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CCLJ

Un profond malaise
Denis Charbit


Abdullah Gul et Shimon Peres

3 octobre 2007

Les avertissements répétés de la Turquie adressés à l’Etat d’Israël, lui demandant de se désolidariser des mouvements de sympathie suscités par la cause arménienne au sein des communautés juives, ont conduit Shimon Peres et Ehoud Olmert à désavouer l’Histoire, au nom de la raison d’Etat. Une attitude regrettable, qui trahit le devoir de mémoire des génocides.

Israël et le génocide des Arméniens… Voilà le sujet qui gêne par excellence, le sujet tabou. Il devrait aller de soi. On s’attendrait à ce qu’Israël soit l’allié principal de la cause arménienne, à la fois dans sa lutte de près d’un siècle pour sa reconnaissance internationale et surtout dans le combat qu’elle mène contre le négationnisme ouvertement affiché, non par une poignée de pseudo-historiens, mais par ni plus ni moins qu’un Etat. Etat avec lequel on se montre complaisant et prudent jusqu’à l’excès dans cette tentative de rayer un événement de l’Histoire en prétendant qu’il est un détail de la Première Guerre mondiale. Cela vous rappelle quelque chose, n’est-ce pas ? Que fait le gouvernement israélien ? Non seulement il s’interdit de blesser la sensibilité turque, ce que la raison d’Etat peut toujours tolérer, mais en plus, il multiplie les efforts et exerce carrément des pressions sur l’Anti-Diffamation League, la célèbre, redoutable et efficace association juive aux Etats-Unis contre l’antisémitisme, pour l’inciter à revenir sur sa décision de tenir les massacres de 1915 pour un génocide. Les arguments invoqués par le gouvernement israélien dégagent plus qu’un certain malaise, un malaise certain. Parce que l’affaire mérite d’être publiquement débattue, en Israël comme au sein des communautés juives d’Europe et des Etats-Unis, il importe de faire le point, d’examiner les thèses qui s’affrontent, de les discuter sans préjugés ni conditions préalables.
L’affaire constitue un cas d’école exemplaire pour illustrer l’opposition classique entre l’idéal dans les relations internationales et la raison d’Etat, l’éthique de conviction face à la morale de responsabilité, pour reprendre la distinction chère au sociologue Max Weber. Cas d’école également pour reprendre l’éternel débat sur le projet sioniste : « Israël, Etat, lumière pour les nations » ou bien un Etat comme les autres ?

Une tradition regrettable
Sur quoi Ehoud Olmert fonde-t-il sa position ? Avant de l’examiner, convenons qu’il n’est ni le premier ni le seul à défendre cette attitude. Tous ceux qui l’ont précédé ont agi de la sorte, et le premier d’entre eux fut Shimon Peres, aujourd’hui président de l’Etat d’Israël. A cet égard, si l’on peut se féliciter de son élection qui couronne une carrière exemplaire au service de l’Etat et qui de surcroît, intervient après le départ du sinistre Moshe Katsav dans les conditions que l’on sait, en revanche les militants et sympathisants, juifs ou non, de la cause arménienne savent que la nomination de Peres est un coup dur pour les progrès de leur combat en Israël. Ehoud Olmert a fait, lui aussi, dans la continuité; le gouvernement suivra, et même la Knesset. Dans l’histoire politique récente d’Israël, les seuls qui ont montré du courage ont été les anciens ministres Yossi Beilin, Yossi Sarid et Yaïr Tsaban. Ils n’ont pas fait la révolution, ils n’ont pas voué aux gémonies la Turquie en foulant du pied les intérêts d’Israël en Turquie : ils ont simplement constaté que l’on pouvait, par quelques déclarations bien conçues, par une participation symbolique à la journée de commémoration du génocide des Arméniens du 24 avril, tenir les deux bouts ou plutôt les dissocier, entretenir les relations avec la Turquie et trouver les mots justes pour apaiser la communauté arménienne, sans que le ciel ne nous tombe sur la tête et que la Turquie ne rompe ses relations avec Israël. Cet exercice de diplomatie, d’équilibre entre deux exigences légitimes, n’est-il pas, après tout, l’art même de la politique, lequel consiste à gérer, sinon à maîtriser des intérêts et des valeurs contradictoires ? Cet art-là, le gouvernement israélien ne daigne pas l’exercer. Pourtant, quand bien même le gouvernement ne saurait consentir en bloc à la revendication arménienne pour des raisons de Realpolitik non dénuées de toute pertinence, ne serait-il pas décent, respectable et justifié de ne pas se montrer à ce point insensible au malheur arménien ? Ne frôle-t-on pas l’indignité ?

