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Opinion
Documents al-Jazeera:
qui est le voleur ?
Fadwa Nassar
Photo: El-Watan © D.R.
Mardi 25 janvier 2011
Le scandale – catastrophe intervenu après la publication de la
chaîne satellitaire al-Jazeera de documents confidentiels
relatifs aux négociations entre l’Autorité palestinienne d’une
part et l’entité sioniste de l’autre, avec la participation ou
non de différentes puissances étrangères, n’a pas fini de faire
couler l’encre. Les réactions multiples et diverses aux
documents même et à leur publication vont continuer à susciter
la colère chez les uns, le désarroi chez les autres, mais dans
tous les cas, les 1600 documents promis par al-Jazeera ne
passeront pas inaperçus.
De quoi s’agit-il au juste? D’importance inégale, ces documents
sont soit des procès-verbaux des discussions entre la partie
palestinienne (Saëb Urayqat, Mohammad Qrai’, Mahmoud Abbas et
Yasser Abed Rabbo, notamment, et la partie sioniste), soit des
brouillons palestiniens devant être discutés, soit des e-mails)
qui dévoilent le contenu de négociations ayant eu lieu avant
2009. La majorité de ces documents concernent les négociations
sur trois sujets essentiels: la ville occupée d’al-Qods, la
question des réfugiés et la coordination sécuritaire (terme
neutre pour signifier la collaboration), le blocus et la guerre
contre Gaza. Ces documents, devant paraître sur un site internet
particulier, en arabe et en anglais, ont été obtenus et
rassemblés il y a quelque temps avant d’être soumis à un examen
minutieux par des experts palestiniens et étrangers. Le site en
question ne les a pas encore entièrement dévoilés.
A peine l’équipe d’al-Jazeera a-t-elle annoncé leur publication,
lors d’émissions spéciales qui leur sont consacrées, que les
réactions palestiniennes surtout, ont surgi. D’abord, les
responsables de l’Autorité, qui n’ont à aucun moment nié leur
contenu, ont réagi quant au moment choisi: selon eux, la
publication de ces documents serait une manœuvre pour mettre en
échec leurs efforts diplomatiques actuels à l’ONU et dans le
monde. Il est vrai que l’Autorité palestinienne a débuté son
année, après le constat d’échec du parcours des négociations, en
concentrant ses efforts sur la voie diplomatique, consistant à
obtenir une dénonciation de la colonisation en Cisjordanie et
al-Qods, considéré comme un obstacle au processus du règlement.
Selon certains de ses porte-paroles, ces documents, encore à
l’étude, seraient négociés dans le cadre d’une vision globale,
et non à la manière dont al-Jazeera le montre, c’est-à-dire
éparpillés et dans le désordre. Mahmoud Abbas a, de son côté,
impliqué les régimes arabes qui seraient, d’après ses dires, au
courant de toutes ses propositions puisqu’il fut honnête et
sincère envers eux. Mais ce qu’il a oublié de dire, c’est qu’il
ne le fut pas avec son peuple, qui fut maintenu dans l’ignorance
la plus totale concernant ces terribles négociations.
Quant aux autres négociateurs, et notamment Yasser Abed Rabbo,
ils ont menacé al-Jazeera et Qatar de jouer le jeu des sionistes
car selon eux, le dévoilement de ces documents, en ce moment
même, mettrait en cause leurs efforts diplomatiques. Quant au
Fateh, plus prompt à réagir pour défendre sa direction que pour
se mobiliser contre l’entité sioniste, il a réagi dans la rue,
envoyant ses voyous attaquer le bureau d’al-Jazeera à Ramallah,
lancé ses accusations pêle-mêle contre tous ceux qui croient à
la teneur de ces documents, nié la véracité de ces documents et
crié haut et fort que son mouvement et sa direction
n’abandonneront jamais al-Qods ni les réfugiés.
De l’autre bord c’est, outre la consternation, la colère et la
demande de la dissolution immédiate de l’Autorité palestinienne
qui a vendu le pays pour préserver un semblant d’Etat sur des
petits bouts de territoires disséminés en Cisjordanie et dans
al-Qods. Les réactions des mouvements islamistes (Hamas Jihad
islamique et mouvement islamique en 48) et nationaux (FPLP,
FPLP-Commandement généra, Rassemblement national démocratique en
48 et autres) ainsi que des personnalités indépendantes furent
immédiates et claires: les négociations doivent s’arrêter, les
responsables de ces concessions « gratuites » jugés et écartés,
et la dissolution de l’Autorité palestinienne, clairement
revendiquée par le Jihad islamique.
