Opinion
La vocation
dévoyée du Conseil de Sécurité de l'ONU
Dmitri Kossyrev
Photo: RIA
Novosti
Vendredi 10 juin
2011
Le Conseil de sécurité n’adoptera
aucune résolution - atténuée ou nouvelle
- sur la Syrie.
Car Moscou (et la Russie est loin d’être
la seule) votera contre. La raison
est la suivante: d’aucuns ont eu tort de
chercher à réaliser leurs rêves de
longue date visant à léser l’Iran, et à
transformer parallèlement le Conseil de
sécurité des Nations Unies en une arène
de règlement de comptes idéologiques. Ce
n’est pas la raison d’être du Conseil de
sécurité.
Londres et Paris insistent
sur une résolution
L’histoire de la résolution syrienne
est aussi tumultueuse que l’histoire de
pratiquement toute résolution du Conseil
de sécurité des Nations Unies. En fait,
le Conseil de sécurité est une véritable
source d’adrénaline. Les convictions,
les cultures, les intérêts et bien
d’autres choses s’y affrontent. Et
maintenant, c'est le tour de la Syrie.
Le vote sur la résolution syrienne
proposée par la France et la
Grande-Bretagne aura lieu avant la fin
de la semaine, en dépit de l'intention
affirmée par le président russe Dmitri
Medvedev à
Deauville pendant la réunion du G8
d’utiliser le droit de veto. Le 9 juin,
cette position a été confirmée par le
ministère russe des Affaires étrangères.
Le ministre des Affaires étrangères
Sergueï Lavrov a réitéré cette attitude
au cours des derniers jours. Tout
semblait clair.
En fait, il est rare d’assister à
l’utilisation du droit de veto au sein
du Conseil de sécurité. Si l'un des pays
disposant de ce droit annonce à
l’avance, officiellement ou en privé,
qu’il n’est pas d’accord, on n’essaye
même pas de soumettre la résolution à la
discussion, car cela devient inutile.
Mais alors pour quelle raison le
premier ministre britannique David
Cameron déclare: "Si quelqu’un vote
contre cette résolution ou utilise le
droit de veto, cela pèsera sur sa
conscience"? Pourquoi précisément dans
la situation actuelle, les coauteurs de
la résolution (et les Etats-Unis)
ont-ils décidé de faire monter les
enchères sur la question syrienne et
littéralement d’obliger la Russie et la
Chine à utiliser le moyen suprême, le
veto?
Tout cela parce qu’il ne s’agit pas
de la Syrie, pas plus que de savoir qui
est son ami, son partenaire économique
ou son allié. Il est question d’une
chose bien plus importante. Le problème
est celui de la lutte permanente et de
longue date pour le Conseil de sécurité.
Le Conseil de sécurité, un
outil de lutte contre un agresseur
L’ONU est un mécanisme complexe, mais
particulièrement efficace et utile. Et
le Conseil de sécurité est le seul de
ses organismes habité à punir tout un
Etat: adopter des sanctions
contraignantes contre lui.
Ce mécanisme était au départ créé
contre Adolf Hitler, déjà mort et
enterré à cette époque. L’agression d’un
Etat par un autre doit être absolument
et obligatoirement punie: c’est le cœur
de l’idée même de l’ONU. La sanction est
imposée par le Conseil de sécurité, et
personne d’autre. Aussi étrange que cela
puisse paraître, la résolution de
l’Assemblée générale des Nations Unies,
autrement dit de pratiquement tous les
192 Etats du monde, peut être ignorée.
Mais ce n’est pas le cas d’une
résolution du Conseil de sécurité.
Mais cela ne signifie pas que le
Conseil de sécurité à la liberté de
choisir le thème. Conformément à son
appellation, il est chargé de la
sécurité: de l’agression ou de la menace
exercée contre un pays par un autre
pays. La Syrie ne menace personne. Le
problème local concerne exclusivement
les méthodes utilisées dans la guerre
civile. La guerre d’une partie de la
population contre l’autre.
La Syrie n’est pas le premier cas où
l'on tente d’utiliser le Conseil de
sécurité à des fins inappropriées. Il
existe une multitude d'exemples.
