse égyptienne, avant-garde du peuple, a osé affronter la peur de la répression et a dit non aux orientations du régime. Depuis des années, les motifs de la révolte étaient là, mais le peuple semblait endormi : des manifestations sporadiques, des étudiants en colère, des partisans des partis de l’opposition politique, descendaient dans la rue mais étaient immédiatement encerclés par les forces de la répression dont le nombre dépassait souvent les contestataires eux-mêmes. La plupart du temps, les contestataires du pouvoir devaient exprimer leur colère à l’intérieur de bâtiments, comme à l’intérieur des campus universitaires et les partis politiques en place ont montré, globalement, leur stérilité maladive. Aucun mouvement populaire n’avait encore osé affronter les forces sécuritaires, et cela depuis bien longtemps. C’est en cela que le mouvement populaire en Egypte constitue un des grands bouleversements politiques dans le pays et inaugure une nouvelle ère dans la pratique politique : les peuples sont prêts à payer le prix de leur liberté et à se sacrifier pour changer le cours de l’histoire. Ils renouent avec un passé, pas si lointain que cela, mais que l’historiographie officielle des pouvoirs arabes en place veut effacer de la mémoire populaire.
La jeunesse égyptienne en révolte renoue avec le passé révolutionnaire de son peuple, bien qu’elle soit née à une époque où rien ne pouvait le lui rappeler, mis à part quelques intellectuels demeurés constants et fidèles au passé honorable de l’Egypte arabe. Et au cours de cette révolte qui ne fait que commencer, elle a prouvé qu’elle était consciente et savait comment s’organiser et organiser la révolte. Comment sinon expliquer sa volonté d’éviter les débordements d’une couche marginale qui a essayé d’attaquer et de dévaliser des lieux publics ? Comment expliquer sinon les appels des manifestants lancés à l’armée, lui demandant d’assumer son rôle en protégeant le Musée et d’autres lieux que les manifestants ne veulent pas voir détruire ou dévaliser ? Le communiqué de l’appel à l’armée qui a émané vendredi soir de la part des manifestants, au Caire, témoigne d’une conscience politique profonde qui refuse les actes de « la racaille ». Certes, les bâtiments du parti unique et les centres des appareils répressifs ont été incendiés, mais il ne s’agit que des symboles de ce pouvoir que le peuple égyptien veut voir disparaître.
En face, c’est la débandade totale. Le pouvoir en place réclame l’intervention des forces sécuritaires qui tuent, blessent et arrêtent, avant de se retirer dans certains lieux, comme pour donner libre cours aux débordements. Les responsables politiques, dont le président Moubarak, se cloîtrent dans un mutisme significatif, jusqu’à la déclaration de Moubarak, tard dans la nuit, annonçant avoir compris « son » peuple et pensant régler le problème en nommant un nouveau gouvernement. Le tunisien Ben Ali avait fait mieux. Il semble bien que ces hommes au pouvoir ont perdu toute capacité de comprendre ce qui se passe dans la rue.
Mais c’est du côté des puissances occidentales qu’il faut regarder pour comprendre ce que l’Egypte de Moubarak représente pour elles. Les réactions occidentales se sont contentées, au début, de demander au pouvoir, de laisser le peuple s’exprimer, louant les vertus d’un peuple qui manifeste et qui profite de la liberté d’expression. Les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, chacun y est allé de sa petite phrase voulue décisive et historique. Mais au fur et à mesure que le peuple égyptien poursuivait sa révolte, les communiqués brefs et décisifs changeaient de contenu, réclamant le calme, non seulement des appareils répressifs, mais également des manifestants, voulant mettre en garde ces derniers contre la poursuite d’un mouvement qui pourrait bouleverser la situation, non seulement en Egypte et dans le monde arabe, mais également dans ces Etats qui semblent si sûrs de leur domination éternelle sur le monde.
Dans la soirée, les communiqués américains et français sont plus réservés envers la démocratie en Egypte : certes, ils ne cessent de proclamer vouloir la défendre, mais les Etats occidentaux sont inquiets, et leurs communiqués le répètent. La Maison Blanche est inquiète, elle réclame l’intervention du président Moubarak, qui ne s’était pas encore manifesté, pour calmer la situation, et évoque même l’aide américaine avec une menace en filigrane. La France, après avoir appris la leçon tunisienne, ne se prononce pas : inquiète, elle mesure ses paroles et réclame le calme.
Car l’Egypte n’est pas la Tunisie, malgré l’importance du soulèvement et du changement de régime qui y a eu lieu. L’Egypte, de par sa place géostratégique, son histoire, sa démographie et le rôle de fidèle serviteur des intérêts américano-sionistes que le régime a joué depuis les accords de Camp David en 1977, est un pays clé dans le monde. Rien que de percevoir l’énorme bouleversement que le peuple égyptien en révolte pourrait provoquer donne le vertige… avant de donner une seconde vie au sens de l’honneur arabe, à l’ère des peuples arabes qui secouent le joug imposé depuis des décennies sur la région.
Ce sont les sionistes qui l’ont compris, malgré le mutisme des responsables. Une note ministérielle leur a demandé silence concernant la situation en Egypte. Mais leurs journalistes ne se privent pas de montrer combien la révolte populaire en Egypte leur fait craindre le pire : L’Etat sioniste est inquiet à présent et sa suffisance et arrogance des premiers jours de la révolte se sont dissipées, laissant la place à des interrogations cruciales : si le pouvoir égyptien chutait, quel sera l’avenir des accords de Camp David ? quel sera l’avenir pour la bande de Gaza, dont le blocus maintenu par le pouvoir égyptien satisfait au plus haut point les sionistes ?  Quel sera l’avenir de ce pays devenu « ami » depuis 1977 avec des Frères musulmans libres de pensée et de mouvement ? Et derrière tout cela, quel serait l’avenir dans la région, si les peuples revendiquaient et participeraient enfin à la lutte contre leur ennemi, L’Etat sioniste ?
Quant à Jeffrey Feltman, diplomate américain, sous-secrétaire d’Etat chargé des affaires asiatiques, et ancien ambassadeur au Liban, aura du mal à assurer toutes les tâches qui lui incombent à présent, après la révolte égyptienne, lui qui a récemment accouru en Tunisie pour préserver les intérêts américains. Il lui faut à présent s’envoler en Egypte, et peut-être dans quelques semaines, ailleurs. Cependant, la technologie contemporaine permet de faire des miracles. Avec un clonage en autant d’exemplaires que son administration le souhaite, il pourra poursuivre ses tâches, en toute tranquillité.

Article publié sur Résistance islamique au Liban

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Source : Fadwa Nassar


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