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Analyse

Scènes ordinaires de la vie en Palestine, à Gaza
Daniel Vanhove


© Photo PCHR

Jeudi 15 janvier 2009

Dès le réveil, si vous avez pu voler quelques heures de repos, vous ressurgit immédiatement en tête votre enfermement, devenu obsessionnel : vous êtes parqué dans un gigantesque camp, entouré de tous côtés par un incontournable mur d’acier. Un mur qui, depuis toutes ces années, a marqué votre esprit au point qu’il fait désormais partie de votre être. Un mur qui vous enserre non seulement dans vos déplacements de chaque jour, dans vos rêves de chaque nuit, mais aussi à l’intérieur de vous-mêmes. Un mur tellement omniprésent que vous l’emportez avec vous où que vous alliez, quoi que vous fassiez. Qui s’est insinué jusque dans la moindre cellule vous constituant. Un mur qui vous contraint le cerveau, qui pèse en vous de tout son poids, tel un impossible destin. Qui vous fait sentir à chaque instant votre insignifiance. Votre petitesse. Votre nullité. Votre impuissance à vivre et vous développer. Votre inexistence. Un mur qui a brisé en vous tout élan, tout projet, toute perspective. Un mur qui vous est devenu consubstantiel. Dont le poids pèse de toute son ignominie en votre tête et votre chair devenus aussi lourds que l’univers …

Inutile de penser à ceux qui se trouvent de l’autre côté des barreaux de cette infranchissable cage, ils sont inaccessibles. Des tonnes d’obstacles de toutes les sortes en complètent l’architecture obscène. Et des machines humaines, harnachées de la tête aux pieds en parachèvent les dernières ouvertures, si tant est que vous eussiez encore imaginé pouvoir passer entre une maille laissée entrebâillée. L’extérieur vous est définitivement hors de portée. Impossible à atteindre. A jamais, inabordable.

Un peu comme une prison, donc ? Comme dans une immense prison à ciel ouvert, pour reprendre l’expression de certains qui tentent désespérément de nommer l’innommable ? Non ! En prison, vous êtes nourri. En prison vous êtes chauffé. En prison si vous êtes malade, vous êtes soigné. En prison vous recevez des colis et des visites de l’extérieur. En prison il arrive un moment où vous avez terminé de purger votre peine. En prison, vous pouvez encore décompter les jours qui vous restent à tirer. En prison vous avez des contacts avec vos gardiens. En prison, vous pouvez rêver de ceux qui vous attendent à l’extérieur. Et de la joie des prochaines retrouvailles. Et ainsi, en prison ne vous est pas brutalement arrachée cette part d’humanité qui vous reste. Mais vous, engeance de Gaza, qui pourrait bien vous attendre au-dehors ? Personne, puisque votre condition indiffère le monde entier. Puisque votre situation connue depuis des années, n’a eu de cesse de se détériorer. Dans l’indifférence quasi générale. C’est que donc, personne ne vous attend et que tout le monde s’en fout. Et puis, en prison, vous avez l’électricité pour regarder la télé ou écouter la radio. Et vous avez l’eau, aussi, pour la douche, pour les toilettes et un minimum d’hygiène, quoi ! Mais à Gaza, point de tout cela. Même l’élémentaire vous est supprimé, confisqué, interdit. Non, Gaza n’est même plus une prison. Plutôt un camp. Un immense camp où comme d’autres, comme tous les autres qui s’y trouvent retenus, vous êtes privé de tout. D’absolument tout… Tout ce que vous faites, vous devez l’avoir imaginé d’abord, pour savoir comment vous y prendre. Le geste le plus anodin, la démarche la plus courante, l’initiative la plus banale devient toute une entreprise. Et il vous faut impérativement rester en bonne santé. Même privé de chauffage par ce temps d’hiver, avec les vitres des fenêtres éclatées par la violence des déflagrations, la moindre maladie qui risquerait de vous toucher pourrait avoir des conséquences irréversibles, parce que les médicaments manquent aussi, évidemment. Et n’allez surtout pas contracter une maladie chronique qui vous obligerait à des soins réguliers. Ce serait précipiter votre fin à la vitesse d’un TGV.

Autour de vous tout est gris. Les ruines éventrées par les tirs quotidiens des geôliers. Les murs des masures encore debout, où s’entassent vos semblables. Les rues dans lesquelles ils errent comme des ombres. Leurs visages mêmes dont les yeux semblent se cacher le plus profondément possible dans leurs orbites. Leurs vêtements devenus trop larges. Et leur âme. Perdue, égarée dans un monde qui jour après jour se déshumanise. Même le ciel est devenu gris, avec son horizon où un soleil étrange poursuit sa course imperturbable, comme s’il ne vous voyait même plus. D’ailleurs il ne vous voit plus. Vous êtes tellement gris, qu’il vous confond avec la couleur du bitume déchiré, et avec la poussière laissée par tout ce que les chars israéliens ont retourné sur leur passage dantesque. Gris comme l’absence de tout avenir. Gris comme un décor n’ayant pour tout horizon que des perspectives avortées. Gris comme un regard qui s’éteint déjà, même à la fleur de l’âge. Gris comme la mort qui rôde…

