Opinion
La doctrine de
Moscou au M-O:
ne pas inciter l'opposition à la
violence
Dmitri Kossyrev
Ministre
russe des Affaires étrangères Sergueï
Lavrov
© RIA Novosti. Grigoriy Sysoev
Samedi 20 janvier
2012
En suivant le chemin le plus
difficile au Moyen-Orient (et pas
seulement), et ne craignant pas d’entrer
en conflit avec les nouveaux dirigeants
arrivant au pouvoir sur la vague des
révolutions arabes, la diplomatie russe
ne cherche aucunement à ralentir les
changements dans la région.
Elle tente seulement de rendre ce
processus plus civilisé, a fait
comprendre le ministre russe des
Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors
de la conférence de presse dans laquelle
il dressait le bilan de la diplomatie
russe en 2011.
Cette conférence de presse, qui se tient
chaque année dans la seconde moitié du
mois de janvier, est un événement
curieux en soi. Cette conférence est
censée présenter le bilan diplomatique
de l’année précédente. Mais alors
pourquoi n’est-elle pas organisée à la
veille des fêtes de fin d’année, ce qui
serait logique du point de vue des
médias, mais pratiquement la veille du
Nouvel an chinois? Il est clair qu’on y
parle principalement des événements de
l’année qui a déjà commencé, y compris
des événements à venir. C’était
également le cas le 18 janvier au
ministère des Affaires étrangères.
Ce n’était pas la peine
d’insister
Toutefois, les événements les plus
marquants de 2011 ont été le prétexte
pour faire la transition en douceur vers
2012. Evidemment, cela concerne tout ce
qui se rapporte au Moyen-Orient, les
révoltes et les guerres arabes. Sergueï
Lavrov a répondu aux questions à ce
sujet (la Syrie, l’Iran, etc.) encore et
encore. A première vue, rien de
fondamentalement nouveau n’a été dit, il
y avait de nombreuses "broutilles" et
des détails qui permettent de voir plus
clair qu’auparavant dans les événements
actuels, ou plus précisément dans la
politique moyen-orientale de la Russie.
Voici une situation classique pour toute
diplomatie: une chose désagréable est
susceptible d’arriver dans un groupe de
pays (et un changement de régime est
toujours désagréable, même si le nouveau
s’avère amical). Comment faut-il réagir?
La solution la plus simple et évidente
consiste à suivre l’exemple de la
diplomatie américaine. Feindre que
l’effondrement des régimes proaméricains
(par exemple, en Egypte) est une très
bonne chose, et que les Etats-Unis sont
le principal ami de tous les rebelles.
Pourquoi Moscou ne ferait pas de même?
Remplacer les ambassadeurs qui ont
réussi à établir des liens étroits avec
les anciens dirigeants et élites.
S’armer de patience, car la première
vague révolutionnaire est toujours
suivie d’une deuxième, puis d’une
troisième… mais au final la situation
reste inchangée.
Le Moyen-Orient n’est pas un partenaire
si important pour la Russie. On pourrait
le rayer mentalement de la liste des
priorités pour une dizaine d’années (dix
ans constituent un délai moyen pour le
rétablissement d’un pays moyen après les
troubles révolutionnaires). Et à la fin
de la décennie on saurait à qui on a
affaire.
Mais Moscou a apparemment emprunté le
chemin le plus difficile. Il s’est
fermement opposé aux révolutionnaires
armés en Syrie, il n’a exprimé aucun
respect pour les opposants à Kadhafi en
Libye, et, à première vue, refrène tout
effort pour relancer la révolution dans
la région.
De la même manière que l’empereur
Nicolas I qui a fait du "maintien de la
situation" en Europe (aucune révolution)
sa doctrine de politique étrangère et
qui a payé au prix fort son illusion que
les Européens aimeraient la Russie pour
cela.
Pourquoi la Russie le fait-elle et
qu’espère-t-elle obtenir? Pourquoi elle
n’a pas eu peur de se quereller avec les
forces du monde arabe qui ont renversé
leurs gouvernements parce qu’elles
voulaient des changements?
Il ne s’agit pas seulement des
Arabes
Sergueï Lavrov n’a pas répondu
directement à cette question parce
qu’elle n’a pas été posée de manière
aussi directe et franche. Mais en
principe, la "doctrine moyen-orientale
révolutionnaire" se distingue dans ses
propos.
