|
Compaoré du Burkina dissout son
gouvernement et limoge le chef des armées
Le Printemps arabe se propage en Afrique
D. Bouatta
Blaise Compaoré
Dimanche 17 avril 2011
L’Afrique n’est pas exempte de l’épidémie du Printemps
arabe. Le Burkina Faso en est la première victime.
Blaise Compaoré n’aura pas eu le temps de savourer sa
énième réélection. Ça fait vingt-quatre ans qu’il est au
pouvoir ! C’est un “doyen” de la trempe de Kadhafi,
Mugabe et consorts.
Compaoré a
rempilé en novembre dernier, selon le tour de passe bien
huilé chez les autocrates africains. Mais, entre-temps,
deux révolutions dans le nord du continent (Tunisie et
Égypte) ont sifflé la fin de la partie pour leur régime
dictatorial, donnant le coup d’envoi à la révolution
démocratique “universelle” dans le reste du monde arabe
et même plus loin puisque son onde de choc s’est
propagée jusqu’en Chine. En cinq mois, Compaoré a subi
trois mutineries ! Celle de vendredi, la dernière a été
organisée par des éléments de sa propre garde
présidentielle dans le camp Guillaume Ouédraogo, dans le
centre de la capitale. Le président qui s’en est sorti,
on ne sait toujours pas comment, a dissous le
gouvernement et s’est surtout débarrassé de son chef
d'état-major, le général Dominique Djindjéré, et du chef
des corps du régiment de sa sécurité, le colonel Omer
Batiolo. Celui-ci est remplacé par le colonel Boureima
Kéré, considéré comme assez populaire au sein des hommes
de la troupe. Kéré est celui qui s’est employé toute la
nuit de jeudi à vendredi à ramener à la raison les
soldats mutinés à la présidence. Reste à attendre
l’impact de ces mesures sur la situation explosive dans
les casernes du Burkina. Quant au limogeage du
gouvernement, Compaoré espère qu’il va contribuer à
décompresser “la cocotte-minute”, son pays étant sur une
poudrière. Rien n'est moins sûr, estime l'opposition par
la voix de son chef de file, l’avocat Bénéwendé Sankara.
Il s'agit de mesures hâtives qui ne résoudraient rien.
Avant Compaoré, Ben Ali et Moubarak avaient expérimenté
ces fuites en avant sans succès, tout comme le font
actuellement leurs pairs arabes dans la tourmente
(Libye, Syrie, Yémen, Jordanie… ). En réalité,
l’opposition attend de Blaise Compaoré une annonce qu’il
ne se représentera pas aux élections de 2015.
L’agitation dans son pays intervient également dans un
contexte politique particulier avec toute la polémique
sur la modification de l'article 37 de la Constitution
qui limite à deux le nombre de mandats pour le
Président. En fin de semaine dernière, Compaoré avait
installé un Conseil consultatif pour réfléchir aux
réformes politiques et institutionnelles qu’il a
promises lors de sa campagne pour sa réélection en
novembre dernier. Au pouvoir depuis 1987, au lieu de
chercher à désamorcer la crise et les tensions sociales
latentes et qui agitent de nouveau son pays depuis
bientôt deux mois, Blaise Compaoré n’a retenu de ses
promesses électorales que sa volonté de réviser pour la
sixième fois la Constitution pour pouvoir se présenter
en 2015, et selon la formule consacrée chez les
dictateurs : si le peuple le lui demandait. De nombreux
observateurs de la vie politique burkinabée estiment que
derrière toutes les revendications corporatistes, il y a
en filigrane cette polémique sur l’appétit de Compaoré
alors qu’il vient à peine de commencer un nouveau
mandat. À Ouagadougou, on est en train de réfléchir au
modus opérandi des révolutions arabes. La contestation
est tous azimuts. La mort, le 20 février à Koudougou, de
Justin Zongo, un jeune homme de 23 ans, déclenche un
mouvement de protestation étudiant. Les autorités
affirment qu'il est décédé des suites d'une méningite,
les étudiants accusent les policiers, et organisent des
manifestations à travers le pays. Elles sont réprimées
dans la violence. On dénombre six morts. Le 22 mars, des
soldats entrent en mutinerie à Ouagadougou. Ils
protestent contre la condamnation de cinq des leurs dans
des affaires de mœurs, tirent en l'air et pillent des
boutiques. À la fin du mois de mars, des militaires dans
des casernes de Fada Ngourma protestent pour les mêmes
raisons, pillent eux aussi des magasins et tirent même
une roquette sur le palais de Justice. La grogne se
propage dans d'autres casernes en province, les soldats
invoquent des différends avec leur hiérarchie et
réclament des primes. Dans la capitale, Ouagadougou, la
maison du maire est saccagée, lui-même est blessé, la
maison du chef d'état-major des armées est incendiée.
Blaise Compaoré se résout alors à intervenir
solennellement à la télévision : il dénonce le
comportement des soldats, mais il reconnaît un malaise
et promet des concertations avec les militaires, les
représentants de la société civile et le mouvement
étudiant. À l'issue de ces rencontres, début avril,
Blaise Compaoré déclare que la crise est terminée. Deux
semaines plus tard, la garde présidentielle entre en
révolte.
Copyright © 1998-2011 Tous droits réservés LIBERTE.
Publié le 17 avril 2011 avec l'aimable autorisation de
Liberté.
Les analyses de Merzak Tigrine
Le
dossier Monde
Les dernières mises à
jour
|