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Témoignage et réflexions
Régis Debray en
Bolivie et en Haïti
Claude Ribbe
Régis Debray, pseudo
révolutionnaire et authentique barbouze
Jeudi 11 février 2010
En 2004, la France se réconciliait avec les Etats-Unis
en participant au renversement du président Jean-Bertrand
Aristide. Côté français, le coup d’Etat était organisé par
l’intellectuel pseudo-révolutionnaire Régis Debray. Témoin
privilégié de ce drame, l’écrivain Claude Ribbe, qui fut membre
de la Commission internationale d’experts sur la dette d’Haïti,
relate ici le complot, la campagne de diffamation contre le
président Aristide, son enlèvement et sa séquestration. Paris
avait prévu de réinstaller au pouvoir l’ex-dictateur Jean-Claude
Duvallier, mais les Etats-Unis imposèrent au dernier moment
leurs hommes, Boniface Alexandre et Gérard Latortue.
Regis Debray, bavard « compagnon » du Che
Je le savais ! Je savais bien que le fumet des cadavres
d’Haïti en décomposition ferait sortir Regis Debray, l’homme qui
croit que Villepin, dont il a certainement accroché le portrait
dans sa chambrette, juste au-dessus de son lit, sera couronné
empereur des Français en mars 2012. Regis Debray rêve d’être
ministre de la Culture de Napoléon IV. Il a raison. Donc toutes
les occasions sont bonnes. Il n’aura pas fallu dix jours. Quel
flair ! Après les conseils donnés par Villepin à Nicolas
Sarkozy, Regis Debray monte au créneau en déclarant à France
Inter qu’il faut mettre Haïti sous tutelle.
Alors parlons de Régis Debray que j’admire beaucoup, je tiens
à le préciser. J’aimerais avoir son style mesuré, et cette
envolée qui me rappelle d’ailleurs un peu le style de Villepin.
C’est vrai, je n’avais jamais remarqué : il y a quelque chose de
commun dans leurs écrits. Je me demande pourquoi. Il faudra que
j’y réfléchisse quand j’aurai un moment. Donc je ne me serais
jamais intéressé à ce vieux réactionnaire un peu rogue, mais
tellement attendrissant dans ses certitudes, ce vieux guérilléro
dont les idées sont passées, certes (les costumes aussi
d’ailleurs) ; je ne me serais jamais intéressé à lui si je ne
l’avais trouvé sur ma route d’une manière étonnante que je vais
narrer en détails. Inutile de revenir sur son rôle héroïque dans
l’arrestation de Che Guevara. Il en a été le compagnon et il a
raison de s’en glorifier. Les ex-soixante-huitards français le
tiennent tous pour un révolutionnaire exemplaire. Tout ce que
j’aurais voulu être ! Mais les mauvaises langues —dont la fille
de Che Guevara qui n’est certainement qu’une folle minée par le
chagrin— disent que c’était un traître vendu aux Etats-uniens.
Viles calomnies, évidemment, simplement fondées sur le fait que
Che Guevara, qui se trouvait secrètement en Bolivie en 1967 et
dont une taupe de la CIA révéla la présence, écrivit des choses
dans son journal. Mais j’entends déjà les lecteurs de ce grand
écrivain français (et certainement futur académicien, en tout
cas futur ministre de la Culture) ; je les entends s’indigner.
Ils réclament des détails. Des détails ? Très bien, mais cela va
allonger mon propos. Tant pis. Revenons en 1967. Voici ce que
note le Che dans son journal le 28 mars :
« Le Français a défendu avec trop de véhémence le fait
qu’il serait utile dehors. »
Je ne vois là que des soupçons infondés. Debray, jeune
intellectuel gaulliste déguisé en guérillero, fils d’une
sénatrice gaulliste et de… je ne sais plus qui, un autre
gaulliste, je crois, était à l’époque en Bolivie avec Che
Guevara [1].
Mais il était pressé de s’en aller. Le Che se méfiait de cette
envie précipitée de prendre l’air. Hasard heureux ou malheureux
(on ne sait trop), Debray a été arrêté par les Boliviens qui
travaillaient avec la CIA. Une fois aux mains de ces gens, je ne
doute pas qu’un intellectuel de la trempe de Debray a été
discret. Mais le Che, lui, avait des doutes. Après l’arrestation
de Debray et de son compagnon Bustos, un autre intellectuel
émérite, aussi fiable que Debray, les Boliviens et la CIA furent
informés que le Che était en Bolivie. Après cette arrestation,
voici ce que le Che note, à la date du 30 juin 1967 :
« ... Sur le plan politique, le plus important est la
déclaration officielle d’Ovando selon laquelle je suis ici. De
plus, il a dit que l’armée fait face à des guérilleros
parfaitement entraînés qui, même, comptaient des commandants
vietcongs qui avaient mis en déroute les meilleurs régiments
nord-américains. Il se base sur les déclarations de Debray qui,
semble-t-il, a parlé plus que nécessaire bien que nous ne
puissions savoir quelle implication cela a, ni quelles ont été
les circonstances dans lesquelles il a dit ce qu’il a dit... »
Debray avait été arrêté et interrogé par les Boliviens et la
CIA, notamment les 8 et 14 mai 1967. Je ne doute pas qu’il ait
été héroïque, même s’il avait reçu quelques claques. Pauvre
Régis !
Toujours dans son journal, Che Guevara note encore, à la date
du 10 juillet :
« Par ailleurs, les déclarations de Debray… ne sont pas
bonnes ; surtout parce qu’ils [Debray et Bustos] ont fait des
confessions à propos du but continental de la guérilla, chose
qu’ils ne devaient pas faire. »
Des « confessions » ? Et puis quoi encore ? Là, je
doute de l’honnêteté du Che.
Mais puisque vous voulez tout savoir sur le futur ministre de
la Culture de Napoléon IV, je suis obligé d’ajouter que, vingt
ans après les faits, un général bolivien, Arnaldo Saucedo
Parada, chef des services secrets de la 8ème division, celle-là
même qui opérait contre la guérilla du Che, donna sa version et
publia même des documents concernant les informations obtenues
par l’armée sur la guérilla [2].
Faut-il croire cet homme ? Certainement pas. Mais, par
honnêteté, je livre in extenso ce qu’il précise :
« L’existence de la guérilla a été portée à la
connaissance de l’armée le 11 mars, lorsque les guérilleros
déserteurs Vicente Rocabado Terras et Pastor Barrera Quintana se
sont retrouvés au pouvoir de la Direction provinciale d’enquêtes
—DIP— et ont été ensuite remis aux autorités militaires de
Camiri. Ces déserteurs ont clairement informé du fait que la
guérilla se préparait sur les rives du Ñancahuazu avec des
éléments cubains, péruviens, argentins et boliviens et que le
chef était Che Guevara, sous la protection de Fidel Castro
depuis Cuba ; ensuite, cette information a été complétée par un
autre guérillero arrêté le 18 mars, Salustio Choque Choque et
confirmée par Régis Debray et Ciro Roberto Bustos, le 8 mai
1967, au cours de l’interrogatoire auquel a procédé le J-2 du
Commandement des forces armées, Federico Arana Cerudo, qui
relate cela, le lieutenant colonel des carabiniers Roberto
Quintanilla et Mario Gonzalez, de la CIA.
Quand on lira les mémoires de Bustos dans ce livre, on verra
que l’empressement avec lequel les théoriciens Debray et Bustos
voulaient quitter la zone de danger a été la cause principale de
l’échec rapide de la guérilla, parce que cela a obligé toute la
troupe à aller à Muyupampa et, par le Yuque ; à cause d’un
malade, Che a laissé l’arrière garde avec Joaquin et, au retour,
ils ne se sont pas retrouvés et la recherche des uns et des
autres a accaparé toute l’attention de Guevara et Joaquin, leur
a lié les mains, les empêchant d’effectuer d’autres actions
militaires, qui auraient peut-être donné de plus grands
avantages, avec des résultats imprévisibles dans ce genre de
lutte, parce que tant que l’ennemi n’est pas écrasé et ne s’est
pas rendu sans condition, la guerre ne s’arrête pas [« Même
trois personnes peuvent continuer à lutter dans la guérilla. » ,
Régis Debray, in Révolution dans la révolution] et les
résultats peuvent varier en fonction des analyses de la
situation qui se font au sein des états majors, ce qui est
certain, c’est que cette division de la guérilla a été un
accident qui lui a enlevé de la force et le début de la fin.
Cela a été le prélude du Gué du Yeso et du Churo.
Avec la chute de Debray et Bustos à Muyupampa, le 20 avril,
nous avons eu un panorama large et clair des guérillas, ordre de
bataille, organisation et autres questions inconnues
jusqu’alors, confirmation de la présence de Che Guevarra et du
groupe de cubains, tant grâce aux déclarations de Debray et
Bustos que par le bulletin de mémoires écrit par ce dernier et
qui, immédiatement, a été porté à la connaissance du
Commandement Supérieur, de même que les originaux des portraits
de 20 guérilleros effectués au crayon et de mémoire qu’il a fait
ensuite et plus encore, une description détaillée par écrit des
caractéristiques physiques de chaque guérillero et ensuite les
croquis détaillés des campements et caches qui ont permis de
découvrir les "grottes" où ils cachaient leurs armes et leurs
équipements etc...
La Section 2 de la 8ème division a également obtenu de Régis
Debray une lettre écrite de sa main le 14 mai et dans laquelle
il confirme la présence de Che Guevara en Bolivie et signale que
c’est Fidel Castro lui même qui l’a envoyé le rencontrer. Cette
lettre —l’original— a été envoyée au Commandant en chef.
Indubitablement, c’est de l’arrestation de Debray et Bustos que
l’armée bolivienne tire la preuve du fait que le Che est là. Les
deux confirment aux services secrets que le Che est là.
Une autre chose qui a eu une grande influence a été la
séparation d’avec le groupe de Vilo, de l’arrière-garde. Cela a
été une séparation involontaire, mais qui a été due précisément
à l’insistance avec laquelle Debray a demandé à partir. Face à
cette situation —jour et nuit, il parlait avec le Che— il
soulignait qu’il serait plus utile à la ville, nouant les
contacts, que physiquement, il n’était pas guérillero, qu’il
voulait partir, qu’il pouvait être très utile dehors (…)
Dans la guérilla, il [Debray] n’a rien fait d’extraordinaire.
Debray a passé son temps à parler de quitter la guérilla. Pour
moi, compte tenu de tout ce qu’il a écrit, il a essayé de gagner
la confiance de la Révolution cubaine et du Che. Je ne sais pas
quel était son objectif. Avec ce qu’il a fait, la position qu’il
a prise ces derniers temps, je n’exclue pas qu’il ait pu jouer
sur les deux tableaux.
Le Che a agi de manière conséquente envers lui, il a même été
compréhensif lorsque Debray lui a parlé de son désir d’avoir un
enfant (…) Je vous disais précisément que la séparation en deux
groupes (…) C’est quelque chose que personne n’a dit et je
dirais à Debray qu’il soit plus honnête, qu’il dise que la
guérilla a eu plus de problèmes par sa faute, qu’il dise au
moins une fois qu’il a été responsable de la séparation de la
guérilla (…) Lorsque les hommes, n’ont pas l’envergure voulue,
ils peuvent changer d’avis et Ciro Bustos a changé d’avis. Il
s’est vu prisonnier, il semble qu’ils l’ont menacé et il a
"déteint", il a perdu sa couleur. C’est ce que je crois à propos
de Ciro Bustos, et de Debray —je le répète— je pense qu’il
jouait sur les deux tableaux. »
Tout le monde aura compris que ce général est un
affabulateur. « Il a joué sur les deux tableaux ».
Insensé ! De telles accusations ne méritent même pas d’être
démenties. Voilà donc pour 1967 [3].
Refermons le dossier. Rien de bien grave. « Debray a parlé
plus que nécessaire » mais c’est Che Guevara qui le dit. « Il
a fait des confessions qu’il n’avait pas à faire. » C’est
encore le Che qui le dit. Je me demande si ce Che n’était pas au
fond un peu jaloux de notre grand intellectuel et de notre
merveilleux écrivain national, pour douter ainsi de son ami. Le
rôle mineur de Che Guevarra dans la révolution cubaine peut-il
être un seul instant comparé aux exploits de Régis Debray ?
