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Opinion
Choc psychologique
Denis Sieffert
Denis Sieffert
Jeudi 10 juin 2010
Les chemins de la prise de conscience sont décidément
longs et sinueux. L’Europe et les États-Unis n’avaient
guère paru s’émouvoir lorsque, au cours de l’hiver
2008-2009, l’offensive israélienne sur Gaza avait
provoqué la mort de mille trois cents civils, dont plus
de 20 % d’enfants, et anéanti les infrastructures de
l’étroit territoire. Et pas davantage lorsqu’en juillet
et août 2006 à peu près autant de civils libanais
avaient péri sous le feu de l’armée israélienne. Les
gouvernements étaient restés insensibles à la
mobilisation des opinions publiques. Il semble que les
lignes bougent un peu plus cette fois, une semaine après
l’arraisonnement sanglant de la flottille humanitaire au
large de Gaza. L’indifférence officielle pour cette
population asphyxiée par un blocus aussi inhumain que
politiquement contre-productif semble enfin se fissurer.
Les neuf morts du Mavi Marmara ont produit un
choc psychologique alors que trois mille morts à Gaza et
au Liban n’avaient guère entamé les certitudes. Sans
doute est-ce parce qu’en dépit de la disproportion des
forces le Liban 2006 et l’offensive sur Gaza avaient été
labellisés « guerre ». Et parce que le regard occidental
venait buter sur cette qualification de « terroristes »,
dont on a étiqueté le mouvement chiite libanais et le
Hamas, et qui rejaillissait sur les peuples.
Il ne s’agit pas ici de contester que ces mouvements
aient commis des actes terroristes (ils sont d’ailleurs
loin d’être les seuls), mais de comprendre que cette
catégorisation nous interdit toute approche politique.
Elle nous rend aveugles aux évolutions. Dans la région,
le double exemple historique du mouvement sioniste et de
l’OLP devrait pourtant faire réfléchir. La politisation
est une évolution inexorable, pour peu qu’on la
favorise. On murmure que le doute s’est insinué jusqu’au
cœur de l’administration Obama. Le président américain
ne serait pas le dernier à penser qu’il faut opérer un
tournant politique. On le croit bien volontiers depuis
le discours du Caire, en juin 2009. Mais les points de
résistance sont nombreux dans son entourage. Pas facile
de changer de cap après que neuf années de politique
internationale eurent été entièrement déterminées par
l’idée que le terrorisme était une idéologie. Ce qui se
passe, depuis l’assaut sanglant donné par les commandos
israéliens contre la flottille humanitaire, c’est
peut-être un début de renoncement à une grille de
lecture de type « choc des civilisations ». Pas étonnant
dans ces conditions que les désinformateurs sortent de
leur tanière.
BHL en tête. Grâce à lui, on apprend que « le
blocus […] ne concerne que les armes et les
matériaux pour en fabriquer », et que cent vingt
camions « chargés de vivres, de médicaments, et de
matériel humanitaire en tout genre » arrivent chaque
jour à Gaza, en provenance d’Israël… Ce n’est pas Gaza,
c’est Byzance ! On découvre aussi que c’est le Hamas qui
« bloque cette aide et la laisse pourrir au
check-point de Kerem Shalom [1] ».
L’homme qui avait vu Gori brûler, en Géorgie, en
août 2008, et n’avait rien trouvé d’anormal à Gaza, en
décembre de la même année, après un déluge de bombes
israéliennes, est de retour. Il suffit pourtant de
consulter les nombreux rapports d’ONG pour mesurer
l’ampleur du désastre. Il est entré en moyenne chaque
semaine 631 camions à Gaza au cours du mois dernier, au
lieu des 2 807 hebdomadaires au cours des cinq premiers
mois de 2007. Et pratiquement aucun chargement n’en est
sorti. Ce qui signifie que la faible économie de Gaza
est totalement ruinée. D’autres chiffres sont encore
plus éloquents : 70 % des habitants du territoire vivent
avec un dollar par jour, et 40 % d’entre eux seraient
sans emploi. Enfin, les trois quarts des dommages causés
par les bombardements de décembre 2008-janvier 2009 ne
seraient toujours pas réparés. L’autre volet de la
désinformation porte sur l’opération Free Gaza
elle-même. Nous avons tous vu les images de ce qui s’est
passé à bord du Mavi Marmara. Sans aucun doute,
les militants de l’ONG turque IHH, proche d’une
dissidence des Frères musulmans, n’ont-ils pas accueilli
les commandos israéliens en se référant au manuel du
parfait pacifiste. Des coups ont été échangés, et des
soldats ont été blessés. Mais cela ne permet aucunement
de renverser le sens de l’agression. Ni d’occulter le
fait que l’opération s’est déroulée dans les eaux
internationales. Et cela ne fait pas de ces militants,
dont neuf ont été tués, des « terroristes ».
Car tel est l’enjeu : réimposer l’estampille
infamante sur ces groupes. Il n’est pas sûr cette fois
que la désinformation atteigne son but. Il serait certes
illusoire d’attendre les sanctions contre Israël. Il ne
se passera rien de ce côté-là. Mais c’est la vision
dominante du monde qui est en train tout doucement de
bouger. Il y a une part de gesticulation à contresens
qui nous vient, hélas, d’une partie de l’opinion
israélienne, et qui est relayée ici par BHL et quelques
autres. La politique israélienne y est critiquée pour sa
« maladresse », et les commandos pour leur
« naïveté ». Ah, si BHL était chef d’escadrille !
Mais il y a aussi un mouvement qui s’opère dans le bon
sens. Jusqu’au sein des communautés juives les plus
attachées au destin d’Israël, aux États-Unis et en
France. On y prend lentement conscience qu’un conflit
aussi profond et complexe ne peut se résoudre par la
force. En outre, certains gouvernements ont subi de
plein fouet l’impact de l’événement, et la colère de
leur opinion publique. C’est évidemment le cas de la
Turquie. Et ce n’est pas rien.
P.-S. : Nous vous attendons nombreux à la réunion
publique « Politique, média et science : le cas
Allègre » mardi 15 juin à 19 h au Théâtre de l’Est
parisien.
Notes
[1]
Libération du 7 juin.
Allègre contre Politis: réunion publique
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Le dossier la «Flottille de la Liberté»
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