Cependant, depuis quelques jours, tout encagé de Gaza a compris que ce n’était pas encore assez. Que ces conditions pourtant infra humaines n’étaient pas assez rapides et efficaces sans doute pour en venir à bout. S’y ajoutent à présent des bombardements massifs et quotidiens. Avec leur bruit assourdissant qui déchire l’air tel un orage tellurique. Tant le jour que la nuit. Afin d’empêcher aussi que vous puissiez grappiller quelques heures de repos. Et n’allez surtout pas croire que l’occupant est à court d’idées. Il en a encore plein des idées dans ce genre-là. D’ailleurs, régulièrement il teste sur vous de nouvelles techniques. Vous êtes utilisé comme cobaye, c’est toujours çà ! Ses armes sont toujours à la pointe du progrès, comme on dit dans les pays civilisés. Un tel progrès, qu’il lui permet de vous envoyer des bombes au phosphore et à l’uranium appauvri, made in USA. Ainsi, on ne vous enferme plus dans quelque archaïque chambre à gaz, on vous l’envoie par avion ou par hélicoptère, et il vous tombe du ciel en larges gerbes au sol. Il vous brûle le larynx, les yeux, les poumons et la peau d’une manière très efficace. Les médecins horrifiés par le raffinement d’une telle barbarie le confirment. Evidemment, ces procédés à l’encontre des populations civiles sont strictement interdits sur papier, dans quelque Convention classée dans de prestigieux bureaux de hauts fonctionnaires, mais ces gens-là n’ont pas le temps de venir voir sur place les dégâts collatéraux que ce formidable progrès occasionne. Ils ont beaucoup trop de réunions au sommet, d’assemblées générales, de colloques exceptionnels auxquels ils participent. Avec tous ces déplacements en avion à tout bout de champ, et ces dîners, en plus ! Ces gens-là sont vraiment épuisés. Depuis les décennies que vous résistez à ces carnages, vous tiendrez bien encore un moment…

Ces machines à tuer restreignent donc encore un peu plus votre approvisionnement en électricité au point que deux tiers de la population en est privée ; de même avec l’eau dont ne bénéficie plus que la moitié de vos codétenus. Et quelle qualité d’eau, je ne vous dis pas ! Parallèlement, les trois cents camions d’approvisionnement nécessaires chaque jour – d’après des spécialistes – pour nourrir le million et demi d’habitants ont été ramené à une cinquantaine. Afin de tester sur vous toujours, l’arme de la faim. Et de la même manière, les médicaments n’arrivent plus qu’au compte-goutte. Au point que les opérations chirurgicales se pratiquent à présent sans gants, et sans anesthésie… Et ne parlons pas des hôpitaux, qui débordent, ni de certains cimetières, totalement saturés.

Officiellement, les plus hauts responsables de ce plan machiavélique ont déclaré qu’il n’y avait pas de crise humanitaire à Gaza… Et la presse entière a relayé ce message apaisant. Les chancelleries ont dès lors été rassurées, poussant un « ouf » de soulagement : le pire n’est pas encore advenu !  Et dans la foulée, un grand nombre de citoyens aussi. Au point que si vous dénoncez cette situation intolérable avec quelque insistance, vous devenez tout de suite suspect. Vous n’êtes pas dans l’alignement requis pour parler de ces choses. Vous êtes rappelés à l’ordre et mêmes ceux que vous pensiez  être des militants proches de vous, vous exhortent à la retenue. Votre vocabulaire, les mots et les images que vous utilisez ne sont pas en adéquation avec la situation. Votre propos n’est pas politiquement correct. N’allez surtout pas qualifier la Bande de Gaza de Camp concentrationnaire et encore moins de camp d’extermination, vous n’obtiendriez que le mépris. Quant à la sonnette d’alarme que vous pourriez tirer aux fins de prévenir d’un « lent génocide » entamé il y a 60 ans, vous serez probablement taxé d’entité hostile sous le nom d’antisémite !

Non, franchement, ayez un peu de retenue et gardez un verbe policé. Voyez comme ces Gazaouis de malheur, ces sauvages enturbannés, ces terroristes patentés menacent toujours les acquis d’une exemplaire démocratie, en continuant à lui envoyer ses armes de destruction massive bricolées et lancées à l’aveuglette, par dizaine chaque jour ! Allons, rentrez chez vous, bonnes gens, bien-pensants de tout poil, bons citoyens de l’Occident des Droits de l’homme. Et attelez-vous donc à ne pas rater les derniers jours des soldes, face à la terrible crise qui vous assaille. Tout va bien à Gaza. Juste quelques habituelles échauffourées avec le rebus du monde, dont le peuple élu, défenseur de nos démocraties éclairées finira bien par venir à bout. Rien d’autre, finalement, qu’une scène très ordinaire de la vie à Gaza, en lointaine, de plus en plus lointaine Palestine…

 

Daniel Vanhove –

Observateur civil

Si vous détruisez nos maisons, vous ne détruirez pas nos rêves – 2004

La Démocratie mensonge – 2008

Aux Ed. Marco Pietteur – coll. Oser Dire



Source : A. Dehbi


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