Evidemment non ! Il suffit pour s’en persuader d’admettre la
vérité : Guevara n’était qu’un perdant. La preuve ? Il est mort,
pris et exécuté sommairement le 9 octobre 1967, alors que le
courageux Debray, lui, a survécu et il même est devenu célèbre
en racontant, pendant 43 ans durant, ses glorieuses aventures
dans la jungle bolivienne. Comme je l’envie ! Donc tout cela ne
prouve rien. Seulement que le Che était paranoïaque et, au pire,
que Régis Debray aime la conversation et parle à tout le monde.
Même à la CIA. Quoi de mal à cela ? C’est sans doute à cause de
cette affabilité naturelle que Nicolas Demorand l’a invité le 22
janvier 2010 au micro de France Inter. A-t-il trop parlé ? Non,
il a juste dit qu’il fallait mettre Haïti sous tutelle.
Les militaire boliviens
exposent la dépouille mortelle d’Ernesto Che Guevara.
Debray, négationniste de l’esclavage
Dès 2002, j’avais tenté d’attirer l’attention d’un certain
nombre de responsables de tous bords sur l’intérêt qu’il y
aurait pour la France de participer dignement à la célébration
du bicentenaire d’Haïti, prévue pour le 1er janvier 2004. Parmi
ces responsables, Valérie Terranova, très proche de Jacques
Chirac et officiellement conseillère à la Présidence de la
République pour la francophonie. Officieusement, elle s’occupait
aussi du Japon et des bonnes oeuvres d’Omar Bongo. Valérie
Terranova s’était présentée à moi le jour du transfert au
Panthéon des cendres d’Alexandre Dumas. C’est elle qui avait eu
l’idée de ce transfert et qui l’avait imposée à Chirac lequel
s’intéressait autant à Dumas que moi au football et au fromage
de tête. Terranova m’avait proposé de déjeuner. J’avais tenté
d’expliquer à cette jeune femme parfaitement superficielle et
inculte, dont la seule ambition, outre le fait de "servir le
Président" était de faire accepter à Hollywood un scénario
qu’elle avait écrit avec son frère, les origines haïtiennes des
Dumas et la nécessité d’assumer avec dignité notre passé
esclavagiste pour mieux combattre le racisme. C’était également
une manière d’aider les Haïtiens à sortir du marasme où la
France avait largement contribué à les plonger.
D’après le rapport qu’elle fit de notre rencontre, ce qui fut
retenu à l’Élysée était l’imminence des célébrations du
bicentenaire (auxquelles, par ignorance, personne n’avait
songé), le fait que les anti-napoléoniens s’organisaient à
Port-au-Prince, la dangerosité de certains nègres français plus
intelligents qu’on aurait pu le croire et l’urgence de parer le
coup en montant rapidement une expédition punitive. Il lui
fallait un général. On choisit Régis Debray et on lui assigna
une double mission. D’abord constituer un rempart
d’intellectuels contre la montée des revendications
« mémorielles » en France. La seconde mission était de saboter
le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti et de prêter main
forte à un probable coup d’Etat décidé par Washington contre
Aristide, qui était le premier président démocratiquement élu de
l’histoire d’Haïti et qui avait l’audace d’évoquer le passé peu
glorieux de la France : 150 ans d’esclavage, 1 million
d’Africains déportés, 5 millions de morts en Afrique du fait de
cette déportation d’une part, un racket de 21 milliards de
dollars imposé manu militari par Paris en 1825 d’autre
part [4].
Debray, devenu grenouille de bénitier, était l’ami intime de
la soeur de Dominique de Villepin, Véronique Albanel, épouse
d’un général de l’armée de l’air dont Villepin envisageait de
faire le chef d’état major des armées. La générale animait une
mystérieuse association en télépathie avec le Vatican, dénommée
Fraternité-Universelle, disposant en apparence de gros moyens,
et qui était présente, sous prétexte d’intervention humanitaire,
sur tous les points chauds du tiers monde et en particulier en
Haïti. Cette Mata-Hari de confessionnal recrutait à sciences-po,
via l’aumônerie. Debray était ravi de pouvoir se prosterner aux
pieds des puissants du moment : Chirac, Villepin. Il allait
redevenir, comme sous Mitterrand, le conseiller du prince. Il
pourrait faire livrer des armes à ses vieux amis sans d’ailleurs
forcément utiliser la procédure normale. On lui redonnerait peut
être même un bureau à l’Elysée.
Utilisant son image, totalement frelatée, d’intellectuel de
gauche et son influence dans certains milieux de l’édition, où
il était d’autant plus admiré qu’on ne comprenait rien, comme
lui-même d’ailleurs, à ce qu’il écrivait, le « médiologue »
battit d’abord le rappel des écrivains haïtiens et antillais.
Tout le monde n’est pas insensible à un contrat d’auteur, à une
visibilité dans les médias, dans les colloques, à un poste dans
l’université, à une enveloppe pour une association, à une
décoration, à un visa pour un parent, un ami, une maîtresse, à
une naturalisation. Ensuite, il fallait trouver des historiens
qui puissent minimiser l’esclavage transatlantique. Les choix se
portèrent sur Olivier Pétré-Grenouilleau, obscur maître de
conférences à l’Université de Lorient, qui venait de soutenir
une thèse plus que contestable expliquant en gros que les pires
esclavagistes étaient les Africains et les arabes et que la
traite atlantique était une oeuvre de charité au fond assez
ruineuse pour les négriers français et les colons antillais.
Debray, publié chez Gallimard, fit certainement le nécessaire
pour que Pierre Nora, vieillard bien connu pour sa négrophobie
pathologique, et qui dirigeait une collection d’histoire dans la
prestigieuse maison, publie également Pétré-Grenouilleau. Un
contrat fut donc signé chez Gallimard. Il était cependant à
craindre que les intellectuels « noirs » ne ruassent dans les
brancards. On choisit, pour appuyer Pétré-Grenouilleau, un
docile maître de conférences à l’Ecole pratique des hautes
études, Pap Ndiaye, proche, par sa femme, d’Yves Kamani, très
officiellement chargé au CRIF d’un bureau des « noirs ». Pap
Ndiaye avait l’avantage d’avoir des contacts avec les
néo-réactionnaires états-uniens. Il animait une obscure
association, le Capdiv. On le chargea de monter au créneau le
moment venu pour défendre l’indéfendable et, s’il le pouvait,
créer discrètement une organisation de « noirs » à laquelle on
donnerait les moyens d’occuper le terrain et d’être légitimée
comme représentative. Le meilleur ami de Jacques Chirac,
François Pinault, qui avait fondé sa fortune sur l’exploitation
des forêts africaines serait sollicité. Outre les éditions
Tallandier, spécialisées dans la glorification de Napoléon, il
était propriétaire de trois magazines : Le Point (acheté
en 1997 pour échapper à l’ISF) Historia et L’Histoire.
Les deux derniers faisaient dans la vulgarisation historique. Il
fut décidé de consacrer un numéro spécial à l’esclavage, qui
ferait la promotion de Pétré-Grenouilleau et en même temps celle
de Pap Ndiaye.
Pour que l’opération négrophobique Villepin-Debray soit
vraiment réussie, on désigna un « méchant » : l’humoriste
Dieudonné qui se trouva, consciemment ou non, embarqué dans
cette histoire par l’intermédiaire d’un activiste : Alain Soral.
Tous ceux qui diraient le contraire de Pétré-Grenouilleau
seraient des antisémites forcenés inspirés par Dieudonné. « Plus
la ficelle est grosse, moins elle casse » (Chirac). Le jour où
Dieudonné serait démonétisé, on sortirait un autre joker : Kémi
Séba.
Côté Haïti, Villepin donna des fonctions officielles à Debray
et des moyens financiers en le nommant président d’une
commission chargée de « réfléchir » sur les relations
franco-haïtiennes. La mission véritable était de préparer un
coup d’Etat. La partie diplomatique de cette opération fut
confiée à trois hommes : Philippe Selz, ancien ambassadeur au
Gabon, placé auprès de Régis Debray pour déstabiliser Haïti en
Afrique, Thierry Burkard, beau-frère d’un entraîneur de chevaux
de course à Chantilly, nommé ambassadeur à Port-au-Prince pour
orchestrer la chienlit locale, Eric Bosc, secrétaire à
l’ambassade de France, chargé de désinformer la presse française
depuis Port-au-prince et d’accorder des visas aux « bons »
Haïtiens, c’est-à-dire ceux qui accepteraient de venir à Paris
cracher sur le président démocratiquement élu. Bosc (depuis
expulsé du Togo pour ingérence) était tellement paranoïaque et
négrophobe que cela l’avait rendu presque fou. Il voyait des
roquettes braquées sur l’ambassade de France depuis le bureau
d’Aristide qui célébrait des messes noires avec sacrifices
d’enfants coupés en morceaux. Voilà les « tuyaux » qu’il livrait
au correspondant du Monde, établi à Santo-Domingo et
proche des Duvaliéristes : Jean Michel Caroit.
Des réunions se tenaient à Paris chez Véronique Rossillon,
une héritière de la famille Seydoux-Schlumberger qui s’était
offert un lycée à Jacmel, le lycée Alcibiade-Pomayrac qu’elle
finançait entièrement de ses deniers, ce qui lui donnait une
position pour s’intéresser aux affaires du pays et interférer
dans la diplomatie française. Je fus mis en relations avec elle
par un ami français, dont j’ignorais à l’époque qu’il avait fait
partie du mouvement Jean-Claudiste de Baby-Doc. Car Jean-Claude
Duvalier, clandestinement hebergé par la France depuis 1986,
était toujours actif. Il fut mis dans la boucle. N’était-ce pas
Debray qui avait géré son arrivée en France en 1986 au moment de
la transition entre Fabius et Chirac ? Duvalier n’était pas venu
les mains vides. Dans l’avion des services secrets US qui
l’avait déposé à Grenoble, il y avait 900 millions de dollars d’
« économies », ce qui explique sans doute que son séjour
temporaire en France, prévu pour six mois, se soit prolongé
pendant 24 ans sous haute protection policière. Tous les
ministres de l’Intérieur qui se sont succédés durant ce quart de
siècle ont juré croix de bois croix de fer qu’ils ne savaient
pas où il était.
Madame Rossillon, dont j’étais loin de soupçonner le rôle, me
reçut à déjeuner dans son hôtel particulier de la rue Las-Cases
et, pensant probablement m’impressionner, me fit un numéro de
vieille milliardaire capricieuse assez pathétique. J’eus droit
au dessert à un portrait apocalyptique tant du président
Aristide que de ses partisans, dont elle alla jusqu’à mimer
l’accent « haïtien » avec un mépris ostensiblement raciste qui
me terrifia. Elle m’énuméra ensuite les décorations que Duvalier
lui avait décernées et comme je n’était pas convaincu elle me
déclara que mon entêtement lui rappelait celui de son défunt
mari, Philippe Rossillon, qui avait fondé le groupe Patrie et
Progrès, dont avait fait partie Jean-Pierre Chevènement, et
avait milité pour rallier les gaullistes de gauche à l’Algérie
française. En 1968, les Canadiens l’avaient accusé d’être une
barbouze chargée de semer la zizanie au Québec. Je ne sais donc
pas si cette comparaison était bien flatteuse. Je reçus quelques
jours plus tard un appel de M. Selz, m’annonçant que Debray
voulait me voir, à la demande de Mme Rossillon.
Pour composer sa commission, l’ex-guérilléro bavard avait
réuni un noyau dur d’universitaires chargés d’accréditer les
thèses de Pétré-Grenouilleau et de discréditer tous ceux qui les
critiqueraient : Myriam Cottias et Jean-Marc Masseaut,
négrologues labellisés par le gouvernement, Marcel Dorigny,
représentant l’aile chiraquienne du Parti communiste, chargé de
contrôler les travaux universitaires entrepris sur l’esclavage
dans le cadre d’une association rassemblant quelques thésards
naïfs, Yvon Chotard, un socialiste qui devait bientôt se
défroquer pour passer à l’UMP et qui animait alors l’association
Les Anneaux de la mémoire, antenne associative du quai d’Orsay.