Notamment, la Birmanie (Myanmar). Le
Congrès américain approuve constamment
la résolution qui stipule que la
Birmanie (ce nain politique) "menace la
politique étrangère des Etats-Unis."
Puis, tantôt les Etats-Unis, tantôt la
Grande-Bretagne soulèvent la question de
la Birmanie et de son régime militaire
(actuellement semi-militaire) au Conseil
de sécurité des Nations Unies. Et la
Russie rappelle qu’ils ne frappent pas à
la bonne porte. La Birmanie ne présente
une menace pour personne.
Mais il existe des résolutions peu
sévères qui ne mentionnent aucune
sanction. Et cette fois Paris et Londres
ont précisément proposé une telle
résolution en espérant que Moscou
s’abstiendrait au moins lors du vote. En
quoi ces documents sont-ils donc
néfastes?
Ils n’ont rien de néfaste, sans
compter qu’ils servent de justification
morale pour certaines sanctions
nationales ou de toute l’Union
européenne. Mais en utilisant avec
habileté le mécanisme de l’ONU et en
insérant dans la résolution un
paragraphe passé inaperçu concernant le
réexamen de la question (ou quelque
chose de ce genre), l’affaire peut aller
très loin.
Ce qui est bien et ce qui est mal
Ainsi, s’il n’y a pas d’imprévu, la
question syrienne ira là où est sa
place. En d’autres termes, ailleurs
qu’au Conseil de sécurité. Et on sera
alors en droit de se demander pourquoi
cette question s’est-elle posée du tout.
Bien sûr, abstraction faite de la
considération qu’en punissant la Syrie,
alliée de Téhéran, on affaiblit du même
coup l’Iran.
Et il s’avère alors que tout se
réduit à un seul mot: l’idéologie. Il
existe un ensemble relativement standard
de notions de ce qui est bien et de ce
qui est mal. L’idéologie est
pratiquement une religion. Il existe
plusieurs blocs de notions de ce type
dans le monde, semblables en apparence,
mais divergents sur beaucoup de points.
Par exemple, est-il possible
d’organiser non pas des manifestations
armées contre le pouvoir, mais des
actions pacifiques entravant le
fonctionnement des autorités? Non, selon
la législation de tous les pays. Le
gouvernement peut-il utiliser la force
contre de tels manifestants qui violent
carrément la loi? Aux Etats-Unis, où
selon certaines informations les émeutes
arabes avaient été annoncées à l'avance,
on réfléchit beaucoup à cette question
depuis le mois de septembre. Et les
Américains ont décidé que les
gouvernements au Moyen-Orient avaient
toujours tort, et que le peuple révolté
avait toujours raison. Il ne reste plus
qu’à convaincre le reste du monde qu’il
s’agit d’un verdict juste. Mais de la
même manière que la société européenne
croit en la nature sacrée des
résolutions, la Russie a une attitude
complètement différente.
Il est regrettable de le reconnaître,
mais la convergence idéologique de
l’Occident et de l’Orient ne se
réalisera pas à court terme. Il ne
s’agit pas des gouvernements, mais des
sociétés au sein des quelles les
échelles des valeurs demeurent
différentes. L’Orient et l’Occident
existent toujours, alors que le
communisme n’existe plus depuis
longtemps.
Il ne s’agit pas du fait que
l’Occident, qui à l’époque de l’URSS
s’accrochait de toutes ses forces à
l’idée de la loi et de l’ordre, est
soudainement devenu un fervent adepte et
idéologue des révolutions en l’absence
de l’URSS "révolutionnaire." Mais le
fait est que le monde contemporain
soulève de nombreuses questions
réellement complexes.
Par exemple, si un "peuple révolté"
s’empare d'armes à feu et de matériel
blindé, comme
en Libye, a-t-il encore raison? Et
les autorités qui réagissent avec des
raids aériens contre cette foule,
ont-elles raison à leur tour? Il est
possible et nécessaire de discuter de
telles questions. Pendant des
conférences scientifiques et dans les
médias, mais pas au Conseil de sécurité
des Nations Unies.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
Le
dossier Syrie
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