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Ha'aretz
« Vous n'avez aucun avenir dans ce
pays »
Daniel Ben Simon
[La
poche de pus fanatique du quartier juif de Hebron, qui refuse désormais
toute référence à l¹Etat d¹Israël, Etat qui continue néanmoins
à le protéger et à l¹aider. Au-delà du constat effarant (il
est facile, il est vrai, de s¹en prendre à ces dingues plutôt
qu¹à l¹entreprise de colonisation dans son ensemble), des
questions essentielles ne vont pas manquer de se poser sur la
nature de l¹Etat et de sa relation au monde juif religieux,
ultra-orthodoxe ou pas, de plus en plus radicalisé.]
Ha¹aretz, 10 août 2007
http://www.haaretz.com/hasen/spages/891889.html
Au plus haut de la rage et de l¹humiliation, les enfants de
Hebron errent parmi les hommes en uniforme, en essayant de
distinguer qui est juif de qui ne l¹est pas, qui est de
"notre" graine ou de la graine d¹Amalek (1). Au moment
où la plupart des enfants israéliens passent leurs vacances dans
des centres de loisirs ou en voyage, plongent dans la mer où dans
la piscine, les enfants du centre de loisirs de Hebron paraissent
vivre sur une autre planète. Les yeux brillants de haine, portant
d¹immenses calottes et de longues papillottes, ces enfants de 10
ans et moins circulent parmi les hommes en uniforme et examinent
leurs médaillons. Quiconque ne porte pas un nom juif a droit à
un traitement approprié. Ces petits sauvages aux yeux troubles
hurlent insultes et malédictions. Enfants et déjà experts en théorie
raciale. Les soldats se voient traiter de tous les noms mais,
peut-être sur ordre, ils restent froids, comme catatoniques, sans
émotion visible. Les enfants de Hebron rappellent par bien des côtés
les enfants des camps de vacances de Jésus, ceux de la Bible Belt
des Etats-Unis, empoisonnés par l¹idéologie religieuse et
devenus le fer de lance du fondamentalisme chrétien.
"Si quelqu¹un vient pour te tuer, tue-le en premier",
crie l¹un des enfants à un policier des frontières qui porte un
patronyme non juif (des immigrants russes et éthiopiens, ainsi
que des Druzes, faisaient partie des unités
présentes ce jour-là), peu de temps après l¹évacuation des
familles qui avait débuté mardi. Le petit approche son visage
contre celui du policier, presque à le toucher : "Il est dit
dans la Torah que je dois te tuer. Tu es
de la graine d¹Amalek. Tu es un goy, tu n¹as pas le droit de
mettre le pied sur la terre sainte. Allez-vous en, toi et tes amis
!"
Un soldat "juif" essaie de calmer l¹enfant rebelle, et
en réponse, il est assailli d¹insultes : "Tu n¹es pas juif
du tout. Tu es un Nazi. On va te tuer, toi et tous les Nazis qui
sont ici." D¹autres enfants, dégoulinants de haine,
entourent le groupe de soldats et l¹observent avec amusement,
comme dans un zoo. Les mères, assises non loin de là, regardent
leur glorieuse progéniture en ayant du mal à cacher leur
satisfaction.
A quelques mètres de là, une femme nommée Anat Cohen tente
encore de perturber l¹évacuation de l¹un des immeubles. Emaciée,
pieds nus, la tête couverte d¹un foulard, elle accable les
soldats d¹injures. Alors qu¹elle est en train de hurler, on
entend des coups de feu : ce sont des Palestiniens de Hebron qui célèbrent
la fin du baccalauréat. Les tirs sont des tirs de joie. Mais elle
est persuadée que ces tirs sont des tirs de réjouissance face à
la douleur de l¹autre, la sienne, et elle devient hystérique :
"Debout, chiens ! ils tirent en votre honneur, alors debout,
en leur honneur. L¹ennemi arabe est en train de tirer en votre
honneur, pour ce que vous faites aux Juifs."