Arguments peu fondés
Le gouvernement invoque pour justifier son attitude obstinée l’éthique de responsabilité. Autrement dit, cette position n’est nullement un jugement historique sur la nature des événements qui se sont déroulés en Arménie en 1915, débat sur lequel un gouvernement n’a pas à se prononcer. Ce qui motive l’attitude officielle est principalement l’évaluation des conséquences que la décision de reconnaître le génocide des Arméniens est susceptible d’entraîner dans les relations entre les deux pays. Trois cas de figure sont en effet redoutés : le premier serait de nuire au rapprochement stratégique et militaire noué depuis 1996; le second nuirait aux échanges commerciaux et touristiques; enfin, le sort de la communauté juive de Turquie pourrait s’aggraver si Israël montait en première ligne aux côtés des Arméniens. Israël peut à bon droit se féliciter de cette alliance nouée avec un pays majoritairement musulman, de surcroît dirigé actuellement par les leaders d’un parti islamiste. Les récents événements en Syrie ont démontré le rôle modéré et apaisant que joue la Turquie dans cette crise syro-israélienne dont on peut redouter qu’elle n’entraîne les deux parties dans la guerre. L’argument économique est moins pertinent car il est à double sens : le fait même que la Turquie soit devenue une destination touristique très populaire, du fait de sa proximité géographique et des services à bon marché qu’elle propose aux familles israéliennes en quête de dépaysement, joue en faveur d’une position israélienne plus exigeante. Il est peu probable que la Turquie riposte par un embargo économique dont elle serait la première à pâtir si Israël modifiait son attitude. Le troisième argument a toujours servi pour signifier les risques concrets d’une morale de conviction en politique. La conscience peut être pure, vierge, mais elle devra encaisser les retombées sur la communauté juive d’une décision israélienne en faveur de l’Arménie. Nous aurons reconnu le génocide des Arméniens soit, mais que dirons-nous aux familles juives dont le destin risque d’être mis à mal ? Israël est responsable non seulement des intérêts du pays mais aussi du bien-être des communautés juives en diaspora. Deux remarques cependant : tout d’abord, on relèvera que la complaisance est toujours justifiée lorsqu’il s’agit de régimes autoritaires, tels l’Argentine des généraux ou l’apartheid d’Afrique du sud. On en a plus rarement fait preuve à l’époque bipolaire de la guerre froide et de la détente pour faire face à l’URSS et ses satellites. Deuxièmement, cette option qui a pu être justifiée n’est-elle pas aujourd’hui un alibi ? Ce risque est à présent moins pertinent : si la Turquie souhaite faire partie de l’Union européenne, rien de tel pour l’en exclure définitivement que de s’en prendre aux Juifs à cause d’une décision d’Israël.

***

Un devoir moral
Israël comme Etat n’a pas qu’une responsabilité morale envers ses citoyens dont il doit assurer le bien-être. Il est responsable de son histoire et celle-ci lui ordonne de manifester une solidarité de principe envers tous les groupes qui ont été victimes de massacres et de tueries pour des raisons raciales, nationales et religieuses. Il est inconcevable que le pays qui a placé la Shoah au centre de sa mémoire collective soit sourd à ce point aux appels d'un peuple qui l’a précédé dans ce type de catastrophe.
En 1915, près d'un million d’Arméniens furent massacrés par la soldatesque turque au cours de ce qui est apparu comme le premier génocide du XXe siècle. Celui-ci n’a pas pu ne pas inspirer, dit-on, les auteurs du génocide des Juifs. Non que les méthodes employées aient été semblables. Si le génocide des Arméniens a eu un impact sur celui qu’Hitler allait commettre, il réside dans la constatation que le génocide, une fois perpétré, passe assez vite à la trappe, ses auteurs demeurent impunis et seules les victimes traînent cette litanie du malheur qui les frappe et dont elles se relèvent à peine malgré le temps écoulé. Israël ne peut pas se rendre complice d’une telle conspiration. Et si le gouvernement reste sourd, c’est aux Israéliens, aux historiens, aux intellectuels, aux artistes et à tout un chacun, de relever le défi.

Denis Charbit. Correspondant israélien

© CCLJ 2005
Publié le 5 octobre 2007 avec l'aimable autorisation du CCLJ



Source : CCLJ
http://www.cclj.be/...


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