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CCLJ
40 ans après
Denis Charbit
Il y a quarante ans se déroulait
la guerre des Six-Jours. 1967 est un tournant qui fait date, qui
marque nettement un avant et un après et qui n’en finit pas de
peser sur le destin des peuples israélien et palestinien.
Les sensibilités politiques ont depuis
longtemps fixé qu’il faut considérer la guerre des Six-Jours
comme le début de la libération sinon de la rédemption, ou bien
son contraire : l’occupation qui empêche à jamais de se considérer
comme un peuple vraiment libre puisqu’on en opprime un autre.
Comme toujours, les faits sont complexes et exigent de la nuance,
toujours de la nuance. Ainsi, par exemple, pour ceux, comme nous,
qui persistent à voir dans l’extension territoriale le premier
des maux d’Israël, ne faut-il pas se rendre à l’évidence
que contrairement aux prévisions les plus fondées, la conquête
n’a pas freiné la démocratisation et la libéralisation du
pays ? Echouant à faire consensus, l’occupation a, malgré
elle, donné du champ à la critique et à la contestation.
Autre nuance à apporter : la colonisation de la Cisjordanie est
aussi, il faut en convenir, un retour à Sion.
Un retour littéral, exclusif, fondamentaliste pour ainsi dire.
Que cette implantation relève du sionisme ne signifie nullement
que celui qui le combat est nécessairement anti-sioniste. Mais si
le retour à Sion historique entrepris au début du XXe siècle
est légitime, pourquoi, dès lors, celui qui s’est accompli ces
trente
dernières années en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne
l’est-il pas, puisque dans les deux cas, il y a retour ? C’est
que le premier est un droit essentiel et le second, un luxe
inutile : lorsque le premier s’est réalisé, nous n’avions
rien et ne disposions de rien. Nous étions alors un peuple sans
terre. Tandis que lorsque cette nouvelle implantation a commencé,
nous avions tout, ou du moins, l’essentiel : un Etat. C’est
aussi parce que dans le premier cas, nous agissions dans la légalité
internationale : de la SDN à l’ONU, de la Déclaration Balfour
incluse dans le principe du Mandat au plan de partage de 1947;
tandis que nul appui international, nulle reconnaissance juridique
ne fonde cette seconde vague d’implantations.
Enfin, parce que la seule réparation possible au sort des
Palestiniens dont la défaite s’est soldée en 1948 par le départ
(volontaire ou par expulsion) de leurs foyers par centaines de
milliers, est la reconnaissance de leur indépendance sur un
morceau de la Palestine historique dont fait partie la
Cisjordanie. On ne résout pas un conflit sans payer sa part, sauf
à considérer que ce conflit oppose des bons et des méchants. Ce
n’est pas notre avis.
Deux options seulement
Deux revendications nationales ont élu la même terre pour y réaliser
leurs aspirations. Devant une situation pareille, il n’y avait
que deux choix possibles : soit les deux nations décrétaient
ensemble, afin de jouir de la totalité de la terre, qu’elles
partagent le pouvoir, qu’elles fondent ensemble une fédération
politique transcendant leurs différences linguistiques,
culturelles et confessionnelles; soit elles décidaient de
partager le territoire en deux, en tenant compte des regroupements
communautaires sur le terrain.
Sans un partage du premier ou du second type, on est condamné à
la domination de l’un par l’autre. Soit c’est la Palestine
et toute la Palestine dite « démocratique et laïque », soit
c’est le Grand Israël qui a, au moins, la pudeur de ne pas prétendre
être démocratique. Le seul mérite du premier est d’être un
slogan, non une réalité; le problème du second est qu’il se
construit sous nos yeux tous les jours.
L’Etat binational est en théorie tout à fait admissible et
louable, il fut même longtemps revendiqué par l’Hashomer Hatzaïr
et le mouvement du Brith Shalom qu’animaient Yehuda Leib Magnes
et Martin Buber. Ce projet est aujourd’hui irréaliste. Comme
dans les années trente du siècle précédent, c’est aux
peuples de dire s’ils souhaitent son instauration. Il est clair
que les méfiances et les ressentiments sont trop vifs pour ne pas
y voir aujourd’hui le profil d’une invasion douce.
Nous sommes-nous éloignés de la guerre des Six-Jours ? En
apparence seulement. Car cette guerre, par ses causes et ses
effets, nous ramène aux fondements du conflit. Par ses causes,
car, à l’origine, il y a eu pour les Etats arabes un vœu de
politicide, une quête de destruction, laquelle a donné sa légitimité
à la guerre déclenchée par Israël pour anticiper l’invasion
imminente des pays arabes.