Pour faire bonne mesure et colorer un peu cette commission de
visages pâles Jacky Dahomay, prof de philo guadeloupéen
incapable d’être reçu à l’agrégation, mais qui bénéficait d’un
tout autre sésame puisqu’il était le protégé de Blandine Kriegel,
une maoiste devenue, en s’embourgeoisant, conseillère de Chirac
et présidente du Haut conseil à l’intégration.
Régis Debray, pour se faire pardonner les péchés qu’il allait
commettre et pour bénir le coup d’Etat, embarqua dans cette
nouvelle aventure le père dominicain Gilles Danroc. Serge
Robert, PDG de la Banque des Antilles françaises représentait
les intérêts financiers des Békés de la Martinique dont Madame
de Villepin faisait secrètement partie. Le sociologue Gérard
Barthélémy devait mettre à la disposition de Debray son carnet
d’adresses en Haïti. Quant à François Blancpain, spécialiste du
racket imposé aux Haïtiens par la France en 1825, il devait
élaborer un argumentaire permettant de ne pas rembourser ce qui
avait été extorqué.
Les rôles furent vite distribués. Le noyau dur fut mis au
courant du coup d’Etat qui se préparait. Les autres restèrent à
l’écart ou firent semblant de ne pas comprendre. On leur demanda
simplement de saboter le bicentenaire en le discréditant à
travers leurs réseaux. Il suffisait de dire qu’Aristide était un
satrape pervers et corrompu : une thèse concoctée dans les
officines de la CIA et qui serait reprise à pleins poumons par
toute la presse française. Le rôle clé de cette commission était
détenu par quelqu’un qui n’apparaissait pas dans l’organigramme,
la générale Albanel, alias Véronique de Villepin qui était
envoyée par son frère comme une nouvelle Pauline Bonaparte
accompagnant ce général Leclerc chargé de rétablir l’esclavage
qu’était devenu Régis Debray. Un esclavage qu’on appellerait
désormais « tutelle ».
Jean-Bertrand Aristide
Jean-Bertrand Aristide
Sept avril 2003. Le monde entier célébrait le bicentenaire de
la mort de Toussaint-Louverture, enlevé et assassiné par
Napoléon. En France, une seule manifestation, organisée par le
Fort de Joux. Pour représenter le gouvernement Raffarin,
Hamlaoui Makachera, le ministre des Anciens combattants ! La loi
Taubira avait été votée depuis deux ans déjà, mais le
gouvernement refusait obstinément de prendre le décret
d’application qui permettrait à cette loi d’être autre chose que
lettre morte. Toussaint Louverture remuait ce passé dérangeant
dont les responsables politiques comprenaient très bien qu’il
avait une influence sur la politique intérieure et extérieure.
L’exhumation de l’histoire de l’esclavage est un des volets de
la lutte contre le racisme et la lutte contre le racisme est, en
soi, une prise de position éminemment politique, un regard
révolutionnaire et ravageur soudain porté sur le monde. Il a
même été dit qu’une opération secrète ouvertement négrophobe
avait été organisée par de hauts responsables français sous le
nom de code « Source ». Villepin en aurait bien été capable.
J’avais décidé de me rendre au Fort de Joux pour saluer la
mémoire du martyr de la liberté et j’avais réservé un billet.
Dans le train, je me trouvais curieusement assis à côté de la
diplomate, blonde évidemment, chargée d’Haïti au quai d’Orsay.
Le hasard, sans doute. Elle en profita pour se faire connaître
et engager la conversation. Elle me tendit sa carte. Elle
s’appelait Dominique Waag-Makaïa. Naturellement, elle m’invita à
passer à son bureau. Ce qui est plus curieux, c’est qu’elle
était toujours à côté de moi dans le train du retour. Je le lui
fis remarquer et elle ne me répondit que par un petit sourire
entendu.
Un conseiller à la présidence de la République d’Haïti, le
regretté Pierre Claude, avait lié conversation avec moi au Fort
de Joux. Il m’exprima, au nom des Haïtiens, sa gratitude pour
mon combat en faveur du général Dumas. Devant rentrer au pays,
il m’engagea à lui confier un exemplaire de mon dernier livre,
L’Expédition [5],
qu’il transmettrait au président Aristide. Je ne connaissais ce
dernier que par toutes les calomnies dont on m’avait jusqu’alors
abreuvé. La chose qui me semblait louche, c’était que les
journalistes français se déchaînaient contre Aristide, mais ne
parlaient jamais de Duvalier, que la France hébergeait pourtant.
Il faut dire qu’Aristide, en ce 7 avril 2003, avait eu l’audace
de faire savoir aux Français qu’il avait fait le calcul de ce
qu’avait coûté en définitive, emprunts compris, le racket imposé
par la France en 1825. Il en arrivait au chiffre de 21 milliards
de dollars. La perspective d’un procès engagé par le petit Etat
pour faire valoir ses droits avait mis en effervescence le
gouvernement français, et surtout Villepin, ministre
bonapartiste des Affaires étrangères, qui se voyait président de
la République française en 2007.
A ma grande surprise, Aristide, non seulement prit le temps
de lire mon livre, mais me téléphona. Il m’invitait à venir le
voir pour bavarder de l’histoire d’Haïti. J’en provoquai
l’occasion en proposant un livre d’entretiens à Jean-Paul
Bertrand, mon éditeur depuis huit ans, qui m’envoya bientôt sur
place. C’est à cette occasion que je pus converser pendant une
trentaine d’heures en tête à tête avec celui qui était présenté
par la presse putschiste comme un dictateur vicieux et pervers.
J’ai bien entendu conservé en lieu sûr tous ces enregistrements,
qui annonçaient exactement tout ce qui a pu se passer par la
suite. Mon impression, corroborée par une minutieuse enquête sur
le terrain, fut très différente de ce que j’avais entendu à
Paris. Je découvris un homme sympathique, doux et cultivé qui
n’avait nullement renoncé aux objectifs sociaux qui, par deux
fois, l’avaient fait élire à une très large majorité. Seulement,
comme il était inflexible quant à l’indépendance de son pays,
les Etats-uniens avaient mis ce pays sous embargo et avaient
engagé contre son président légitimement élu une campagne de
dénigrement, ce qu’on appelle dans le langage technique de la
guerre psychologique character assassination. Au lieu de
tuer la personne et d’en faire un martyr, on tue son image dans
les médias, ce qui permet de l’éliminer physiquement ensuite en
toute discrétion.
Une « opposition » avait été montée de toutes pièces par un
Syro-américain vivant en Haïti (et n’ayant pas la nationalité
haïtienne) André Apaid, milliardaire blanc de peau agissant
notoirement pour la CIA, mais présenté par la presse française
comme un Haïtien noir représentatif des travailleurs [6].
L’enjeu ? Le sous-sol d’Haïti, jusque là inexploité : pétrole,
uranium, or, cuivre, iridium. Aristide était au fait des
richesses potentielles de son pays. Les Etats-uniens aussi. Ils
savaient qu’il savait. Comme nous avions sympathisé, le
président m’avait mis dans la confidence. Aristide était non
seulement soucieux des intérêts de son pays, mais il avait
conscience du rôle qu’il pouvait et devait jouer pour tous les
Africains de la diaspora, tous ceux qui, comme moi, étaient
méprisés dans leur pays de naissance à cause de leur couleur. Il
était très conscient de ce qui se passait dans les banlieues
françaises, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane. Dès 1804
son misérable petit pays avait fait le serment d’envoyer des
commandos partout où se trouverait un seul nègre maintenu en
esclavage. Cette politique restait, hélas, d’actualité. Sans
nous connaître, nous étions arrivés aux mêmes conclusions.
J’étais chez moi à Port-au-Prince. Je l’avais ressenti dès
que l’avion avait commencé, à la tombée de la nuit, son approche
vers l’aéroport international de Port-au-Prince. Haïti était
démunie, mais les plus humbles avaient une fierté dans le regard
et dans le comportement qui ne pouvait que frapper les moins
observateurs. Cette flamme que je vis briller dans les yeux du
premier Haïtien rencontré sur son sol, avait effacé en un éclair
le souvenir amer de toutes les humiliations que je subissais
dans mon propre pays depuis près d’un demi-siècle. Aristide
n’était que l’incarnation politique, de toute évidence légitime,
de ce regard. Les pauvres se seraient fait tuer sur place pour
lui et ils représentaient une écrasante majorité. Je compris
pourquoi ce nouveau Toussaint Louverture était considéré comme
extrêmement dangereux par tous les négrophobes de la planète. Le
problème n’était plus de savoir si ce qu’on disait de lui était
vrai ou pas, mais de savoir s’ils réussiraient à l’éliminer
avant la célébration du bicentenaire d’Haïti.
A mon retour j’avais pris rendez-vous avec Mme Waag-Makaïa,
la secrétaire des Affaires étrangères rencontrée « par hasard »
dans le train du fort de Joux pour lui donner mon sentiment sur
Aristide : visiblement, tout ce qu’on disait relevait d’un coup
monté des plus grossiers. L’intérêt de la France était de tendre
la main aux Haïtiens et de se joindre à leurs louables efforts
pour célébrer le bicentenaire de la république nègre. L’Histoire
l’imposait. Lorsque je me trouvai dans les couloirs du quai
d’Orsay, la jeune femme vint à ma rencontre et se mit à frapper
à toutes les portes de la direction des Amériques, comme pour
annoncer que tout le ministère se trouvait en danger, le monstre
contaminé par Aristide étant arrivé dans la place. Le monstre,
c’était moi.
Je me retrouvai bientôt dans un bureau, entouré de quatre
diplomates, dont plusieurs, franchement agressifs, me
harcelèrent de questions imbéciles dans lesquelles se trouvaient
déjà toutes les réponses. On alla jusqu’à me reprocher d’avoir
parlé à Aristide, car, disaient-il, il « ensorcelait » tous ceux
qui l’approchaient ! En France, on appelle ça le charisme, mais
quand il s’agit des nègres, le raciste perd toute rationalité et
reproche aux autres la pensée primitive qui n’est en réalité que
sa pensée propre. La haine qui étincelait dans leurs regards me
surprit beaucoup. J’étais Français et je venais simplement
donner mon opinion d’intellectuel sur un dossier qu’il leur
appartenait de gérer. Cependant, les petits énarques qui
m’entouraient ne faisaient aucun effort pour dissimuler un
racisme que je n’aurais pas soupçonné dans une administration
française de ce niveau. Pour ces gens, j’étais un étranger dans
mon propre pays. Au départ, j’étais un nègre et au quai d’Orsay,
par tradition, le rôle des nègres est de faire le ménage dans
les bureaux avant l’arrivée des diplomates blancs de peau. Mais
de nègre méprisable et a priori disqualifié que j’étais,
je m’étais transformé en nègre révolté et dangereux. J’étais
devenu un Haïtien. Et les Haïtiens, ils les haïssaient.
Simplement parce que j’osais dire que mon pays, après 150 années
d’odieuse oppression esclavagiste, avait en outre escroqué une
jeune république affaiblie par une tentative française
d’extermination, qu’il était temps de changer de politique, non
seulement pour des raisons morales, mais parce que la France y
avait également un intérêt géostratégique et économique évident.
Je devais tranquillement discuter d’Haïti avec une compatriote
a priori équilibrée. Je me retrouvais avec cinq individus
déchaînés que je ne connaissais pas et qui étaient ses
supérieurs hiérarchiques. Mon rendez-vous ressemblait de plus en
plus à une sorte de garde à vue. L’un des diplomates ne se
contenait plus et haussait le ton. Je voyais bien le moment où
l’on allait commencer à me frapper. Quel crime avais-je donc
commis pour déstabiliser autant des gens qui auraient dû être
beaucoup plus surs d’eux puisqu’ils avaient de toute éternité
raison, du fait de leur couleur et du fait qu’ils étaient là,
dans un rôle officiel alors que moi, quels que soient mes
diplômes ou ma valeur, ou à cause de mes diplômes et de ma
valeur précisément, je ne serais jamais qu’un perturbateur, une
monstruosité, un traître et un salaud à qui la France ne
donnerait jamais rien que des coups bas ? J’étais le grain de
sable qui contrariait un plan dont j’ignorais évidemment tout.
