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CCLJ
L'après W. Bush
Denis Charbit
5 novembre 2008
La diplomatie américaine aura multiplié les déceptions et les
erreurs au Proche-Orient depuis 2001. Si cet échec n’a guère
amélioré les perspectives de paix entre Israël et ses voisins
arabes, le monde entier espère que le nouveau locataire de la
Maison Blanche définira une politique nouvelle et différente de
George Bush.
Lorsque vous aurez ce numéro de Regards entre les mains,
les Etats-Unis auront désigné leur nouveau président. Obama ?
McCain ? Les jeux sont faits ! L’inconnue présidentielle -et
c’est bien la chance des Etats-Unis- ne dure que le temps d’une
campagne électorale. Les résultats publiés, l’heureux élu est au
pouvoir, et pour quatre ans, quoi qu’il advienne. En Israël, la
foire d’empoigne ne s’arrête jamais, et ce n’est pas une crise
économique mondiale d’une ampleur inégalée qui dissipe les
caprices et les calculs. Tzipi Livni en sait quelque chose :
après quatre semaines de vaines négociations en vue de former un
gouvernement, elle en appelle à des élections législatives
anticipées qui se tiendront probablement en février ou en mars
2009. Il n’y a donc aucune raison de se frotter les mains, même
si le monde tourne la page de huit années d’une présidence
américaine dont le bilan aura été catastrophique et dont Israël
essuie directement les retombées.
Morale des intentions et morale des résultats
De nombreux enseignements peuvent être tirés de l’expérience
Bush, une leçon entre toutes mérite d’être retenue : entre la
philosophie politique et la politique, il existe une différence
de taille - la première décrit une morale des intentions, la
seconde est tenue d’afficher une morale des résultats. La
démocratisation des Etats de la planète en général, et du monde
arabe en particulier, est un objectif louable, son application
fut désastreuse; la « feuille de route » fut une excellente
démarche, sa réalisation n’a jamais été mise à l’épreuve. La
guerre en Irak a été une brillante victoire militaire, l’issue
politique demeure chaotique. On se félicite en Israël de huit
années d’amitié israélo-américaine indéfectible. On oublie que
les inquiétudes furent vives au lendemain de l’élection de Bush
Junior en 2000 : le fils ne vengerait-il pas le père avec lequel
la crise fut aux temps de Shamir déclarée ? La situation inverse
règne aujourd’hui : c’est au tour du candidat démocrate
d’inspirer quelques craintes, tandis que McCain rassure. Ce
n’est pas une prise de position idéologique, encore moins un
sentiment raciste que l’avantage naturel du déjà-vu au détriment
de l’incertain. Faut-il attribuer aux velléités d’Obama de
discuter avec l’Iran les réserves qu’il suscite, tant on demeure
convaincu en Israël que la négociation est vouée à l’échec et
que de deux choses l’une : ou bien l’Iran sera dépossédé de sa
bombe par la force ou bien il en aura une, envers et contre
tout.
Barack Obama peut rassurer
En vérité, nous ne savons rien ou presque des convictions
profondes de Barack Obama et de John McCain. Ils n’ont démontré
jusqu’ici ni grand enthousiasme ni une inquiétante froideur
envers Israël. McCain plaide pour la continuité, mais ne
convient-il pas de s’interroger sur son utilité réelle ?
Concernant l’aide économique, elle ne sera pas maintenue au
niveau actuel si la crise économique se poursuit. Cependant,
l’aide américaine consistant à permettre à Israël de
s’approvisionner et de s’équiper pour ses besoins militaires sur
le marché américain, si une réduction du volume global de l’aide
devait être décrétée, elle serait symbolique. Sur le plan
diplomatique, c’est moins la vision des choses de l’un ou
l’autre des candidats qu’il faut essayer de percer et de
dévoiler que les équipes dont respectivement ils s’entourent. A
cet égard, l’incertitude est plus grande côté républicain.
