|
Opinion
Le retour à Yafa
Fadwa Nassar
Hassan Higazi
Vendredi 20 mai 2011
Il est palestinien, réfugié en Syrie. Il s’appelle Hassan Higazi,
il a 28 ans. Il a décidé, ce 15 mai 2011, son retour à Yafa, sa
ville natale. Et il y est parvenu.
Car le retour en Palestine pour les millions de réfugiés
palestiniens n’est pas fictif, il est devenu à portée de main.
Ce n’est pas non plus un retour en Cisjordanie ni à Gaza,
appelée par un tour de passe-passe, la Palestine, qui ne sont
que des territoires faisant partie de la Palestine, occupés en
1967. La Palestine est toute autre. Elle est la terre, la patrie
et le pays de ces millions de réfugiés que l’ONU et la
communauté internationale ont oublié, ou plutôt dont le retour a
été « oublié » depuis plus de soixante ans. La Palestine est la
terre où s’est implantée la colonie sioniste, appelée Etat
d’Israël.
L’exploit de Hassan Higazi est incontestablement l’événement qui
a marqué la commémoration annuelle de la Nakba, qui se place
désormais sous le signe du retour. On ne commémorera plus
désormais la catastrophe que nous avons subi, il y a 63 ans, par
notre expulsion du pays, mais nous célébrerons notre retour,
devenu actuel. Et Hassan Higazi nous a montré que cela est
possible, que le rêve du retour au pays peut devenir réalité. Il
suffit de le concevoir et de s’y préparer.
Hassan Higazi a été arrêté, à Yafa, par la police sioniste. Il
est parvenu à s’exprimer devant la presse, en déclarant tout
simplement qu’il a décidé de retourner dans sa ville natale et
qu’il ne reconnaît pas la légitimité de la création de l’Etat
sioniste. Un autre Palestinien réfugié, qui a également réussi à
franchir la ligne séparant le Golan syrien occupé du reste de la
Syrie, a été arrêté en route vers al-Quds, ainsi qu’un autre
palestinien d’al-Quds accusé de l’avoir aidé. D’après les
informations en provenance de l’Etat sioniste, la police serait
en train de rechercher d’autres « infiltrés ».
Ce mot est donc revenu à la surface, soixante après. « Les
infiltrés », ce sont les Palestiniens expulsés de leurs terres
en 48 et qui ont essayé, coûte que coûte, de revenir à leur
patrie, qui venait d’être proclamé Etat sioniste. Des dizaines
« d’infiltrés » avaient été assassinés entre 1948 et 1950.
Aujourd’hui, soixante ans après, les voilà à nouveau : « les
infiltrés » reviennent au pays.
La commémoration de la Nakba en mai 2011 marque un véritable
tournant dans la lutte du peuple palestinien. Par le sang des
jeunes réfugiés venus de Syrie et du Liban, elle a non seulement
remis en avant la question des réfugiés mais elle a affirmé que
leur retour est possible, parce qu’ils l’envisagent et s’y
préparent. Elle a également affirmé que franchir les barbelés de
l’occupation n’était pas un acte illégal, mais légitime,
puisqu’il s’agit de retourner dans son pays, tel que le demande
la résolution 194 de l’ONU, même si cette instance cherche
aujourd’hui à s’en défaire pour plaire à l’occupant colonial.
Retour et libération
Cependant, Hassan Higazi a eu raison d’affirmer que son retour a
été plutôt symbolique, car il ne peut y avoir de retour au pays
sans libération. Il a voulu juste montrer la voie, insister sur
l’importance de l’acte de retour, au moment même où est
commémoré le processus criminel ayant entraîné l’expulsion de
son peuple. De plus, il ne s’agit pas de retourner,
individuellement, bien que le droit au retour soit aussi
individuel.
Considérer le retour possible sans avoir au préalable libérer la
Palestine est un leurre auquel veulent croire tous ceux qui ont
légitimé ou légitiment encore la création de la colonie
sioniste. Car, sans qu’ils ne l’affirment explicitement, ils
réclament le droit au retour des réfugiés vers la Cisjordanie et
la bande de Gaza, territoires considérés comme étant la
Palestine. C’est ainsi qu’il faut comprendre les déclarations de
certains responsables palestiniens ou arabes, et internationaux.
Mahmoud Abbas, réfugié de Safad, considère qu’il est retourné au
pays, alors que la ville de Safad lui est interdite. C’est en
cela que l’acte de Hassan Higazi bouleverse leur conception du
retour : c’est à Yafa qu’il est retourné, au cœur même de la
colonie sioniste.
Le secrétaire général du mouvement du Jihad islamique, dr.
Ramadan Shallah, a d’ailleurs déclaré, à cette occasion : « les
martyrs de la Palestine tombés aux frontières de la Palestine, à
Maroun El-Ras et aux frontières du Golan nous disent que le
plafond doit être la Palestine, toute la Palestine, et le
Palestinien qui est arrivé à Yafa, sait que Yafa fait partie de
sa patrie, que Haïfa est sa patrie. Nous disons aujourd’hui, à
tous ceux qui ont voulu fixer le plafond aux frontières de 67,
que notre droit est toute la Palestine. »
De plus, il ne s’agit pas d’un retour individuel. Des dizaines
de Palestiniens avaient réussi, auparavant, à retourner
individuellement et parfois à récupérer certaines de leurs
possessions, suite à des batailles juridiques aussi longues
qu’ardues. Malgré l’importance de leur retour, symboliquement
parlant, la question demeure : c’est le retour collectif des
réfugiés à leur patrie, leurs terres et leurs biens qui est
réclamé, ce qui signifie, dans les faits, le démantèlement de la
colonie sioniste appelée Etat d’Israël. Il ne s’agit pas de
s’infiltrer, mais de rentrer la tête haute, par le même chemin
qui a conduit à l’exil. C’est également l’importance symbolique
du geste de Hassan Higazi, qui est rentré à partir de la Syrie
vers le Golan occupé : reçu en héros par la population syrienne
du Golan, il est l’image de ces millions de réfugiés qui
pourront enfin rentrer au pays, accueillis par leurs frères et
leurs familles restés au pays et vivant sous occupation.
Le sang des martyrs, réfugiés au Liban, en Syrie et à Gaza, et
l’exploit de Hassan Higazi, en ce jour du 15 mai 2011, ont
tourné la page de l’attentisme d’une « solution » concoctée par
les grandes puissances et leurs subalternes dans la région. En
propulsant la question des réfugiés au premier plan, ils ont
lancé une dynamique dans les camps des réfugiés qu’il va être
difficile de stopper, d’autant plus que les appels à des marches
similaires sont lancés, la prochaine devant se dérouler pour la
commémoration de l’occupation du reste de la Palestine, en juin
1967.
Le
sommaire de Fadwa Nassar
Dernières mises à
jour
|