C’était un vendredi. Voyant qu’ils ne réussiraient pas à me
faire changer d’avis, mes « hôtes », dans leur affolement, avant
de me « libérer », décidèrent devant moi qu’une réunion de crise
serait tenue dès le lundi matin dans le bureau du directeur des
Amériques.
Les Villepin
Novembre 2003. Le dossier faisant mousser Pétré-Grenouilleau,
présenté comme un nouveau Thucydide, venait de paraître dans la
revue L’Histoire appartenant à Pinault, l’homme du bois
exotique. Si l’on n’avait pas osé y présenter les esclaves comme
de vrais salauds, on n’en était pas loin. C’étaient au moins des
imbéciles. N’étant pas assez malins pour vendre leurs
congénères, comme l’avaient toujours fait les Africains, ils
s’étaient fait prendre. Les négriers et les planteurs étaient,
eux, très fréquentables. Et pas si riches que ça. Il fallait
relativiser. Ce n’était sûrement pas l’argent de la traite qui
avait financé le capitalisme. Et chacun y allait de son article.
Même Françoise Chandernagor, dont on pouvait se demander ce
qu’elle faisait là, se disait descendante d’esclave. Enfin d’un
esclave. Un seul. Chacun sachant qu’elle vivait dans un hôtel
particulier à Paris, en province dans un château, elle voulait
montrer que c’était un choix identitaire. L’idée était que si
les négros osaient un jour se présenter comme descendants
d’esclaves, ils étaient attendus de pied ferme.
Je m’étais rendu au salon du livre de Brive pour y signer
L’Expédition, mon second roman (et troisième ouvrage) qui
racontait, du point de vue de Pauline Bonaparte, ce qui s’était
passé en Haïti en 1802-1803. Comme il est épuisé, je n’ai aucune
fausse honte à dire que c’était, selon moi, un bon livre et,
dans la naïveté de mes débuts, je m’attendais à avoir un peu de
presse. Il n’en fut rien, mis à part une émission sur RTL. Non
pas que ce roman n’ait pas été remarqué, au moins par les
quelques milliers de lecteurs qui l’achetèrent. Mais on jugea le
sujet fort scabreux puisqu’il mettait en cause Napoléon. Le
politicien en vogue, Villepin, ministre des Affaires étrangères
fort content de lui, et se piquant d’écrire, était un fanatique
de ce tyran. Quel journaliste aurait à l’époque osé déplaire à
Villepin ? C’est pendant que je signais mes livres, attendant un
peu tristement le chaland, que je reçus l’appel de l’ambassadeur
Selz, le Monsieur Afrique de la commission Debray, m’annonçant
que le guérilléro bavard voulait me voir de la part de la
vieille dame de la rue Las Cases qui avait, paraît-il, insisté.
Peu après, un brouhaha se fit entendre. C’était l’arrivée de
l’écrivain-ministre Villepin qui venait d’ « écrire » quelque
chose. D’après un de ses éditeurs, qui n’est certainement qu’une
mauvaise langue, il aurait « fallu beaucoup l’aider » comme on
dit dans le jargon du métier. La flagornerie était telle que,
pour honorer cet incomparable homme de lettres, on lui avait
décerné dès son arrivée le grand prix du salon de Brive. Pour
être sûr d’avoir du monde à son stand, qui par une ironie du
sort, était presque en face du mien, il s’était fait accompagner
par Bernadette Chirac. Une meute de journalistes était aux
trousses du Dauphin. Les rombières locales, l’opus ministériel à
la main, trépignaient d’impatience et d’émotion, prêtes à se
battre pour un regard de ce nouveau Talleyrand. De mon côté,
c’était beaucoup plus calme.
Tandis que je supportais cette scène indécente, contre toute
attente, une admiratrice s’approcha. Une jeune femme blonde, la
quarantaine. Prenant en mains un exemplaire de mon livre, elle
engagea la conversation. Mon ouvrage avait vraiment l’air très
intéressant. Elle aimait beaucoup les Antilles en général et
Haïti en particulier. Elle avait assisté à la représentation de
Monsieur Toussaint, la pièce d’Edouard Glissant, mise en
scène par Greg Germain à Pontarlier, près du fort de Joux. Elle
finit par me dire qu’elle était amie de Glissant et même qu’elle
irait avec son mari passer Noël chez lui, à la Martinique. La
conversation s’engagea sur Haïti. La dame semblait si
passionnée, en apparence, par ce que je disais, qu’elle s’était
accroupie. J’avais oublié et Villepin et l’émeute qu’il
déclenchait, tout près, parmi ces vieilles groupies. Une petite
demi-heure s’étant écoulée, mon admiratrice me dit qu’elle
devait partir, mais qu’elle aimerait que je lui dédicace mon
livre. Lorsque j’eus le stylo en main, elle me dit que c’était
pour son mari. Je lui demandai un nom pour y associer une
formule amicale. Elle me répondit avec un petit sourire et en
baissant un peu la voix : « Dominique de Villepin ». C’était
Marie-Laure Leguay, épouse de Villepin, béké de la Martinique,
qui était ainsi venue au contact. On se doute que ce n’était pas
un hasard, puisque je venais de recevoir sur mon portable
l’appel de l’ambassadeur Selz m’invitant à rencontrer Régis
Debray. Je fis ma dédicace à Dominique de Villepin « en espérant
que cette lecture vous incite à célébrer dignement le
bicentenaire d’Haïti. » La dame me demanda mes coordonnées que
je lui laissai. Comment pouvais-je me douter que son mari allait
préparer un coup d’Etat contre Haïti pendant les vacances de
Noël dans la villa martiniquaise d’Edouard Glissant et qu’elle
en était certainement informée ?
Burkard et Debray, les
contre-révolutionnaires
L’ambassadeur Thierry
Burkard
Le nouvel ambassadeur de France, Thierry Burkard, avait été
nommé pendant l’été 2003, avec pour mission de favoriser un coup
d’Etat contre le président Aristide. Son prédécesseur, avant de
quitter ses fonctions, avait d’ailleurs annoncé une « tempête ».
Ne me doutant de rien, j’avais adressé à Burkard L’Expédition,
dans l’espoir qu’il comprenne un peu mieux la situation. Il me
proposa de prendre un café à Paris la veille de son départ, ce
que j’acceptai. Il était visiblement prévenu contre Haïti, mais
fit quelques efforts pour n’en rien laisser paraître, ce qui lui
imposait une sorte de rictus. Comme nous avions des parcours
universitaires similaires, il ne pouvait me parler avec le ton
qu’il aurait sûrement utilisé avec un autre [nègre]. Mais il
n’en pensait pas moins. D’où les contorsions de son visage.
Il me demanda s’il était vrai que le président Aristide
organisait des « messes noires » dans son palais. On peut juger
par là à quel point cet ambassadeur était diplomate. Je lui fis
répéter la question et lui répondis que si c’était au vaudou
qu’il faisait allusion, c’était à ma connaissance une religion,
au même titre que n’importe quelle autre. Quant à des « messes
noires » en Haïti, je n’avais jamais entendu parler de cela et
je m’étonnais même qu’il me pose à moi cette question.
Visiblement, du fait de sa mission, que je ne pouvais alors
deviner, il avait très peur d’être « fétiché » par Aristide. Il
était par ailleurs très agacé qu’on lui ait mis un Debray dans
les jambes. Lorsque je pris congé, après lui avoir conseillé de
prendre un exorciste (ce qu’il devait faire dès son arrivée à
Port-au-Prince) l’ambassadeur insista pour payer nos deux cafés
avec un billet de 500 euros tout droit sorti de l’imprimerie de
la Banque de France, ce qui m’intrigua, d’autant que l’homme
avait plutôt l’air d’un fesse-mathieu.
Debray me reçut chez lui, rue de l’Odéon, au milieu du mois
de novembre. Un vieil appartement bourgeois, crasseux, à l’image
de son occupant. Il s’efforça d’être affable et de dissimuler un
sourire d’extrême suffisance sous sa grosse moustache qui ne le
rendait pas, c’est le moins qu’on puisse dire, aussi sympathique
que Georges Brassens, son modèle de jeunesse. Comme je me
demandais si je serais capable de le prier de me chanter un
couplet de Gare au gorille, le téléphone se mit à sonner.
Le répondeur était branché. Le haut parleur aussi. Une voix de
femme assez jeune laissa un message assez personnel qui me mit,
on s’en doute, dans un certain embarras. Debray aurait pu se
précipiter pour couper le son, mais finalement il devait être
flatté de faire entendre qu’une jeune femme lui laissait un
message de cette nature, ce qui était a priori très
improbable pour ce sexagénaire revêche aux costumes seventies.
Par la suite, je me convainquis que cette jeune femme était
certainement Véronique de Villepin-Albanel, la soeur du
ministre, ce qui devait porter la vanité du guérilléro bavard
au-delà de toute mesure.
Les Haitiens sacrifiés pour se
réconcilier avec Washington
Dominique de Villepin croyait avoir le plus grand intérêt, en
cette fin d’année 2003, à déstabiliser Haïti et à renverser
Aristide. D’abord il souhaitait se réconcilier avec les
Etats-uniens avec lesquels il avait engagé, depuis le printemps,
une partie de bras de fer. Les relations s’étaient dégradées à
cause de l’Irak (Villepin s’étant opposé à l’invasion) et de
l’affaire Executive life.
Pour la justice californienne, le Crédit lyonnais, dont
l’actionnaire était l’État français, avait pris illégalement le
contrôle de la compagnie d’assurance Executive life. Aux yeux
des Etats-uniens, la France s’était comportée dans cette affaire
comme un Etat voyou et des poursuites judiciaires pénales
étaient engagées. Paris risquait d’écoper d’une amende
faramineuse. Une violente campagne de presse était menée par la
presse américaine. L’ambassade de France à Washington recevait
quotidiennement des dizaines de milliers de mails d’insulte.
C’était François Pinault, l’ami milliardaire de Chirac et de
Villepin qui avait racheté la compagnie d’assurance au Lyonnais,
via sa société Artémis. En la revendant ensuite, il avait gagné
un bon milliard de dollars. De ce fait, Pinault était également
l’objet de poursuites. Un jury populaire devait le condamner à
700 millions d’euros d’amende (on se doute que, depuis, tout
s’est arrangé).
Pour Villepin, il importait donc de calmer le jeu avec les
Etats-uniens. Or les Etats-uniens souhaitaient renverser
Aristide. Rien de mieux qu’une bonne réconciliation sur le dos
d’Haïti. D’autant que la France réactionnaire avait deux autres
raisons de participer au coup d’État. En France, les citoyens
d’origine africaine et antillaise étaient, et sont encore,
implicitement traités comme des inférieurs (notamment par une
absence complète de visibilité à la télévision et dans la vie
politique). On redoutait les effets d’un bicentenaire d’Haïti
auquel se seraient associé les pays africains en théorie
indépendants mais contrôlés par la Françafrique et qui aurait
glorifié des esclaves révoltés à la peau noire. Port au Prince
ne devait pour rien au monde devenir l’axe de la renaissance
africaine. Paris redoutait surtout l’ouverture du dossier de la
dette de la France à l’égard d’Haïti (pour la rançon imposée par
la force en 1825) que le président Aristide estimait à 21
milliards de dollars. En outre, parallèlement à la restitution
de la somme versée à la France, Aristide évoquait les
réparations qu’Haïti pourrait exiger pour 150 années
d’esclavage. Même si le gouvernement Raffarin s’efforçait
d’enterrer la loi Taubira en ne prenant pas le décret qui
permettait de l’appliquer, l’esclavage était désormais un crime
imprescriptible contre l’humanité. Une réparation demandée par
un Etat souverain victime de ce crime pouvait prospérer devant
un tribunal international. En cas de condamnation, d’autres
Etats, en Afrique, pouvaient exercer des poursuites et réclamer
des réparations. On pouvait même imaginer que des descendants
d’esclaves français en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à
La Réunion demandent eux aussi des réparations. Après tout, au
moment de l’abolition de l’esclavage en 1848, des réparations
avaient bien été payées par l’État aux colons (entre 400 et 500
francs or, soit environ 4000 euros par esclave perdu) tandis que
les esclaves ne recevaient, eux, aucune indemnité, la liberté
« accordée » (mais qui appartient évidemment de manière
inaliénable à chaque être humain) étant spécieusement considérée
comme un bienfait qui dispensait l’État d’avoir à payer quoi que
ce soit. Bref, le cauchemar, c’était que recommence d’une autre
manière ce à quoi les ex-pays esclavagistes avaient échappé à
Durban en septembre 2001.