L’école idéaliste s’étant largement plantée, comme on dit
familièrement, il est probable que McCain préfèrera amener aux
affaires les partisans de l’école réaliste. Ils n’ont pas de
grands desseins mais au moins ont-ils les pieds sur terre et ne
cherchent pas à impliquer Dieu, le bien et le mal dans leurs
calculs. Ils ne font pas de cadeau non plus et ne s’émeuvent
guère de l’amitié des peuples, de la communauté des valeurs et
de la fidélité en relations internationales. Entre la stagnation
et la fuite en avant, l’option McCain n’inspire pas l’espoir
d’un changement immédiat et positif au Moyen-Orient. C’est en
revanche le terrain sur lequel Obama peut rassurer. Il
semblerait que Denis Ross soit nommé au Département d’Etat, or,
Clinton l’avait choisi comme conseiller spécial pour le
Moyen-Orient. C’est à ce titre qu’il fit partie de l’équipe de
négociateurs américains aux côtés de Bill Clinton au triste et
célèbre Sommet de Camp David en juillet 2000. C’est peu de dire
que sa connaissance du contentieux est parfaite. Il ne lui
manque pas non plus la volonté de réussir là où ses
prédécesseurs et lui-même comme conseiller ont échoué.
Pas facile d’être un nouveau Carter
L’ambition de Barack Obama est certaine, mais il n’est pas sûr
que le dossier israélo-palestinien lui assure une victoire
rapide propre à favoriser sa réélection. McCain, lui, a déjà
annoncé la couleur : le conflit israélo-arabe étant un des moins
meurtriers de la planète -ce qui est vrai-, il est prioritaire
de régler les autres d’abord - ce qui l’est moins, affaire de
point de vue. Cette logique strictement arithmétique ne tient
pas compte du fait que ce conflit est le plus long, ce qui
mérite bien qu’on s’y penche, d’autant qu’il ne faut pas être
grand clerc pour parachever la négociation. En commençant par le
dossier israélo-syrien, dont on sait depuis 2006 que la
résolution ne réglera pas seulement le contentieux territorial
autour du plateau du Golan : extraire la Syrie de cette alliance
trop étroite qui la relie à l’Iran est un impératif que le
président américain ne peut balayer d’un revers de la main,
d’autant que la solution figure dans le dossier qu’il suffit de
dépoussiérer. Concernant le conflit israélo-palestinien, la
prudence s’impose, essentiellement en raison du décalage entre
des conversations qui vont bon train et des résultats toujours
au point mort. Contrairement aux espoirs que fonde la gauche
intellectuelle israélienne sur Barack Obama, il convient de se
montrer plus réservé sur ses chances dans la résolution du
conflit. Il ne lui sera pas facile d’être le nouveau Jimmy
Carter réunissant les leaders d’Israël et de Palestine pour un
nouveau traité de paix. Indépendamment de la bonne volonté
présidentielle et de la constance des intérêts américains dans
cette zone d’influence, de la capacité de l’un ou l’autre
candidat à exercer des pressions sur le partenaire récalcitrant,
il est prématuré de gloser sur un accord alors qu’on ignore qui,
dans un mois, dans un an, en seront les protagonistes côté
israélien et palestinien confondus. • denis charbit Les craintes
de Bibi Netanyahou Le résultat de l’élection du 4 novembre ne
sera pas sans effet sur l’issue des élections israéliennes. Et
c’est peut-être la raison supplémentaire pour laquelle la gauche
israélienne « vote » Obama avec le cœur et la tête. Il incarne
le changement, c’est clair. Une nouvelle Amérique tant mieux :
plus juste, plus solidaire, plus généreuse, celle des minorités
qui se sont intégrées dans l’american way of life et parviennent
enfin à forcer le plafond de verre qui les séparait de l’élite
hégémonique. Mais l’élection d’Obama pourrait bien être le
premier obstacle dans la course de fond de Netanyahou vers le
pouvoir. L’élection de McCain lui ouvre un boulevard. Celle d’Obama
lui complique la tâche : il aura alors plus de mal à convaincre
l’opinion de voter pour lui si Obama est à la Maison Blanche.
Les Israéliens ont trop de bon sens pour ne pas réfléchir à deux
fois avant de placer à la tête du pays un homme politique qui
sera incapable de reconstituer avec le nouveau président élu le
couple idéal dans la foulée de Golda Meïr-Nixon, Begin-Reagan,
Rabin-Clinton, Bush-Sharon et même Bush-Olmert. Netanyahou ne
fera pas l’affaire. La tension est inscrite entre les deux
hommes, inévitablement. Netanyahou est chez lui dans le camp
républicain, il est presque persona non grata parmi les
Démocrates qui s’occupent du Moyen-Orient. Obama n’est peut-être
pas le Messie qui transformera le Moyen-Orient compliqué en une
zone de paix simple et paisible. Il pourra tout au moins
insuffler de l’énergie aux forces de paix qui, depuis le 11
septembre, se sont singulièrement affaiblies.
Denis Charbit. Correspondant israélien ©
CCLJ 2005
Publié le 7 novembre 2008 avec l'aimable autorisation du CCLJ
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