Opinion
Abbas perd enfin
patience...
Denis
Sieffert
Jeudi 22 septembre
2011
Un leader palestinien à
la tribune des Nations
unies, c’est un événement
rare. On se souvient
d’Arafat, le 13 novembre
1974, filant la métaphore du
fusil et du rameau
d’olivier. Neuf jours plus
tard, l’Organisation de
libération de la Palestine
était admise en qualité
d’observateur. Les
Palestiniens avaient cessé
d’être des parias. On n’a
pas oublié non plus son
« chana tova », « bonne
année » lancé en
hébreu à l’adresse des juifs
du monde entier, devant
l’Assemblée de l’ONU à
Genève. Nous étions le
15 décembre 1988, la
première Intifada avait un
an et, un mois plus tôt, le
Conseil national palestinien
réuni à Alger avait reconnu
de facto Israël. Le
processus qui devait
conduire aux accords d’Oslo
était engagé.
Ce vendredi, à
New York, c’est le dernier
compagnon historique
d’Arafat, Mahmoud Abbas, qui
doit prendre la parole pour
demander à l’ONU la
reconnaissance d’un État
palestinien jouissant de
tous ses droits sur la scène
internationale, faute de
disposer des attributs de la
souveraineté sur son sol.
Les temps ont changé. Et il
y a belle lurette que
Mahmoud Abbas n’a plus que
des rameaux d’olivier dans
les mains. La vareuse kaki
et le keffieh ont disparu
avec Arafat ; il n’y a plus
dans la délégation
palestinienne que des
costumes anthracite et des
cravates. Et Ramallah, sous
la direction bicéphale du
président de l’Autorité et
de son Premier ministre,
Salam Fayyed, un ancien
cadre de la Banque mondiale,
n’en finit pas de se plier à
l’orthodoxie économique du
monde libéral.
On a souvent
reproché à Mahmoud
Abbas sa faiblesse dans ses
relations avec les
États-Unis et Israël.
Jusqu’à faire cause commune
avec eux contre le Hamas,
maître de Gaza. Il a donc
fallu que l’on abuse
vraiment de sa patience pour
que le vieil homme lance
l’initiative diplomatique à
laquelle on assiste
aujourd’hui. C’est la colère
de quelqu’un qui a tout
concédé à ses
« partenaires », tout
consenti, et presque tout
donné, sans jamais aucun
retour. Depuis l’assassinat
d’Itzhak Rabin, en
novembre 1995, ce ne sont
pas les « processus de
paix » qui ont manqué, ni
les « feuilles de route »,
ni les « quartettes », en
phase avec une stratégie
israélienne bien huilée.
Officiellement, l’État
hébreu n’est jamais opposé à
l’ouverture d’une
négociation. Si l’on en
croit le discours israélien,
c’est même l’Autorité
palestinienne qui pose des
« conditions », exigeant en
préalable le gel de la
colonisation. Mais quiconque
est de bonne foi comprend
que cette « condition » n’en
est pas une, la colonisation
réduisant à néant l’objet
même de la négociation. Hors
de cet impératif, tout
processus de paix n’est
qu’une sombre manigance.
Ceux qui,
aujourd’hui, condamnent
le « geste
unilatéral » de l’Autorité
palestinienne, ne peuvent
l’ignorer. En France, cent
dix parlementaires, dont un
bon nombre de socialistes,
hélas, se livrent à ce qui
s’apparente à une
manipulation de l’opinion.
En ne proposant rien d’autre
qu’un retour à une
négociation bilatérale dont
on voit depuis seize ans les
effets, ils se font les
complices de la
colonisation [1]
.
Il n’est plus possible
aujourd’hui d’être dupe de
la stratégie israélienne,
qui vise à négocier « mille
ans » pendant que les
bulldozers retournent la
terre palestinienne pour y
construire des colonies. Au
début du mois d’août encore,
alors que les dirigeants
israéliens proposaient
l’ouverture de nouvelles
négociations « sur la base
des frontières de 1967 »,
les mêmes dirigeants
annonçaient leur décision de
construire 1 600 nouveaux
logements dans la partie
orientale de Jérusalem, en
plus de deux mille autres
déjà prévus dans ce secteur.
Le seuil de trois cent mille
colons a été franchi en
Cisjordanie, auxquels il
faut ajouter les quelque
deux cent mille de
Jérusalem-Est. Même s’ils
n’obtiennent qu’un statut
d’État « non-membre » des
Nations unies, en cas
probable de veto américain,
les Palestiniens pourront au
moins porter devant la Cour
pénale internationale la
question de la colonisation.
On ne parlera plus alors de
« territoires occupés »,
mais de l’occupation d’un
État [2].
Certes, le sort des Palestiniens ne s’en
trouvera pas amélioré dans l’immédiat.
Mais au moins leurs dirigeants,
longtemps inertes ou soumis, auront
repris l’initiative.
La bataille de
l’ONU, sur un plan diplomatique,
s’inscrit dans un mouvement d’ensemble,
avec les révolutions arabes et la
naissance d’une ample mobilisation
sociale en Israël même. Et puis les
masques vont tomber. Celui de la France,
par exemple.
Quarante-huit
heures avant le discours
de Mahmoud Abbas, on ignore
toujours ce que vont décider
MM. Sarkozy et Juppé. Les
capitales qui s’opposeront à
la demande palestinienne
devront dire ce qu’elles
proposent en échange.
Sont-elles prêtes à imposer
à Israël un calendrier de
négociation ? Sont-elles
disposées à sanctionner
l’État hébreu si celui-ci
continue de s’approprier les
terres palestiniennes ?
Personne n’y croit. Même
plus Mahmoud Abbas.
Notes
[1]
Voir page 19.
[2]
Après le probable veto
américain au Conseil de
sécurité, Mahmoud Abbas
pourra proposer son projet
de résolution à l’Assemblée
générale. Une majorité
simple sera alors requise
pour doter la représentation
palestinienne d’un statut
« d’État non-membre » qui
lui confère tous les droits
sauf celui de voter en
Assemblée générale.
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