Le dossier de la dette avait été confié par le gouvernement
de Port-au-Prince au ministre chargé des Haïtiens résidant à
l’extérieur, Leslie Voltaire. Il réunit une commission
internationale d’experts. J’acceptai très volontiers d’y
participer. Ma position était très simple. La France avait
manifestement une dette à l’égard d’Haïti au regard de
l’indemnité de 1825. Trois questions se posaient cependant.
D’abord celle du montant de cette dette. Le chiffre retenu par
le gouvernement haïtien méritait d’être examiné. Ensuite la
légalité de la demande : était-elle recevable en justice ? Ne
valait-il pas mieux un accord amiable ? Enfin la manière dont la
France pouvait rembourser cette dette, si elle la reconnaissait.
De mon point de vue, il y avait plusieurs solutions. Paris
pouvait cautionner des emprunts. Une aide en nature était
également possible : par exemple un renforcement de la
coopération. Les intérêts de la France n’en auraient pas été
lésés pour autant car des entreprises françaises pouvaient
parfaitement profiter des mesures accordées dans le cadre de
cette coopération renforcée. Les routes, les télécommunications,
l’adduction d’eau, la collecte des ordures ménagères, la
construction d’immeubles, l’infrastructure touristique : tout
cela, mon pays savait le faire. Nous pouvions aider Haïti tout
en y trouvant notre compte.
La mission de Régis Debray, secrètement appuyé par la sœur de
Dominique de Villepin, allait absolument à l’inverse de mes vues
équitables : intervenir à Port au Prince, à Paris et en Afrique
pour saboter le bicentenaire de l’indépendance et tirer un trait
sur Aristide. Peu importait que ce coup d’Etat fasse des
milliers, voire des dizaines de milliers de morts.
Un thé au manoir des Lauriers
M’étant rendu en Haïti pour travailler avec le ministre
Leslie Voltaire sur le dossier de la restitution de la dette, je
pris contact avec l’ambassadeur Burkard, qui avait pris son
poste depuis quelques semaines. L’antichambre de l’ambassade
jouxtait le bureau du service de presse d’Eric Bosc, un
diplomate qui se comportait en véritable agent du putsch qui se
préparait. Son bureau était éclairé par une large baie vitrée
donnant sur le couloir. Il l’avait entièrement tapissée
d’articles hostiles au président Aristide et même de caricatures
ouvertement racistes placées bien en évidence, de sorte que
toutes les personnes qui rendaient visite à l’ambassadeur ne
pouvaient manquer de les voir. Burkard se prenait maintenant
très au sérieux. Comme je ne lui cachais nullement ma position
favorable sinon à la restitution, du moins à la nécessité
d’examiner sérieusement et objectivement le dossier, il en vint
à me demander, non sans une pointe d’insolence destinée à
éprouver ma patience, si finalement j’étais Français ou Haïtien.
Je lui répondis très calmement que, depuis 1804, tous les
Français ayant subi l’esclavage, personnellement ou par ancêtres
interposés, étaient Haïtiens de droit s’ils en faisaient la
demande et que, pour ma part, j’étais Haïtien de cœur, ce qui ne
m’empêchait pas d’être aussi Français que lui. Peut être
davantage, aurais-je pu ajouter, si j’avais voulu être méchant.
En tant que Français, je considérais qu’il était de l’intérêt de
mon pays d’examiner avec le plus grand intérêt ce dossier,
plutôt que de refuser toute discussion.
Pour m’impressionner, Burkard me convia à prendre le thé dans
sa résidence, au manoir des Lauriers, une splendide villa
coloniale où il vivait gardé par des gendarmes armés jusqu’aux
dents et servi par autant de domestiques « de couleur »
qu’aurait pu en avoir le plus riche planteur esclavagiste de
l’île au XVIIIe siècle. Burkard s’était acoquiné avec les plus
opulentes familles à la peau claire de Pétionville qui vivaient
dans un luxe dont on ne peut avoir idée et qui, presque toutes,
étaient les plus actifs soutiens des putschistes. Chez ces
gens-là, dont le fantasme secret était de fréquenter des
Français pouvant attester qu’ils descendaient des pires colons
de Saint-Domingue, le foie gras, le caviar et le champagne
étaient monnaie courante. On donnait des fêtes splendides,
protégées par des milices privées armées de M16. Ceux qu’on
appelait les « mulâtres » se seraient sentis déshonorés d’avoir
moins de douze domestiques. Chaque enfant avait son chauffeur et
sa nounou. Mais ce qui était le plus surprenant, c’étaient les
feux de cheminée, le soir, dans les villas hollywoodiennes
perchées sur de fraîches collines, quand on sait qu’il n’y a pas
une brindille de bois en Haïti. Pendant ce temps, ceux que la
presse occidentale appelait les « chimères », une manière
étrange de désigner les pauvres ayant voté pour Aristide,
attendaient, dans les bidonvilles, la mise en place des réformes
décidées par leur président qui tentait d’imposer aux riches
« mulâtres » un salaire minimum et le paiement normal de
l’impôt. Je dois préciser que, malgré le dénuement, il n’y avait
aucune famine à l’époque en Haïti.
Je me rendis au manoir des Lauriers. L’ambassadeur éprouvait
une jouissance non dissimulée, surtout en ma présence, à se
faire servir par François-Joseph, un vieux domestique nègre
auquel il imposait les gants blancs. On se serait cru dans un
roman bien raciste de Margaret Mitchell. L’ambassadeur était
très énervé par l’arrivée prochaine de Debray et de sa
commission. Il demanda mon avis sur la manière de traiter le
dossier franco-haïtien. Je lui dis qu’il me paraissait
souhaitable que le président français rencontre son homologue de
Port-au-Prince. Burkard répondit avec une moue de mépris que le
président de la République française ne se « commettait pas avec
n’importe qui ». Cette phrase était incroyable dans la bouche
d’un diplomate qui aurait dû, au moins, affecter un semblant de
neutralité. Elle était particulièrement comique quand on sait
quels étaient les amis de Chirac et de Villepin. Elle mit en
tout cas un terme à notre entretien. Sous son apparente
tranquillité, Burkard était extrêmement préoccupé par le dossier
sur la restitution.
Bosc était tout fier d’avoir réussi à se procurer
l’argumentaire juridique développé par les Haïtiens grâce au
directeur général du ministère des Haïtiens habitant à
l’étranger, Gabriel Frédéric, le collaborateur du ministre
Leslie Voltaire. Frédéric était pourtant un proche ami
d’Aristide, qui était parfaitement informé de cette
« trahison », mais ce haut-fonctionnaire haïtien avait besoin
d’un visa pour que sa maîtresse puisse se rendre en France.
Telle était l’ambiance à Port-au-Prince, en cette fin d’année
2003.
L’ambassadeur, suite à notre entretien, s’empressa de rédiger
une dépêche pour expliquer à sa hiérarchie, c’est-à-dire à
Villepin, que j’étais « à la solde » du président Aristide. On
traitait ce dernier de dictateur. S’il l’avait été, sans doute
aurait-il fait un mauvais parti à Frédéric et jeté les Burkard,
Bosc et consorts dans le premier avion en partance pour la
France.
La Commission Debray à Haïti
Lorsque la commission Debray se rendit en Haïti, nous
résidions dans le même hôtel. Régis Debray et Véronique Albanel
(née de Villepin), qui venait de faire son apparition dans cette
commission et dont personne ne soupçonnait qu’elle était la sœur
du ministre français des Affaires étrangères, avaient, eux, le
privilège de loger au manoir des Lauriers, chez l’ambassadeur
Burkard. On se demande bien pourquoi. C’était surréaliste de
voir des gens comme Chotard, Dorigny ou Dahomay comploter toute
la journée au bar de l’hôtel et préparer tranquillement un coup
d’Etat en vidant des bières. Ce qui était pathétique, c’était
quand ils trépignaient d’impatience, en attendant le
fonctionnaire du Quai d’Orsay chargé de régler leurs
consommations. Ils n’auraient jamais laissé aux Haïtiens un seul
centime qui ne vienne du contribuable français.
Les employés de l’hôtel connaissaient mes positions. Comme ce
n’étaient pour les membres de la commission Debray que des êtres
stupides, de simples choses qui apportaient à boire, les
putschistes ne se gênaient pas pour parler devant eux. Ils
avaient tort. Plusieurs fois, les barmen vinrent m’avertir que
j’étais l’objet favori des conversations de la commission, que
ses membres ne cherchaient qu’à me nuire et que j’avais intérêt
à être extrêmement prudent, car ils étaient, selon eux, capables
du pire. Je pensais que lors des révoltes d’esclaves, et en
particulier en 1802, les nègres de case, dont les esclavagistes
ne se méfiaient pas, avaient dû plus d’une fois avertir les
abolitionnistes de ce qu’on préparait contre eux. Cette marque
de confiance de compagnons que je ne soupçonnais pas est l’un
des souvenirs les plus forts de cette période.
J’eus l’occasion de croiser Debray à l’aéroport et de
constater qu’il s’était mis dans une tenue qu’il croyait de
circonstance : pataugas et battle dress. À le voir ainsi
attifé, il ne faisait aucun doute qu’il préparait un coup d’État
et ne s’en cachait même plus. Il allait et venait : sur le
plateau central, et sans doute en République dominicaine, où une
troupe armée d’assassins commandée, en apparence, par Guy
Philippe, se préparait à venir semer la terreur. J’adressai, par
principe, un mail d’indignation à Valérie Terranova, la
conseillère de Chirac, qui était probablement à l’origine de
l’envoi du guérilléro bavard en Haïti : « Je suis extrêmement
surpris, après les conversations que nous avons eues, de voir un
Régis Debray, ici, en battle dress, en train de préparer
un coup d’Etat ! Il est impossible que vous ne soyez pas au
courant. En tout cas, maintenant, vous l’êtes et si vous ne
réagissez pas, je saurai à quoi m’en tenir. » Cette pauvre
fille, aujourd’hui employée à la fondation Chirac (machine de
guerre supplétive pour porter Villepin à la Présidence), me
répondit d’une manière qui ne laissait aucun doute sur son
implication et transmit naturellement copie de mon mail à
Debray.
Pour comprendre qui elle était et ce qu’elle faisait à
l’Élysée, il suffit de dire que lorsque je lui parlai de
l’utilité pour la France d’élever une statue à la mémoire du
général Dumas, elle me dit qu’il lui suffisait d’en parler à
Bongo et qu’il paierait cash. Bongo devait payer beaucoup de
choses. C’est comme cela que fonctionnait la France de Chirac et
de Villepin : Bongo payait cash.