Un père et un fils, juifs ultra-orthodoxes de New York, regardent
avec tristesse les magasins dévastés. Ils se parlent en yiddish.
Le fils, Shmouel Landau, photographie les soldats, disséminés
dans tous les coins sombres de l¹ancien marché de gros. Il est
10 heures, l¹évacuation est terminée. Les soldats scient, démantèlent
et scellent toute entrée possible pour empêcher les évacués de
s¹y réinstaller.
Shmouel va envoyer les photos à ses amis de la secte hassidique
Amshinov aux Etats-Unis, qui compte quelques centaines de membres
en Israël. "Ce ne sont pas des juifs", dit-il en
montrant les centaines d¹hommes en uniforme. "Les vrais
juifs, c¹est nous." Son père acquiesce : "Tu me poses
la question des soldats, je vais te répondre. Ils ne sont pas
juifs. Regarde-les, ils sont russes, éthiopiens, druzes. Même
ceux qui se disent juifs n¹en sont pas. Ce sont des sionistes,
des gauchistes."
"Le gros problème d¹Israël, c¹est le sionisme",
poursuit Shmouel. "Il a coupé les Juifs de la Torah et des
valeurs juives. Vous n¹avez aucun avenir dans ce pays. Au bout du
compte, vous partirez tous, et nous serons les seuls à rester
ici."
Dans cette enclave de folie et de haine, "Israël" est
un gros mot. Pas un seul de ses centaines d¹habitants ne se définit
comme israélien, comme si Israël était une colonie pénitentiaire.
L¹Etat d¹Israël leur a fourni avec
générosité protection, ressources, assistance et même
sympathie, mais ils le considèrent comme un gouvernement étranger.
La souveraineté israélienne prévaut sur la souveraineté de la
halakha (la loi juive), et ainsi, à tous égards, Israël a gagné
ici le statut d¹ennemi.
A part la présence des soldats, il n¹y a dans le quartier juif
de Hebron aucun signe d¹israélianité, tout est juif : le nom
des rues, les slogans haineux peints sur les boutiques des
Palestiniens, les longues barbes, les calottes. Quand on y parle hébreu,
le vocabulaire est pauvre. Il n¹y a ici ni livres laïques, ni
culture israélienne. La plupart des enfants n¹ont jamais mis le
pied sur le sol d¹Israël proprement dit, et les adultes n¹y
vont que rarement, en général pour des soins médicaux, des fêtes
de famille ou des visites de consolation à des personnes en
deuil.
"Je n¹ai rien à te dire, tu n¹es pas mon peuple, tu ne
fais pas partie de mon peuple", déclare l¹un des vétérans
du quartier, qui a souhaité garder l¹anonymat. "Vous êtes
mes ennemis, et je prie pour que vienne le jour de
notre vengeance, pour ce que vous nous avez fait au Goush Katif (évacuation
des colonies juives de la bande de Gaza), et pour ce que nous
faites à Hebron. Je vous hais plus que les Arabes. Vous paierez
pour l¹éternité pour ce que vous avez fait." Il a 53 ans,
8 enfants. Le jour de l¹évacuation de cette semaine, il s¹est
levé tôt et s¹est présenté sur le champ de bataille avec ses
enfants. "Nous ne nous sommes pas battus à fond contre vous
parce que nous avons décidé de mener une guerre passive",
dit-il. "Nous nous réservons pour la lutte finale. Vous n¹avez
aucun avenir dans ce pays, alors dis à tes amis de bien profiter
du temps qui leur reste. Nous gagnerons par l¹utérus de nos
femmes."
Crise de foi
Le désengagement de Gaza a provoqué une crise de confiance comme
les colons n¹en ont jamais connu depuis la guerre des Six jours.
