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Belfast Telegraph
A
l'époque où Blair était ministre, le Mur : il s'assoyait dessus
!
Eamonn McCann
Eamonn
McCann - Photo Belfast Telegraph
in Belfast Telegraph, 18 octobre 2007
http://www.belfasttelegraph.co.uk/columnists/eamon-mccann/article3073494.ece
Parler de la Palestine à Tony Blair ?
Autant parler au Mur ! A Hébron, la semaine dernière, Blair
s’est dit « réellement étonné et en colère » après
qu’un responsable de l’Onu lui eut exposé les conséquences
catastrophiques du Mur pour la vie des Palestiniens.
Bien.
Le responsable de l’Onu a fait son boulot, en tous les cas.
Quant à Blair, il aurait rompu avec les habitudes de toute une
vie politique en s’étant exprimé aussi directement qu’il
l’a fait, et « on the record », au sujet de la
Palestine…
Ce qu’il y a d’étonnant, dans cette
affirmation, c’est que rares ont été les sujets sur lesquels
Blair ait fait l’objet d’un lobbying aussi intensif, au 10,
Downing Street, que le mur d’apartheid d’Israël. Des députés,
Amnesty International, des associations caritatives et toute une
collection d’ONG et de groupes de solidarité avec les
Palestiniens n’ont cessé de frapper à la porte de Downing
Street, exhortant Blair à prendre bonne note des effets du Mur.
Sa réaction avait toujours été un refus catégorique de reconnaître
la validité de leurs plaidoiries, ou d’exiger qu’Israël démantelât
une structure qui était pourtant totalement illégale et qui
faisait de la Cisjordanie une prison en ébullition.
Et voilà qu’aujourd’hui, il nous permet
d’apprendre qu’il vient tout juste de découvrir ce que
signifie ce Mur pour les familles qui survivent dans son ombre…
Les annales suggèrent que Blair n’aurait
pas même franchi ce pas minuscule, s’il était encore aux
manettes. Seulement, voilà : aujourd’hui, agissant en tant
que médiateur pour le Moyen-Orient du Quartet – composé,
rappelons-le, de l’Union européenne, de l’Onu, de la Russie
et des Etats-Unis –, et comme il s’apprêtait à rencontrer
des représentants de l’administration fathaouie dirigée par
Mahmoud Abbas, il se fend d’un petit propos doucereux qui
n’engage pas à grand-chose au sujet de la cause du peuple qu’Abbas
se targue de représenter…
Une chose est sure : il ne rencontrera
pas de représentants du Hamas, qui, l’an dernier, a battu le
Fatah lors des élections générales dont tous les observateurs
indépendants ont confirmé qu’elles avaient été libres et
honnêtes. La réaction de Blair à la défaite de la faction d’Abbas
avait consisté à déclarer, en décembre dernier : « Le
temps est venu, pour la communauté internationale, d’apporter
son soutien au Président Abbas, afin de l’aider à établir son
autorité. »
Alors, là : oui, pour le coup, voilà
une déclaration devant laquelle nous pouvons être, à juste
titre, « étonnés » et « en colère » !
Bob [Robert, ndt] Fisk n’a pas estimé
qu’étonnement était un terme suffisant pour décrire sa réaction
à l’annonce de la désignation de Blair comme honnête courtier
entre Israël et les Palestiniens. « Etonnement, ça n’est
pas le mot approprié. Ce qui me vient à l’esprit, c’est plutôt
‘stupéfaction’… Je suis encore abasourdi de voir que cet
homme fat et madré, ce menteur patenté, ce juriste tapageur qui
a le sang de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants arabes
sur les mains, puisse sans sourciller ne serait-ce qu’envisager
de devenir « notre » envoyé au Moyen-Orient ! »
Mais non : il est là, aussi fier que sa
nuque raide, enfoncé dans des bureaux somptueux de (je vous le
donne en mille…) l’Hôtel American Colony (rien que ça !)
à Jérusalem Est, disposant d’un budget annuel de 8 millions de
dollars et d’une équipe forte de 14 conseillers, recevant des
visiteurs de telle et telle faction [palestinienne] (le Hamas
excepté, toutefois) et, d’après les dépêches des agences de
presse, « exhortant toutes les parties au compromis »…
On voit mal quel compromis on pourrait
raisonnablement attendre de la part des Palestiniens, sur la
question du Mur ?
Ce Mur serpente sur des centaines de kilomètres
à travers la Cisjordanie, incluant (au côté israélien) plus de
90 % des colonies juives illégales construites sur des terres
palestiniennes. Toutes les propriétés palestiniennes situées à
moins de 60 mètres de son tracé sont détruites ou confisquées.
Ce sont au minimum 10 000 Palestiniens qui se retrouveront
coincés entre le Mur et Israël, dans une bande de terrain
d’ores et déjà déclarée « zone militaire fermée ».
Pratiquement la totalité (98 %) des colons illégaux seront du côté
(dit) « israélien » du Mur, c’est-à-dire dans la
partie des territoires palestiniens annexés de fait à Israël.
Pendant ce temps, la superficie laissée aux Palestiniens par
cette construction illégale sera saucissonnée en minuscules
bantoustans par des routes réservées aux Israéliens circulant
entre les colonies et Israël ou entre les colonies elles-mêmes.
Sur quoi les Palestiniens sont-ils supposés
faire des concessions ?
Blair n’a pas dit un seul mot, non plus, au
sujet de la loi du Fonds National Juif, dont la première lecture
a pourtant eu lieu, à la Knesset, au mois de juillet. Cette loi
édicte que les terres administrées par le Fonds National Juif [Keren
Keyamet le-Yisroël] doivent exclusivement être allouées à des
juifs. La plupart de ces terres – 13 % du territoire israélien
– ont été volées à des familles palestiniennes vivant
aujourd’hui dans des camps de réfugiés, ou « déplacées
de l’intérieur » en Israël.
Ce texte de loi, adopté à 64 voix contre
16, a été qualifié d’ « abominable » par les
députés du parti de la gauche juive Meretz-Yachad, qui ont ajouté
que cette loi « montre le véritable visage du gouvernement,
et risque de donner d’Israël l’image d’un Etat raciste
pratiquant l’apartheid. »
Les gouvernants d’Israël rejettent l’étiquette
de racistes. Et ils ont validé cette loi, dont une annexe déclare :
« Quoi que dise à ce sujet tout autre texte de loi, la
location de terres appartenant au Fonds National Juif aux fins de
l’installation de juifs sur lesdites terres ne sera pas considérée
comme constitutive d’une discrimination abusive. »
Les fossiles survivants des autorités de
l’Etat d’Alabama, dans les années 1960, doivent se donner des
baffes de n’avoir pas pensé à ça, non ?! « Quoi
que dise à ce sujet tout autre texte de loi, obliger les Noirs à
voyager assis au fond du bus ne sera pas considéré comme
constitutif d’une discrimination abusive… » !?
Seulement voilà : à
l’époque, ils n’auraient pas trouvé un Tony Blair, comme médiateur
refusant de parler à tout Noir, sauf à l’Oncle Tom, et suggérant
un compromis aux termes duquel les Noirs devraient être autorisés
à s’asseoir au milieu du bus, mais surtout pas ailleurs !
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
par Eamonn McCann (un lecteur)
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