Le lendemain, le guérilléro bavard apparut à l’hôtel où se
trouvaient les quartiers de ses troupes, flanqué de quatre
gendarmes, qui ne le quittaient pas d’une semelle. Le roquet,
prévenu par la Terranova que j’y voyais clair dans son jeu, se
mit à aboyer dans le couloir avec une férocité inouïe. Je lui
jetai avec mépris qu’on n’était pas en Afrique, encore moins en
Bolivie. J’appuyai sur le mot Bolivie en le regardant droit dans
les yeux. J’ajoutai qu’il ne serait pas toujours entouré de
gendarmes lorsqu’il me croiserait, et que l’avenir pouvait durer
longtemps. Il doit s’en souvenir, car depuis, lorsqu’il
m’aperçoit, il baisse prudemment les yeux et rase les murs,
quand il ne change pas carrément de trottoir. Pour bien
comprendre l’ambiance de cette fin d’année 2003 à
Port-au-Prince, il faut savoir que le président Aristide
laissait les nombreuses radios privées et les journaux se
déchaîner contre lui. Les membres de la commission Debray ne se
gênaient pas pour aller épancher leur négrophobie maladive au
micro de ces stations financées par la classe dirigeante
haïtienne, claire de peau et raciste au dernier degré. La presse
jouissait d’une liberté dont n’a même pas idée dans les
prétendues démocraties occidentales.
L’ambassadeur Burkard devait rencontrer le ministre Voltaire
et son homologue des Affaires étrangères, qui me convièrent à
cette réunion. Étant citoyen français, j’informai l’ambassadeur
de ma présence en qualité d’expert pour la question de la
restitution. Burkard en profita pour se faire accompagner par la
commission Debray au grand complet, ce qui n’était pas du tout
prévu. Au grand complet ou presque, car on demanda ce jour là au
« nègre de service », Dahomay, de ne pas venir. Il fut excusé
sous le prétexte qu’il avait mal au ventre.
La rencontre est une scène qui mérite d’être contée. Elle se
passait dans le bureau du ministre des Affaires étrangères
d’Haïti. Ce ministre était là, avec son homologue Leslie
Voltaire, ministre des Haïtiens de l’étranger, chargé du dossier
de la restitution. Assistaient à la réunion Ira Kurzban, avocat
du gouvernement de Port-au-Prince, Francis Saint-Hubert,
brillant économiste haïtien, ainsi qu’un conseiller martiniquais
de Leslie Voltaire. Ce conseiller était un ami de Césaire. La
commission Debray entra dans le bureau à la queue-leu-leu et
s’assit, à l’invitation du ministre, de l’autre côté de la
grande table où nous étions déjà installés.
Curieusement, deux « membres » de cette commission restaient
debout. Le ministre les invita à prendre place, eux aussi, mais
ils n’en firent rien. Examinant les lieux avec suspicion, ils
allèrent se poster devant les deux issues du bureau, la main sur
la poitrine. Tout devenait clair : ces deux messieurs en costume
cravate, comme les autres, étaient en fait des gendarmes
français en civil chargés de protéger les « blancs » contre les
« nègres », forcément dangereux, que nous étions (à l’exception
de Kurzban). La main sur le 357 magnum qu’ils dissimulaient sous
leur veste, les pandores avaient reçu l’ordre de tirer sur nous
—deux compatriotes, deux ministres haïtiens et un avocat
états-unien— au moindre geste qui leur paraîtrait suspect.
Cette scène doit paraître romancée. Elle s’est pourtant
déroulée telle que je la raconte et personne, à commencer par
Debray, n’oserait me démentir. J’y repense souvent. C’était pour
moi une bien cruelle humiliation que de voir des compatriotes se
comporter ainsi dans une petite démocratie qui ne demandait qu’à
entretenir des relations normales avec l’ancien pays
colonisateur et esclavagiste. Il était bien déchirant de se
sentir encore Français dans ces circonstances. Comme c’était
néanmoins le cas pour moi, des larmes de honte me montèrent aux
yeux, et j’avoue que je n’y repense pas sans émotion, plus de
six ans après. Je ne souhaite à personne d’avoir honte de son
pays comme j’ai eu honte du mien, dans ce bureau que les
ventilateurs n’arrivaient pas à rafraîchir, à 8 000 kilomètres
de Paris.
Imagine-t-on une commission nommée par le ministre des
Affaires étrangères de la République d’Haïti se rendant à Paris
pour une réunion dans le bureau du ministre des Affaires
étrangères français, avec deux gardes armés qui se posteraient
devant la porte du bureau de Bernard Kouchner, la main sur le
revolver ? Si la commission Debray était capable de se comporter
ainsi en public, peut on imaginer ce qui pouvait se passer à
l’abri des regards gênants ? Je m’efforçai de prendre de la
distance et de rechercher ce qu’il pouvait y avoir de cocasse
dans ces circonstances. D’un côté de la table, Ribbe, normalien
« noir » comme dirait Finkielkraut, agrégé de philosophie, de
l’autre côté de la table, Burkard, normalien « blanc », agrégé
des Lettres, et Debray, normalien « blanc » également agrégé de
philosophie. Les deux normaliens « blancs » avaient des
fonctions officielles. Le normalien « noir », lui, défendait une
petite démocratie et, au fond, l’honneur de la France. Car la
France, heureusement, celle de la Déclaration des droits de
l’homme, n’était pas du côté de la commission Debray, ce jour
là.
Debray prit la parole et demanda avec arrogance, en nous
désignant, Me Kurzban et moi, qui nous étions et ce que nous
faisions dans ce bureau. Le ministre lui répondit avec un
sourire que nous étions membres de la commission élargie chargée
d’examiner la restitution de la dette de la France et que nous
étions là en tant qu’experts. Il ajouta que M. Debray me
connaissait, sans doute. Debray aboya : « Du moment qu’il n’est
pas là pour raconter n’importe quoi ! » Véronique de Villepin,
qui se cachait sous son nom d’épouse, Albanel, était à côté de
Debray, avec l’air pincé d’une femme de colon qui serait obligé
d’accompagner son mari au marché aux esclaves et de supporter
les mauvaises odeurs. L’ambassadeur se tenait coi, avec l’air
aussi franc que celui d’un âne qui recule. Marcel Dorigny, le
bon communiste ami des noirs, faisait partie de la bande. Il
baissait les yeux quand son regard croisait le mien.
Sans répondre aux sottises du guérilléro bavard,
j’interpellai la sœur du ministre :
— Tiens, quelle surprise ! Je crois que nous nous
connaissons
— Oh, cela m’étonnerait ! répliqua la pimbêche avec mépris.
— Mais, si, faites travailler votre mémoire. Vous ne voyez pas ?
Véronique de Villepin commença à se troubler. Debray la
regardait avec inquiétude. Les deux gardes du corps ne
comprenaient plus rien : on leur avait dit qu’il y aurait des
nègres très dangereux, des « chimères » sur lesquels il ne
faudrait pas hésiter à faire feu et voici que l’un d’entre eux,
au lieu de tirer sa machette de dessous la table, s’exprimait
calmement, en bon français, avec des mots qu’ils n’auraient
jamais imaginés si bien prononcés dans la bouche d’un sauvage.
Après avoir laissé passer un instant, je lançai :
_ Vous êtes bien Véronique Galouzeau de Villepin ?
— Oui, pourquoi ? fit-elle en rougissant jusqu’aux oreilles.
La nouvelle Pauline Bonaparte était publiquement démasquée.
Les deux ministres étaient hilares.
— Je me souviens de vous, ajoutai-je, parce que nous
étions condisciples à Sciences po.
C’était vrai. J’avais fréquenté, en même temps que l’Ecole
normale, cette institution, (pour voir, car je n’avais que peu
de goût pour les compromis et la vie ennuyeuse qu’imposait,
selon moi, une carrière dans la haute administration). Je me
souvenais très bien de cette péronnelle qui préparait l’ENA, et
dont le frère, à l’époque, ne s’était évidemment pas encore fait
remarquer en devenant le « Fouché » de Chirac, l’homme du
« cabinet noir ».
— Quelle mémoire ! glapit-elle. Ou alors, vous avez pris
vos renseignements.
— Non, je n’ai pas l’habitude, comme vous sans doute, de
« prendre mes renseignements » sur les gens. Mais il y a
simplement quelque chose qui m’a marqué chez vous et que vingt
cinq années n’ont pas effacé.
— Ah oui, et quoi donc ?
— Votre amabilité et votre sourire.
Véronique de Villepin, qui ne s’attendait guère à cette
sortie de ma part, se retrancha dans un mutisme complet. Debray,
pour la sauver du ridicule, prit la parole d’une voix qui se
voulait menaçante :
— Je suis ici au nom du président de la République
française, éructa-t-il sous sa moustache. Je commence par
vous avertir d’une chose. Que ce soit bien clair : même si ce
président était mon ami Alain Krivine, vous n’auriez pas un sou
de la France, vous entendez ? Pas un sou ! Jamais ! Jamais !
Ce qui était étrange, c’était que la question de la
restitution de la somme extorquée aux Haïtiens par la France en
1825 avait été explicitement exclue de la mission de Régis
Debray. Le Quai d’Orsay l’avait bien précisé dans un communiqué.
On pouvait donc tout imaginer de la réalité de cette mission.
Debray venait de prouver, en tout cas, deux choses :
1) Il avait l’aval de Chirac.
2) C’était vrai qu’il parlait trop.
Les Haïtiens ne l’appelaient plus que « Le Konzé ». Konzé,
c’était le patronyme honni du compagnon du résistant Charlemagne
Péralte qui, pendant l’occupation états-unienne, avait vendu son
ami aux Yankees. Péralte avait été sommairement exécuté et cloué
sur une porte pour servir d’exemple. Tous les Konzé d’Haïti
avaient, depuis, changé de nom.
L’ultimatum de Debray à Aristide
Le coup d’État initial avait été prévu avant que les
cérémonies du Bicentenaire n’aient lieu, c’est à dire avant le
1er janvier 2004. Pour la France, qui redoutait par dessus tout
ce bicentenaire, c’était la meilleure solution. Régis Debray
voyait un par un les responsables des pays africains contrôlés
par la France, probablement pour les menacer s’ils participaient
au bicentenaire d’Haïti. Lorsqu’il m’avait reçu chez lui à
Paris, il ne s’en était pas caché. Il s’était même étonné de la
position inflexible de la ministre des Affaires étrangères
d’Afrique du Sud, favorable aux Haïtiens. « C’est étrange. Ce
que vous me dites me rappelle ce que m’a dit la ministre dans
son mauvais anglais » lançait-il avec mépris.
On se souvient que Régis Debray, lui, dès l’époque de son
équipée bolivienne, parlait très bien l‘anglais.
Alors que j’étais en transit le 11 décembre 2003 à l’aéroport
de Pointe-à-Pitre, pour prendre l’avion de Port-au-Prince, un
ami haïtien m’avait présenté le chef d’escale d’Air France à
Port-au-Prince. Ce chef d’escale ressemblait à tout sauf à un
chef d’escale. Il était accompagné d’une jeune femme, originaire
d’un ancien pays communiste, qu’il nous présenta comme sa
compagne et dont on pourrait dire sans médisance qu’elle n’avait
pas très bon genre. Le hâbleur se félicitait d’avoir obtenu la
naturalisation de la fille. Il ne nous dit pas comment, mais on
sentait qu’il en avait très envie. Mon ami faisait un simple
aller-retour et devait repartir de Port-au-Prince le 15
décembre. Le chef d’escale l’informa, très sûr de lui, qu’il n’y
aurait pas de vols ce jour-là. Je lui demandai de répéter. Il me
répéta en souriant, et d’un air entendu : « Non, le 15 décembre,
il n’y aura pas de vols à Port-au-Prince ! Aucun vol ! »
Effectivement, le 15 décembre fut assez mouvementé. Andy
Apaid, chef de l’« opposition » au président Aristide, organisa
des manifestations sporadiques où de pauvres hères, pour
quelques malheureux dollars, brûlaient trois pneus de voiture, à
la plus grande satisfaction des journalistes français qu’Eric
Bosc, de l’ambassade de France, appelait pour aller
photographier le « chaos » qui s’instaurait, jour après jour,
dans ce pays maudit gouverné par un « assassin », un
« trafiquant de drogue » un « psychopathe pervers ». Telles
étaient les épithètes dont la presse française gratifiait le
premier président démocratiquement élu d’Haïti. Un journaliste
se lâcha même au point d’écrire dans Le Figaro :
« L’échec d’Haïti démontre l’inaptitude des peuples noirs à se
gouverner eux-mêmes. » Personne ne releva. Je reçus une volée de
mails d’un écrivain haïtien vivant à Paris et qui m’avait
oublié, par mégarde, dans son listing. Ce nouveau Camille
Desmoulins exhortait les intellectuels haïtiens à descendre dans
la rue le jour même pour renverser le « tyran sanguinaire ».