Le contenu des documents
Ils dévoilent d’abord l’objet des négociations :
Concernant la ville d’al-Qods: l’Autorité palestinienne aurait
été prête à accepter le maintien de toutes les colonies
sionistes installées sur le territoire de la partie orientale
d’al-Qods (nommée Jérusalem-Est), occupée en 1967, à part celle
installée sur Jabal Abou Ghnaym, à livrer le quartier appelé
juif dans la vieille ville et une partie du quartier arménien, à
partager la souveraineté sur la mosquée al-Aqsa, à tracer la
ligne frontière entre les deux « Etats » le long du mur al-Bouraq
de la mosquée et à livrer une partie de sheikh Jarrah aux
sionistes.
Concernant les réfugiés: l’Autorité aurait proposé le retour de
100.000 mille réfugiés palestiniens, sur une période de dix ans,
alors qu’ils sont au nombre de 5 millions, retour qui
s’effectuerait exclusivement sur le territoire de « l’Etat
palestinien ». De plus, l’Autorité reconnaîtrait le caractère
juif de l’Etat sioniste, c’est-à-dire un Etat ethniquement et
religieusement nettoyé des Palestiniens, avec des modifications
de lignes de partage entre les deux « Etats » afin que Tsibi
Livni puisse dormir tranquille. En effet, elle aurait expliqué,
dans un des documents, pourquoi elle refuse la présence des
Palestiniens de 48 dans l’entité sioniste, faisant référence au
village syro-libanais occupé d’al-Ghajar, ne voulant plus se
retrouver dans des situations démographiques complexes.
Concernant la coordination sécuritaire, la guerre et le blocus
de Gaza: les documents révèleraient comment l’AP fut au courant
des assassinats de dirigeants de la résistance et de la guerre
criminelle qui s’est déroulée fin 2008 et comment elle a
participé au blocus.
Au-delà de la teneur de ces documents, qui feront l’objet de
multiples études pendant ces prochains mois et qui ne manqueront
pas de susciter des protestations et des révoltes (des bruits
ont couru que les forces sécuritaires de Ramallah sont en état
d’alerte pour empêcher « tout débordement de la rue »), il faut
dire d’abord qu’ils ne viennent que confirmer ce que nombre de
personnalités, responsables politiques et journalistes savaient
déjà : le « document de Genève » signé par Yasser Abd Rabboh et
Yossi Peled en 2005 les annonce, puisqu’il nie le droit au
retour de tous les réfugiés, nie la souveraineté de l’Etat
palestinien qui serait fondé et partage la partie orientale
d’al-Qods. De plus, de nombreuses déclarations des hommes de
l’AP et leurs pratiques sur le terrain telles la répression
forcenée des résistants, l’abandon d’al-Qods et de sa
population, l’abandon de la question des réfugiés, les « fuites
» concernant la participation de l’AP au blocus, les
déclarations concernant leur soi-disant désintérêt quant à la
nature de l’Etat sioniste, leur abandon et traîtrise envers les
Palestiniens de 48, ont annoncé depuis plusieurs années le
contenu de ces documents-catastrophe.
Malgré tout, on reste consternés et effarés par tant de
concessions et la seule question que l’on puisse poser, à la
lecture et l’écoute de tout cela, consiste à se demander qui a
volé la Palestine. Les responsables de l’AP, les négociateurs
palestiniens, se sont comportés comme s’ils avaient pris quelque
chose qui ne leur appartenait pas et qu’ils négocient sur ce
qu’ils devraient rendre, alors que les sionistes négocient sur
la base que la Palestine, qu’ils ont volée, spoliée, meurtrie et
colonisée et dont ils ont massacré la population, et cela depuis
le début du siècle dernier, leur appartiendrait de droit et
qu’ils accepteraient, à la rigueur, d’accorder des miettes.
C’est, dans le cas de la Palestine occupée, la confirmation
qu’il ne peut et ne doit pas y avoir de négociations. On ne
négocie pas son droit, on l’arrache. On ne mendie pas des
miettes, on lutte pour libérer toute la Palestine. Le simple
fait de se mettre en face ou à côté des colons spoliateurs
racistes n’est qu’une insulte à la raison, à la justice, au
droit et à la dignité. Seule la résistance, et rien que la
résistance, armée, populaire et de longue haleine, permettra de
libérer la Palestine, du fleuve à la mer.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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