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CCLJ
Les
actes suivront-ils les discours
Denis Charbit
Photo CPI
11 février 2008
Annapolis, vous en
souvenez-vous ? C’était il y a un mois ? Trois mois ? Un an ?
Le souvenir en est si vague déjà que pour insuffler de l’énergie
au processus, George W. Bush s’est fendu d’une visite en Israël
et dans les territoires palestiniens.
L’émoi fut grand à Jérusalem : les présidents
des Etats-Unis n’ont pas coutume de se déplacer. Question de sécurité,
et de statut de grande puissance. Depuis l’établissement de
l’alliance stratégique entre les Etats-Unis et Israël, un président
sur deux seulement a répondu à l’invitation : Nixon, mais pas
Johnson; Clinton mais pas Reagan; Carter, mais pas Ford; Bush fils
mais pas le père. Faut-il attribuer les raisons de ce voyage à
ses convictions religieuses ? Entre Bethléem et le Mont des Béatitudes,
ce voyage avait bien des allures de pèlerinage; Bush s’est
autant rendu en Terre sainte que dans l’Etat d’Israël.
Aurait-il été convaincu par Condoleezza Rice de l’urgence
qu’il y a à traiter et à résoudre le conflit qui n’a que
trop duré ? Bush a bien indiqué une date butoir, laquelle
correspond à la fin de son mandat présidentiel, mais son
successeur à la Maison Blanche aurait bien raison de ne pas tenir
compte de ce vœu pieux : le dossier israélo-palestinien sera
encore et toujours présent sur la table des négociations
lorsqu’il entrera en fonctions.
Faut-il voir dans cette visite un encouragement de la part de Bush
pour donner un peu plus de crédibilité aux deux acolytes qui se
sont engagés à ouvrir les dossiers demeurés en suspens depuis
2000 ? On a déroulé les tapis rouges, mobilisé et entraîné
des centaines d’agents de sécurité. Les cérémonies
solennelles, les réceptions officielles, les conférences de
presse, tout semble s’être parfaitement déroulé, sans accroc,
sans fausse note. Sauf l’essentiel. On a vainement attendu un
signe fort, un geste significatif. Evacuer un avant-poste ? La
coalition ne surmonterait pas une épreuve de force. Fermer un
check-point ? Pas de concession qui mette en péril la sécurité
des Israéliens. Interrompre la construction à Har Homa ? Vous
n’y pensez pas : Jérusalem est une et unifiée. Mais en
admettant que ce ne sont là de toute façon que des gestes,
pourquoi Bush s’est-il abstenu d’entrer dans le vif du sujet,
de procéder à l’état des lieux, d’indiquer les contours prévisibles
d’un accord ? Même si des nuances ont pu être perçues, il
n’y a pas matière à espérer que Bush intervienne dans la négociation
à l’instar de Clinton qui s’y était dévoué corps et âme.
Pessimisme ambiant
C’est qu’en vérité, l’optimisme et la détermination ne
sont pas au rendez-vous. L’intifada a beau être derrière nous,
l’élan vital est brisé. Il y a d’abord la conjoncture régionale
avec la menace iranienne. Le rapport de la CIA la minimise, mais
cela ne convainc visiblement pas l’administration américaine
qui n’est pas réellement persuadée qu’un règlement du
conflit isolerait définitivement l’Iran sur la scène
internationale. Il y a aussi la conjoncture locale qui ne prête
guère à l’euphorie : l’éviction du Fatah et de l’Autorité
palestinienne, incarnée par son Président, au profit du Hamas et
du Djihad islamique qui règnent sans partage à Gaza en dit long
sur le rapport de force entre le courant nationaliste avec lequel
il est possible mais non certain d’établir un compromis et un
courant islamiste qui exclut toute résolution du conflit sûre et
durable. Etant maître du terrain, le Hamas serait pourtant en
mesure d’imposer au Djihad un cessez-le-feu pour mettre fin à
la guerre d’usure entre l’artillerie israélienne et les
Kassam qui plongent Sderot et ses environs dans un réel désarroi.
Mais cet accord, qui pourrait inclure la libération de Guilad
Shalit contre celle de prisonniers palestiniens, mettrait à mal
l’autorité de Mahmoud Abbas en Cisjordanie, explique-t-on.
L’avantage immédiat et indéniable aurait des retombées
redoutables. On comprend pourquoi, dans ce contexte, la négociation
ne suscite ni l’ardeur ni la confiance. C’est comme si elle
portait sur un autre conflit, un autre temps, un autre lieu, une
autre réalité que celle, terre à terre, à laquelle les
Palestiniens et les Israéliens font face.
Une négociation dédoublée ?