L’ex dictateur Jean-Claude
Duvallier,
que Régis Debray voulait réinstaller au pouvoir en Haïti.
En même temps, Jean-Claude Duvalier, dans un luxueux hôtel
parisien, donnait une interview à la presse états-unienne pour
faire savoir qu’Aristide était le pire dictateur qu’Haïti ait
jamais connu. Oui, je n’invente rien, c’était le chef des
tontons macoutes qui disait cela. La journaliste états-unienne,
un peu gênée, évoqua (très discrètement) le passé. Là, Bébé Doc
répondit superbement : « Je ne dis pas que je n’ai pas commis
quelques erreurs… » Si Duvalier montait ainsi au créneau,
c’était bien entendu qu’il y avait été autorisé par ses hôtes,
c’est-à-dire par M. de Villepin dont je serais bien étonné qu’il
n’ait jamais rencontré l’ex-chef des « volontaires de la
sécurité nationale » qui se réclamait désormais de l’opposition
et lançait cet étrange appel depuis Paris. Certains esprits
malades soutenaient, au Quai d’Orsay, que le retour de Duvalier
était la meilleure solution. naturellement, ils disaient cela
spontanément, sans que Duvalier les y ait « incités » d’une
manière ou d’une autre...
Au même moment, le 15 décembre 2003 à 15 heures locales,
Régis Debray se présenta au palais national de Port-au-Prince
avec Véronique de Villepin-Albanel. Ils insistèrent pour être
reçus et firent savoir qu’ils avaient un message urgent pour le
président, de la part du gouvernement français. C’est le docteur
Maryse Narcisse, conseillère d’Aristide, qui les reçut tout
d’abord. Ils insistèrent avec beaucoup d’insolence pour voir
Jean-Bertrand Aristide. Elle en informa le président qui se
résolut finalement à les rencontrer, en présence de
Mme Narcisse. Debray et son amie demandèrent que la conseillère
sorte. Le président s’en étonna. Mais ils voulaient lui parler
sans témoins. Il céda. Là, on changea de ton.
On était très loin de ce « moment fraternité » sur lequel le
bon apôtre Debray est aujourd’hui intarissable lors des
conférences qu’il donne chez les francs-maçons pour mieux vendre
ses livres. Là, le style était plus direct. La dame patronnesse
de Sciences po se fit un plaisir de régurgiter les menaces de
son frère. L’ex guérilléro, l’œil injecté de sang, en rajouta.
Dehors le nègre ! La démission ou la vie ! C’est le maître blanc
qui te le dit : Dégage, et plus vite que ça ! Ôte toi de là
qu’on s’y mette ! Tel était à peu près le message de Paris. Le
message de Dominique de Villepin, l’homme qui nous expliquait
naguère que la France est une coquine dont le fantasme serait
que des vauriens de son genre la prennent de force, à la
hussarde. Joli programme !
Les émissaires dirent en substance au président Aristide, au
nom de la France, que s’il ne démissionnait pas immédiatement,
« on » allait l’assassiner. Ils ne pouvaient pas avoir une
information pareille sans connaître les assassins. « Avez-vous
donc une vocation de martyr ? » hurlait la pieuse épouse du
général Albanel. Si Régis Debray a admis s’être rendu au Palais
national ce jour là et avoir rencontré le président, il a
toujours nié avoir été accompagné de Véronique de Villepin. Mais
Debray n’est plus à un mensonge près. Ce mensonge-là,
particulièrement grossier, ne fait que révéler que le guérilléro
bavard souhaitait protéger Véronique de Villepin. On peut se
demander pourquoi. Malheureusement pour Debray, il y a des
témoins. Les employés du Palais national qui les virent arriver
tous deux, le docteur Narcisse qui m’a raconté la scène, le
président Aristide lui-même qui me l’a confirmée dans une
interview filmée en janvier 2005 [7].
Mais il y a mieux. L’ambassadeur de France, Thierry Burkard,
pour se couvrir, rédigea un télégramme diplomatique faisant état
de cette visite et des menaces proférées par Véronique de
Villepin et Debray. Il le fit même assez largement circuler pour
qu’un journaliste du Monde, M. Paolo Paranagua, y fasse
clairement allusion dans un article qui fit trembler Villepin.
Au printemps de 2004, après le coup d’Etat, alors que le chef
d’escale d’Air France trop bavard rentrait chez lui, à
Port-au-Prince, deux hommes à moto s’approchèrent et lui
logèrent une balle en pleine tête. Personne ne s’est jamais
étonné de cet assassinat, aussitôt mis sur le compte de
l’« insécurité » ambiante.
Le bicentenaire d’Haïti et le coup
d’Etat
La France et les USA n’avaient pas ménagé leurs efforts pour
que le bicentenaire de la création de l’Etat d’Haïti ne soit pas
commémoré, le 1er janvier 2004. Il fallait à tout prix séparer
Haïti des Africains, de peur que la petite république caraïbe ne
devienne un jour l’axe de la renaissance africaine. Régis
Debray, Dominique de Villepin et Édouard Glissant, profitant de
son grand âge, étaient allés faire pression sur Aimé Césaire
pour qu’il refuse d’assister à la cérémonie, et qu’il donne, de
ce fait, sa bénédiction au coup d’État qui était programmé. On
lui avait dit qu’Aristide était un dictateur et il le crut.
L’Afrique du Sud ne se laissa pas influencer par ces mensonges.
Un porte-hélicoptères apparut dans la baie de Port-au-Prince une
dizaine de jours avant les célébrations. Ce n’est pas sans
émotion que j’ai vu arriver les gros hélicoptères envoyés par
Thabo Mbeki et qui ronronnaient au-dessus de la ville comme pour
montrer que l’Afrique était venue au secours des descendants de
ceux qui avaient été arrachés à leur terre par de monstrueux
prédateurs. C’était un jour de deuil pour Régis Debray et ses
amis. Les Sud-Africains avaient expédié une équipe pour
organiser l’intendance de la cérémonie. Ce sont eux qui
établirent les laisser-passer et organisèrent le système de
captation du spectacle qui fut monté à la hâte. J’écrivis un
petit texte de théâtre pour être joué ce soir là.
Le 1er janvier 2004, les cérémonies commencèrent le matin, en
présence de Thabo Mbeki, du premier ministre de la Jamaïque, de
Maxine Waters, députée de Californie représentant le Black
Caucus, de Danny Glover, de Randall Robinson, et surtout de plus
de cent mille Haïtiens qui agitaient des drapeaux en chantant
l’hymne national. Ils étaient si nombreux qu’ils s’étaient
juchés sur les grilles entourant le jardin du palais national.
Elles plièrent soudain sous le poids de la foule ainsi
agglutinée et les plus humbles purent se mêler aux invités
officiels. Une courte cérémonie devait avoir lieu aux Gonaïves.
Quant on sait que l’organisateur en était Gabriel Frédéric,
celui-là même qui avait remis à l’ambassadeur Burkard, le 9
novembre, copie du dossier juridique sur la restitution de la
dette de la France, on se doute qu’elle fut sabotée et avec
l’aide de qui. Il y eut quelques tirs d’armes automatiques en
direction du président Aristide et de Thabo Mbeki qui,
heureusement, ne furent pas atteints. Le soir, un spectacle fut
présenté au Palais national. Les violons de l’orchestre amateur
Sainte-Trinité et le ballet national de Cuba furent mis à
contribution. Le texte que j’avais écrit, Le rêve de Mandela,
fut joué par Danny Glover et Jean-Michel Martial. J’étais à peu
près le seul Français parmi les invités d’honneur en ce jour
historique où l’ambassadeur Burkard grimaçait plus encore que de
coutume. Christiane Taubira était très attendue, mais elle ne
vint pas. Elle expliquera sans doute un jour pourquoi. Aucun de
ceux qui, en France, ont fait depuis de l’esclavage leurs fonds
de commerce n’étaient là. Aucun journaliste de la presse
occidentale ne rendit compte de l’événement qui, officiellement,
n’a jamais existé ; pas plus que la bataille de Vertières qui
entraîna la capitulation française , le 18 novembre 1803.
Je quittai Port-au-Prince quelques jours après la cérémonie,
non sans être allé saluer le président. Il pensait que ces
événements seraient niés un jour et qu’il faudrait témoigner de
ce qui s’était réellement passé. Après mon départ, Burkard,
Villepin frère et soeur, Debray et tous les autres continuèrent
leur travail de sape, en liaison constante avec les
Etats-uniens. De prétendus rebelles, commandés par un assassin
notoire, entrèrent dans le pays pour faire diversion dans le
nord. Une délégation fut envoyée à Paris par le président pour
rencontrer Villepin et demander l’aide de la France contre ces
mercenaires afin de sauver la démocratie haïtienne. Elle était
composée du ministre des Affaires étrangères, de la ministre de
la Culture et du directeur de cabinet du président Aristide.
J’eus l’occasion de les voir tous trois avant leur rencontre
avec Villepin, qui eut lieu dans l’après-midi du vendredi 27
février 2004. Villepin les reçut entre deux portes et leur fit
comprendre que le sort du président Aristide était scellé. Il
avoua en avoir eu confirmation de son homologue Colin Powell en
personne. « Il vaudrait mieux qu’il démissionne. C’est toujours
mieux que d’être obligé de monter dans un hélicoptère, la nuit,
au fond d’un jardin. » Villepin était donc parfaitement informé,
au moins dès le 27 février, de l’enlèvement, en fait activement
préparé par la France et les USA depuis plusieurs mois. Trois
témoins peuvent l’attester.
Dans la nuit du 28 au 29 février 2004, après une dernière
réunion entre l’ambassadeur des USA, Foley, et son homologue
français, Burkard, des troupes US (et probablement françaises
aussi) pénétrèrent secrètement en Haïti. Au milieu de la nuit,
Luis Moreno, chef de la CIA à Port-au-Prince, se présenta au
domicile privé du président avec une vingtaine d’hommes des
forces spéciales [8].
Plusieurs dizaines de soldats, équipés d’armes à visée laser et
de systèmes de vision de nuit, investirent la propriété. Les
Etats-uniens obligèrent le président Aristide et sa femme à
monter dans une voiture qui se dirigea vers l’aéroport. Ils
n’avaient pas le choix, leurs deux filles se trouvant chez leurs
grands-parents, aux USA, et servant d’otages. Un grand avion
blanc attendait sur le tarmac. Il ne portait aucune marque
d’immatriculation, sauf un drapeau US peint sur la queue. Moreno
obligea le couple à monter. L’avion décolla immédiatement pour
se poser à Antigua. Aristide restait très digne. Sa femme
pleurait en silence. Ils n’avaient pas de vêtements pour se
changer et se doutaient que leur maison était déjà livrée au
pillage. Peut-être allaient-ils mourir sans revoir leurs
enfants. L’avion resta cinq heures stationné à Antigua. On
refusa aux passagers de dire où ils se trouvaient ni ce qu’on
allait faire d’eux. L’avion redécolla et traversa l’Atlantique.
Dominique de Villepin avait négocié avec Bongo pour que ce
dernier serve d’intermédiaire auprès de François Bozizé, lequel
venait de faire, avec l’aide de la France, un coup d’Etat en
Centrafrique. Les Etats-uniens avaient reçu l’assurance
qu’Aristide serait mis en détention dans une « prison militaire
française ». Cette prison militaire française était en fait le
palais du « président » Bozizé, effectivement contrôlé par un
important détachement français. L’« ami » qui m’avait fait
rencontrer Mme Rossillon était aussi (le monde étant petit) un
ami de Bozizé. Apprenant par la presse l’arrivée d’Aristide en
Centrafrique, je suppliai cet « ami » de me mettre en contact
avec le dictateur de Bangui. Je n’obtins qu’un numéro de
télécopie qui me permit de faxer une lettre pour que Bozizé
m’autorise à joindre Aristide.
