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Opinion
Un coup de trop
Denis Sieffert
Denis Sieffert
Jeudi 26 août 2010
L’éloignement n’est pas toujours une garantie d’oubli. Même
quand on le souhaiterait. Le sarkozysme est un peu comme la
poisse. Il colle à la peau. Il s’exhibe jusque sur les
bancs-titres d’Al Jazira ou de CNN, en anglais et dans toutes
les langues du monde : « France : la nationalité retirée aux
délinquants d’origine étrangère… France : soixante mille
caméras… France : les campements roms démantelés… » Les mots
défilent en boucle en bas des écrans des grands networks
internationaux. Où que l’on soit, où que l’on aille, Sarkozy est
là, cohabitant à la télévision avec les deux grandes
catastrophes de l’été, les inondations au Pakistan et les
incendies en Russie. À en croire ces extraits de dépêches
d’agence, Grenoble, où le trop fameux discours a été prononcé,
le 30 juillet, c’est Medellin, ou Ciudad Juárez. Vu de loin, on
n’a guère envie de revenir dans ce far west où, visiblement, ça
tire de tous les côtés. Du Proche-Orient, où j’étais fin
juillet, on veut croire que la dramatisation résulte de la
concentration des mots et de l’effet médiatique.
Hélas, lu quelques jours plus tard dans son intégralité, le
discours de Nicolas Sarkozy apparaît bien pour ce qu’il est. Une
vocifération exaltée qui mélange tout : le grand banditisme et
les incivilités, l’absentéisme scolaire et le crime, la
délinquance et les Roms… Quelques ratiocineurs complaisants, et
payés pour l’être, ont bien tenté de nous expliquer que cent
précautions oratoires avaient été prises, et que le Président
lui-même avait affirmé qu’il ne s’agissait pas de stigmatiser
qui que ce soit. Mais le déni apparaît comme grossier, et
l’impression générale ne ment pas. La volonté de montrer une
France en guerre contre toutes sortes d’envahisseurs, et Nicolas
Sarkozy en nouveau Charles Martel, est évidente. Le discours
présidentiel glace les os. Tant par l’image – évidemment
fausse – qu’il renvoie d’une société ravagée par la violence que
par les moyens, en marge du droit et de toute morale, qui sont
déployés pour la juguler. Et, vue de loin, cette France qui se
hérisse de barbelés fait honte. Nous voilà un peu dans la
situation du voyageur américain au temps de George W. Bush, à
devoir expliquer que ce n’est pas toute la France qui est ainsi,
et que ce président représente aujourd’hui une frange
minoritaire de notre population. Mais c’est un fait : la France
de Sarkozy est la plus à droite que l’on ait connue au pouvoir
depuis la Deuxième Guerre mondiale. Et le pire est cette
impression qu’un cynisme sans borne guide le petit groupe
d’hommes qui entourent le président de la République. Le
discours de Grenoble vient alors que les sondages sont au plus
bas, et alors que le gouvernement est empêtré dans l’affaire
Woerth-Bettencourt. Comme le fruit vénéneux d’un calcul sordide.
Il est trop manifeste qu’il s’agit moins de punir des
délinquants que d’exploiter une veine politique qui, naguère, a
fait ses preuves. Mais, cette fois, le résultat est doublement
catastrophique.
Il l’est déjà pour notre société, meurtrie. Il l’est pour les
immigrés, pour les Roms, pour les gens du voyage, tantôt
amalgamés dans l’opprobre présidentiel, tantôt artificiellement
opposés. Il l’est pour ces familles que l’on renvoie en Roumanie
et qui n’auront d’autre issue que de revenir. Il l’est pour tous
ceux qui se font une autre idée de nos rapports sociaux. Mais le
résultat est aussi catastrophique politiquement. Une catastrophe
dont on pourrait se réjouir, si on ne craignait qu’elle ranime
la flamme vacillante du Front national. Car Nicolas Sarkozy est
dans une spirale d’échec. Tout ce fiel sécuritaire n’a guère
fait bouger les sondages. La surenchère de l’un de ses hommes de
main, Christian Estrosi, qui a menacé de s’en prendre aux maires
qui ne verseraient pas assez dans la répression, a même valu au
clan présidentiel la réprobation de nombreux maires de droite.
Villepin dénonce. Rachida Dati donne à son ancien mentor le coup
de pied de l’âne. Sarkozy a-t-il joué une fois de trop la carte
de la démagogie sécuritaire ? Le coup ayant raté, a-t-il
affaibli sa défense au moment où revient la grande affaire de
l’année politique et sociale, la bataille contre la réforme des
retraites ?
La parole sera bientôt aux syndicats et à l’opposition. En
termes de rapports de forces, jamais sans doute Sarkozy n’a été
aussi faible. Et cela, au pire moment pour lui. Mais l’enjeu de
cette séquence politique va bien au-delà de son destin
personnel. La (ou les) réponse de la gauche, y compris sur le
terrain sécuritaire, n’est pas indifférente. Un certain usage
veut que l’on donne finalement des gages à l’adversaire, tout en
feignant de garder une distance critique. C’est le syndrome
Valls. Et c’est ainsi que le centre de gravité de notre vie
politique, depuis vingt ans, se déplace vers la droite. Il
dépend de l’opposition que l’échec politique actuel de Nicolas
Sarkozy ne se transforme pas en victoire idéologique de cette
droite dure qu’il incarne.
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l’édito en vidéo
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