Un prix exorbitant
En est-il de même pour ses résultats ? Oui, à ceci près que la
guerre des Six-Jours fut une victoire à la Pyrrhus, un cadeau
empoisonné. Et c’est bien ainsi qu’il faut l’appréhender.
Victoire et cadeau, car certains de ses effets furent remarquables
: 1967 va sceller une alliance entre Israël et la diaspora après
deux décennies de neutralité bienveillante, de distance et de
retenue réciproques. Il n’y avait qu’une poignée de Juifs
qui s’y intéressaient tandis qu’Israël se tenait alors pour
l’avant-garde du peuple. Et concevait du dédain pour les frères
demeurés dans les affres de l’exil. Avec 1967, l’heure des
retrouvailles a sonné.
C’est aussi pour reprendre les termes de l’utopie d’Herzl,
le « pays nouveau » qui retrouve le « pays ancien » avec Jérusalem,
ville d’or et de lumière qu’a si bien chantée Naomi Shemer,
Hébron et le caveau des Patriarches, Bethléem et la tombe de
Rachel. Mais le romantisme des retrouvailles avec la terre
ancestrale se heurte à des réalités moins romantiques qu’il
est politiquement pernicieux et moralement douteux d’ignorer.
Cadeau enfin, parce qu’avec 1967, Israël détient la clé
d’une solution politique et négociable avec les pays arabes
voisins et les Palestiniens : avec les pays voisins car Israël
s’empare de territoires qui leur appartient et conditionne leur
restitution à la reconnaissance préalable d’Israël. L’Egypte
et la Syrie furent ainsi placées devant leurs responsabilités.
Sadate relèvera le défi. Il se rendra en Israël dix ans
seulement après la guerre des Six-Jours et signera un an plus
tard l’accord de paix de Camp David. La Syrie ne l’entend pas
de la même manière et même si elle se dit encore acquise à la
paix, des bruits de guerre circulent aujourd’hui. Avec les
Palestiniens aussi, la victoire de 1967 offre la clé d’une
solution possible : les territoires deviennent l’espace sur
lequel le nationalisme palestinien peut et doit s’incarner. Mais
quarante ans après, cette virtualité ne s’est pas encore réalisée.
C’est par là que le cadeau peut apparaître comme empoisonné.
Ainsi que l’avait prévu Leibovitch, Tsahal a désormais une
autre mission que la défense d’Israël : la neutralisation de
toute forme de contestation de sa présence en territoire occupé.
Cela a un prix, un prix très élevé dont on ne me convaincra pas
qu’il mérite d’être payé. C’est, plus clairement exprimé,
une répression de plus en plus féroce qu’Israël doit mener à
partir du moment où la population s’identifie aux organisations
qui luttent en son nom. Il fut possible de dissocier les deux
jusqu’à la première intifada, ce n’est plus le cas
aujourd’hui. Le prix est exorbitant pour les Palestiniens. Il
l’est également pour nous.
Bruits de bottes en Syrie
Tout le monde en parle. Les politiques, la presse, l’opinion.
Après un coup pour rien l’été dernier, un second tour n’est
pas exclu l’été prochain. Bachar el-Assad, à la fin de la
seconde guerre du Liban, avait averti Israël que si la paix
restait pour lui le choix stratégique pour son pays, en revanche,
il n’était plus exclu de mener la guerre faute de négociation.
La réponse d’Israël fut évasive. Olmert se réfugia
prudemment derrière la réticence américaine et la fermeté française
bien décidée à isoler le commanditaire présumé de
l’assassinat de Rafic Hariri.
Entre-temps, Bush a mis fin à sa réserve initiale et Sarkozy ne
semble pas adopter le refus de son prédécesseur à l’Elysée.
Olmert se dit à présent disposé à entamer de nouvelles négociations.
Ses adversaires sont convaincus que c’est là une manœuvre
politique destinée à sauver sa tête à quelques semaines de la
publication du second volet du rapport Winograd.
A l’instar de Sharon, qui aurait décrété le désengagement
pour de mauvaises raisons. Cependant, si la guerre est un scénario
possible, il importe de sonder par un dialogue direct les
intentions d’Assad. Seule une négociation
permettra d’en savoir plus sur la solidité de l’axe Damas-Téhéran.
Ainsi, ces négociations permettraient de faire d’une pierre
deux coups : éviter la guerre et favoriser une sortie du statu
quo qui dure depuis 1967 également.
Denis Charbit
Correspondant israélien
© CCLJ 2005
Publié avec l'aimable autorisation du CCLJ
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