Pour commencer, la Russie ne cherche
aucunement à se prendre pour Nicolas I
et s’opposer aux changements. Les forces
extérieures doivent accepter le choix
des peuples de la région et ne pas
s’ingérer dans les affaires des Etats, a
déclaré Lavrov. Même si les forces
extérieures savent, d’après leur
expérience, que les changements à
caractère révolutionnaire mènent
toujours à la catastrophe.
Le ministre a également énoncé quelques
principes de comportement des puissances
"extérieures" dans les affaires du
Moyen-Orient.
Premier principe : ne pas jeter de
l’huile sur le feu (des conflits et des
révolutions), la région est déjà
suffisamment embrasée comme cela.
Deuxième principe : ne pas gêner les
efforts de ceux qui cherchent à établir
le dialogue politique avec chaque pays.
Troisième principe : ne pas inciter
l’opposition à l’intransigeance dans un
tel dialogue, qui plus est ne pas
l’armer, et aider seulement ceux qui
veulent dialoguer.
Moscou, ainsi que ses partenaires
influents, obéissent à la lettre à ces
principes en discutant les résolutions
sur la Syrie au Conseil de sécurité des
Nations Unies.
A ce sujet Sergueï Lavrov a rappelé une
nouvelle fois deux points clés défendus
fermement par la Russie. En résumant le
premier point, on obtient la formulation
suivante : les meurtres sont des
meurtres, indépendamment de celui qui
les commet, que ce soit le régime ou
l’opposition, et la volonté de renverser
le régime ne doit pas donner à
l’opposition le feu vert pour perpétrer
des crimes – chacun répondra de ses
actes.
Et le second point concerne le fait que
cette résolution ne comporte rien qui
puisse être interprété comme
l'autorisation d’utiliser la force en
Syrie (comme c’est arrivé en Libye).
Il est facile de constater que le
principal message de cette "doctrine"
n’est pas du tout adressé aux rebelles
arabes (ou ceux qui détestent les
rebelles). Bien sûr, il est actuellement
très difficile de faire de la diplomatie
avec les Arabes. Une partie des régimes
représentés à la Ligue arabe sont
nouveaux et peu expérimentés. Une autre
partie est absorbée par la confrontation
avec la partie chiite du monde musulman
(d’où l’hostilité permanente envers
l’Iran et son partenaire, la Syrie), or
c’est très dangereux.
En fait, l’appréciation par Lavrov de la
situation dans la région est globalement
la suivante : cette situation est
imprévisible, les changements viennent
seulement de commencer, et c’est la
raison pour laquelle il faut être
particulièrement prudent.
Mais la diplomatie avec les Européens et
les Américains paraît encore plus
complexe.
En regardant attentivement le fond de
leurs actions à l’égard de la Libye, de
la Syrie et de l’Iran, une seule
conclusion vient à l’idée : en
ressentant sa faiblesse croissante,
l’Occident trouve utile de plonger le
Moyen-Orient dans le chaos sanglant
total afin qu'il soit occupé par ses
problèmes pendant encore 10-20 ans.
Apparemment, il n’y a aucune autre
logique, car les Occidentaux peuvent
difficilement compter sur la
convivialité des nouveaux régimes
arabes.
En bloquant les Européens et les
Américains, la Russie ne cherche
aucunement à les concurrencer "dans
l’ensemble". Au contraire, au mieux
Moscou voudrait établir de nouvelles
règles de coopération en cette nouvelle
époque complexe. C’est une question de
principes communs.
Après tout, le Moyen-Orient n’a pas le
monopole de la violence de la rue. Aussi
étrange que cela puisse paraître,
l’Europe occupait en 2011 la deuxième
place derrière les arabes. Et les
Etats-Unis ne sont pas non plus prémunis
contre ce phénomène.
Dans sa lutte "pour le respect de ces
principes" au Moyen-Orient, et pas
seulement, la diplomatie russe n’est pas
isolée, car une partie des pays du BRICS
(Brésil-Inde-Chine-Afrique du Sud) et
plusieurs dizaines d’autres pays
rejoignent sa position. Il ne s'agit par
pour ce nouveau groupe d’Etats influent
de jouer des muscles, mais de s'efforcer
d’atteindre leur objectif de manière
civilisée.
Autrement dit, ce n’est pas tant la
politique moyen-orientale qu’une
tentative d’améliorer la situation
mondiale en cette nouvelle époque. Quel
sera le résultat de cette tentative
cette fois, qui vivra verra. Mais il
faut bien commencer par quelque chose.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2012
RIA Novosti
Publié le 20 janvier 2012
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