Et pourtant, c’est précisément parce que le gouvernement israélien
a accepté que les grandes questions soient ouvertes à la négociation,
qu’à droite on s’agite. C’en est assez pour Avigdor
Liberman, pour qu’il claque la porte du gouvernement; la
coalition élargie n’aura eu qu’un temps. Sa décision n’est
pas une surprise : cela a été depuis les années 1980 la réaction
symptomatique des partis nationalistes toutes les fois que la négociation
a commencé. Lorsqu’il fut question d’autonomie, puis de
l’application des accords de Wye Plantation, puis de la réunion
du Sommet de Camp David, enfin du désengagement de la bande de
Gaza, la pureté idéologique a aussitôt poussé dehors les
partis d’extrême droite membres de la coalition. Mais ce qui
est vrai de Liberman ne l’est pas de l’opinion. Ce n’est pas
la discussion sur les frontières définitives qui trouble les
Israéliens. Traiter des problèmes fondamentaux, c’est bien,
mais dans l’opinion, les problèmes immédiats présentent une
acuité qui fait qu’on les perçoit comme urgents; et l’on
n’est nullement convaincu que la résolution des premiers fera
avancer la solution des seconds.
Il faut donc ramer contre ce mauvais courant qui incite à la démission
et entretient la morosité ambiante : pas de leader, pas de paix,
l’espoir s’amenuise. L’Histoire, même lorsqu’elle n’est
pas tragique, ne laisse pas entrevoir un avenir paisible. Décidément,
nous n’en sommes pas à la fin de l’Histoire. Pour que la négociation
mobilise une opinion favorable, il serait utile qu'en parallèle
de la négociation portant sur les grands thèmes tels que les
frontières définitives, Jérusalem, les réfugiés, les
implantations ou la démilitarisation, se déroule une autre négociation,
qui porterait justement sur tout ce qui rend pénible la vie des
Palestiniens et des Israéliens. Au lieu de mesures au
compte-gouttes, il importe que cela constitue une vraie politique.
Mahmoud Abbas ne serait plus dès lors considéré comme un
collaborateur, mais un partenaire capable d’obtenir pour son
peuple des résultats significatifs. En échange, Israël pourrait
réclamer l’assentiment arabe à la poursuite des combats contre
le Hamas et exiger que le discours palestinien à la télévision
palestinienne soit plus conforme à celui de deux ennemis qui
cherchent les voies pour devenir des alliés.
***
Un climat difficile pour Barak
Ehoud Barak, le patron d’Avoda, qui occupe les fonctions de
ministre de la Défense, est dans une position délicate qui le
confine à une certaine impuissance.
La conjoncture israélienne intérieure ne porte pas à
l’optimisme : pour la droite qui se prépare à l’alternance,
s’étant disqualifié dans la conduite de la guerre, Olmert ne
peut s’improviser artisan de la paix. Netanyahou est en selle et
la compétition sera rude. Pour le Parti travailliste, la partie
est loin d’être gagnée. Certes, la parenthèse Amir Peretz est
bel et bien fermée. Décidément, l’ouverture à gauche,
l’agenda socialiste, voire social-démocrate, qui apparaissait
alors comme une stratégie de rénovation pour les Travaillistes,
n’a pas pris et ne prendra pas, à plus forte raison avec Barak.
Il reste et demeure Monsieur Sécurité, et c’est cette image-là
qu’il peaufine. Il est incontestable que les Israéliens se
sentent mieux protégés : un spécialiste, non un syndicaliste,
tient les rênes. L’opération en Syrie a rétabli le sentiment
qu’Israël est encore capable de dissuader et de frapper le cas
échéant. Même lorsque les risques sont pris, ils sont calculés.
Mais tant que Sderot demeure à la merci des Kassam, Barak ne
pourra engranger les bénéfices de sa nomination à la tête de
la Défense. Se lancera-t-il donc dans une opération militaire de
grande envergure ? Il privilégie, pour l’instant, les opérations
ponctuelles en prenant soin de limiter les pertes civiles afin de
ne pas récolter la réprobation internationale. Ne rien faire,
c’est entretenir et décupler le sentiment déjà largement
partagé par les habitants du Néguev occidental qu’ils sont
abandonnés, que leurs doléances ne sont pas entendues, et
qu’ils ne comptent pas tant qu’un missile n’atteint pas
Tel-Aviv ou Jérusalem. Mais décréter une opération « Rempart
» à Gaza n’offre aucune garantie de résultat : les pertes
risquent d’être lourdes et les résultats limités. La seconde
guerre du Liban et la guerre en Irak ont bien montré qu’il ne
suffit pas de déclarer la guerre pour la remporter.
Denis Charbit
Correspondant israélien
© CCLJ 2005
Publié le 13 février 2008 avec l'aimable autorisation du CCLJ
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