Dans leurs pires cauchemars, ils n¹auraient jamais imaginé que
le gouvernement irait jusqu¹au bout et chasserait des Juifs de la
terre "sainte" de Gaza. Pendant des années, ils ont été
habitués, ou plus précisément, on les a laissé s¹habituer, à
dicter sa conduite au gouvernement. Et soudain, Sharon a changé
tout cela. Même aux moments les plus aigus de la crise, ils ont
cru les rabbins qui déclaraient que "cela n¹arrivera
jamais" et qu¹au dernier moment, un miracle interviendrait
qui empêcherait d¹exécuter la décision. Depuis le désengagement,
de nombreux colons se sont coupés du monde extérieur. Le choc de
l¹évacuation est encore une plaie ouverte.
Déjà, au cours de leur première tentative de se réinstaller à
Homesh (l¹une des deux colonies évacuées de Cisjordanie), la
faiblesse du gouvernement à l¹égard des rabbins a sauté aux
yeux. Un fil, solide comme l¹acier, relie l¹évacuation d¹Amona
(2) aux tentatives de retour à Homesh, aux colonies détruites du
Goush Katif et aux derniers événements de Hebron : la volonté d¹effacer
la honte du désengagement de la conscience des colons. Plus
jamais ils ne seront évacués de leur plein gré, plus jamais ils
n¹iront comme du
bétail à l¹abattoir. Dans ce contexte, la haine envers l¹Etat
d¹Israël et ses institutions a grandi, et le statut des rabbins
fondamentalistes, dont beaucoup d¹entre eux appartiennent au
conseil rabbinique de Yesha (acronyme hébreu pour Judée et
Samarie), s¹est encore renforcé.
Deux ans après l¹évacuation de Gaza, le gouvernement est
confronté à une menace intérieure aux conséquences de nature
stratégique. Nous vivons un moment crucial où la coexistence est
tendue entre ceux dont les valeurs sont laïques et ceux qui
mettent la halakha au-dessus de la loi des hommes. Il n¹est pas
certain que les centaines de milliers de porteurs de kippa se
considéreraient encore comme faisant partie de l¹Etat d¹Israël
au cas où un accord de paix serait trouvé, qui exigerait une évacuation
massive de la Cisjordanie.
Dans ce cas, l¹armée, dont la composition reflète celle de la
société, verra se poser un dilemme entre ceux pour qui prime la
souveraineté de l¹Etat et ceux pour qui la halakha lui est supérieure.
Pour la première fois depuis la conquête des territoires en
1967, il semble qu¹Israël ne pourra pas éviter cette
confrontation. On en a vu les premiers signes cette semaine
pendant l¹évacuation de Hebron, quand des dizaines de soldats
ont préféré obéir aux commandements de la halakha plutôt qu¹aux
ordres de leurs supérieurs (3).
Notes
(1) Dans la tradition juive, Amalek (et les Amalécites, qui
auraient attaqué les Hébreux après leur sortie d¹Egypte), représente
l¹archétype de l¹ennemi des Juifs. En tant que tel, ce nom est
souvent utilisé en référence aux Nazis, parfois aux Arabes et,
dans les milieux ultra-orthodoxes, aux sionistes. Dans le livre d¹Esther,
le méchant Haman est appelé aussi Amalek. Et l¹on répète
souvent : « Souviens-toi de ce que t¹a fait Amalek » (Deutéronome.
25/17-18), même hors contexte religieux.
(2) Colonie évacuée suite à une action en justice intentée par
Shalom Arshav. Voir « La Haute cour donne son feu vert à l¹évacuation
d¹Amona : http://www.lapaixmaintenant.org/article1219,
parmi d¹autres articles sur le sujet.
(3) Voir « Démanteler le front du refus » : http://www.lapaixmaintenant.org/article1664.
Signalons néanmoins que des cas semblables se sont déjà
produits lors du désengagement de Gaza. Voir par exemple «
Pressions de l¹extrême droite sur le « maillon faible » : les
officiers religieux » : http://www.lapaixmaintenant.org/article984.
Les cas de désobéissance, y compris d¹officiers supérieurs,
avaient alors été réglés dans la discrétion et avec une
relative bienveillance.
Trad. : Gérard
pour
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