Après plusieurs jours d’efforts, je parvins à parler au
lieutenant François, qui était le geôlier du président et finis
par le convaincre de m’autoriser à lui parler. Aristide ne me
dit que ces mots : « C’est le Fort de Joux numéro 2 ! » C’était
assez clair, puisque le Fort de Joux était le lieu où les
Français, après l’avoir enlevé, avaient mis en détention et
exécuté Toussaint Louverture (officiellement mort de froid et de
tristesse). Cette formule était un appel au secours. Je lui
demandai s’il pouvait parler aux journalistes. Cela lui était
impossible. Je donnai au président un rendez-vous téléphonique à
17 heures. Je me trouvais cette fois dans les studios de la
radio RTL, dont il convient de saluer l’indépendance, et cette
conversation fut enregistrée. Le président Aristide déclarait
avoir été enlevé avec la complicité de Dominique de Villepin, de
sa sœur, Véronique de Villepin-Albanel, de Régis Debray et de
l’ambassadeur Thierry Burlkard. La conversation que j’avais eue
avec le président Aristide fut diffusée le lendemain matin, sans
aucune censure, au journal de sept heures. Le soir, je
récidivais, mais sur TF1 cette fois, grâce à l’amicale
complicité de Patrick Poivre d’Arvor, que je dois lui aussi
remercier pour son courage, puisqu’il réussit, non sans mal, on
peut l’imaginer, à imposer le sujet au journal de 20 heures.
Une troisième rencontre fut organisée par mon entremise, chez
Marc-Olivier Fogiel cette fois. Fogiel avait tenu à faire
lui-même l’interview. Elle serait diffusée sur le plateau de
France 3 en ma présence. Je fis confirmer ces dispositions par
écrit. J’établis le contact et Fogiel fit son interview. Ses
collaborateurs avaient préparé des questions du genre :
« M. Aristide, vous êtes un dictateur, un trafiquant de drogue
et un assassin, et vous avez pris la fuite pour échapper à la
fureur du peuple que vous avez trahi, n’est-ce pas ? » Aristide
répondit à Fogiel d’une manière si convaincante et avec un tel
calme qu’il devenait évident qu’il avait été calomnié et enlevé.
L’interview du président Aristide et ma présence étaient
annoncées dans toute la presse pour l’émission en direct du
dimanche soir. On avait prévu un taxi pour que je m’y rende. Une
heure avant le rendez-vous fixé, le journaliste qui avait monté
le sujet m’appela pour me dire que la diffusion et l’entretien
exclusif avec le président, de même que ma présence sur le
plateau, étaient « déprogrammés ». C’était un stagiaire qui
avait encore des illusions. Il était écoeuré par ce qu’il
appelait lui-même une censure, ayant travaillé tout le week-end.
Je ne reçus jamais d’explication de Fogiel, mais j’imagine que
Villepin s’était opposé à cette diffusion en intervenant
directement auprès de Marc Tessier, à l’époque président de
France Télévisions.
Néanmoins, en partie grâce aux interviews diffusées sur RTL
et TF1, et qui firent beaucoup de bruit, Bozizé fut obligé de
laisser Aristide repartir lorsqu’un avion affrété par les amis
démocrates du président (et où se trouvaient notamment Maxine
Waters et Randall Robinson) se rendit, quelques jours plus tard,
à Bangui. Au grand dam des Etats-uniens et des Français,
Aristide put repartir en Jamaïque et y retrouver ses deux
filles. Je devais apprendre plus tard qu’il avait été prévu que
le président, comme je le pressentais, et comme il le
pressentait sûrement lui-même, trouve la mort dans sa prison de
Bangui. Il m’est impossible d’affirmer que Villepin était
impliqué dans la préparation de cet assassinat, mais, dans la
mesure où j’ai pu avoir la confirmation et la preuve irréfutable
qu’il était bel et bien programmé, j’imagine qu’il n’était pas
difficile au ministre des Affaires étrangères d’être au moins
informé de ce qui allait se passer.
Plusieurs semaines plus tard, je reçus un appel téléphonique
de Jamaïque. C’était Aristide. Il me dit qu’un « grand oiseau »
viendrait le prendre le soir même et qu’il allait retourner dans
le pays originel sous la protection de l’homme que j’avais
rencontré pour le bicentenaire. Cela voulait dire que Thabo
Mbeki lui envoyait un avion à destination de Prétoria [9].
A la faveur de ces évènements, Aristide et moi nous liâmes
d’amitié. Depuis six ans, il vit à Prétoria, sous la protection
des Etats africains et de la Caricom (c’est à dire de tous les
états nègres de la planète, ceux qu’on ne désigne jamais comme
faisant partie de la « communauté internationale ») avec, comme
seul revenu, le salaire qui lui est versé pour les cours qu’il
donne à l’université d’Afrique du sud. Je n’ai pu m’offrir
qu’une fois le voyage pour aller le voir. J’en ai profité pour
l’interviewer. Il ne s’est jamais écoulé un mois sans que nous
nous téléphonions. Notre dernier entretien, c’était il y a trois
jours. Aristide a tout enduré, ne s’est jamais plaint, n’a
jamais plié.
Une fois le président Aristide renversé, Villepin et Bush,
violant impunément la constitution du pays, mirent en place une
nouvelle dictature sous l’égide d’un Etats-unien, Gérard
Latortue, une crapule nommée par les anciens pays esclavagistes
« Premier ministre de transition ». La première mesure de
Latortue fut d’annuler la demande faite à la France de
restitution des 21 milliards de dollars extorqués à partir de
1825. Deux ans plus tard, les partisans d’Aristide élisaient
René Préval à la présidence, dans l’espoir qu’il permette à
Aristide de rentrer dans son pays. Le jour de cette élection,
j’étais dans le bureau du ministre français du Tourisme, Léon
Bertrand. Il fut très étonné que je lui donne le nom nu
président qui allait être élu, car ce n’était pas le candidat de
la France. Aujourd’hui, Léon Bertrand, ami intime de Chirac est
en prison pour corruption. Ainsi va le monde.
René Préval, depuis quatre ans, n’a pas pu, n’a pas voulu ou
n’a pas osé faire rentrer son ex-ami. Les Haïtiens n’ont jamais
cessé de manifester pour le retour de leur président,
honteusement enlevé par les Etats-Unis et la France. Un jour
peut être, qui n’est pas forcément éloigné, un nouvel « oiseau »
venu d’Afrique reconduira dans son pays celui qui n’aurait
jamais du le quitter. Dans cet avion, le président Aristide sera
accompagné de quelques amis états-unien : Danny Glover, Randall
Robinson, Maxine Waters. Il y aura sûrement un Français aussi
dans cet avion. Il se pourrait bien que ce soit moi.
Régis Debray a écrit un livre sur la « fraternité ». Il
s’apprête certainement à faire campagne pour l’élection de
Villepin en 2012 avec l’espoir d’être nommé ministre de la
Culture. Quand il marche dans la rue, il n’y a plus de gendarmes
pour l’escorter. Je ne lui ai jamais administré la paire de
gifles qu’il mériterait certainement de recevoir. Je préfère le
laisser avec sa conscience et le souvenir des milliers de morts,
des dizaines de milliers peut-être, qui suivirent le coup d’État
donc il fut l’artisan. Sous le régime de Latortue, on enfermait
les partisans d’Aristide dans des containers qu’on aller jeter
ensuite dans la mer. Véronique de Villepin-Albanel continue
d’animer l’aumônerie de Sciences po. Elle ne s’est jamais
exprimée sur ces événements, mais comme c’est, paraît-il, une
bonne chrétienne, je suppose qu’elle me pardonnera d’avoir dit
la vérité et qu’elle priera pour le salut de mon âme. Villepin,
devenu ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre, envoya
l’année même du bicentenaire, un corps expéditionnaire de 1 000
soldats français. On n’avait pas vu de soldats français en Haïti
depuis la capitulation de 1803. Les soldats de Villepin firent
sécher leurs slips, non pas sur la ligne Siegfried, mais sur les
grilles du palais présidentiel. Ils baptisèrent l’opération
« Rochambeau », du nom du général qui se servit de chiens
dressés pour dévorer les nègres et qui entreprit l’extermination
de tous les Haïtiens de plus de douze ans, en les faisant gazer
au soufre dans les cales des bateaux. Le jour de leur départ,
Paris Match publia l’interview d’une Haïtienne prétendant
qu’elle avait assisté à une « messe noire » où le président
Aristide avait « probablement » sacrifié un nouveau né en le
coupant en morceaux. La seule accusation qui n’ait jamais été
portée contre le président d’Haïti, c’est la pédophilie. Je
m’étonne qu’ils n’y aient pas pensé. Burkard a pris sa retraite
avec le traitement d’ambassadeur. Il est retourné chez lui, en
Alsace, là d’où il était venu, jeune homme, certainement avec
des rêves plein la tête. C’est le temps qui l’a puni. Il a l’air
d’un vieillard. Il se pique à présent d’écrire. Des romans
policiers régionalistes. Il est venu me voir au stand au salon
du livre de Paris en 2009, un peu penaud, comme pour faire la
paix. J’ai brandi le livre que je signais, Le nègre vous
emmerde [10].
Il a fait demi-tour. Quant à Villepin, il m’a fait appeler par
son secrétariat, en septembre 2005, alors qu’il était Premier
ministre, pour me nommer membre de la Commission nationale
consultative des droits de l’homme (CNCDH) du fait de mon
engagement pour les droits de l’homme. Comme j’étais notoirement
l’ami de quelqu’un qu’il a accusé de violer ces mêmes droits de
l’homme, cette nomination était bien étrange. Pour exprimer ma
gratitude, j’ai publié, deux mois plus tard, un livre sur
Haïti : Le crime de Napoléon [11].
Je n’ai pas été renommé à la CNCDH au moment de son
renouvellement. Au fait, l’aéroport de Cayenne s’appelle
Rochambeau. Je m’étonne que Christiane Taubira, députée de
la Guyane, n’ait jamais demandé qu’on le débaptise.
Un livre de Randall Robinson, relatant dans le détail tous
ces événements, est sous presse pour être publié le 18 février
2009 sous le titre Haïti, l’insupportable souffrance [12].
J’aurai eu l’honneur de le publier et de le préfacer. Telle sera
ma modeste contribution à la reconstruction d’Haïti. Je n’ai
écrit que la vérité. L’histoire jugera
Claude Ribbe,
Écrivain et philosophe. Dernier ouvrage
paru :
Le diable noir : Biographie du général Alexandre Dumas
(1762-1806), père de l’écrivain. (Alphée 2009).
Intertitres et notes de la rédaction.
[1]
Régis Debray est le fils de Maître Georges Debray et de Janine
Alexandre-Debray. Celle-ci fut vice-présidente du Conseil
municipal de Paris (1947-67) et sénatrice de Paris (1976-77).
[2]
No disparen— soy el Che, par Arnaldo Saucedo Parada.
1980.
[3]
Régis Debray avait été exclu des Jeunesses communistes pour son
appartenance supposée aux services secrets français, indique
Le Monde du 1er mars 1968. ll se rend à Cuba au titre de
coopération, puis aurait rejoint la Bolivie à la demande de
l’éditeur François Maspéro pour réaliser un reportage sur
Ernesto Che Guevara. Simultanément, le président De Gaulle nomme
un ami des Debray, son fidèle garde du corps Dominique
Ponchardier (le célèbre "Gorille"), ambassadeur en Bolivie.
Après avoir établi le contact avec Che Guevara, Debray souhaite
retourner en France, mais le Che le lui interdit afin de
conserver le secret de sa présence en Bolivie. En définitive
Debray est arrêté par les militaire boliviens et la CIA, le 17
mars 1967. Un mois plus tard, De Gaulle écrit au président
Barrientos pour que sa vie soit épargnée. Des personnalités de
gauche et de droite se mobilisent en France et aux Etats-Unis
pour appeler à sa libération. Alain Geismar et Jean-Paul Sartre
créent un Comité Debray. Les Forces spéciales boliviennes et la
CIA cernent le campement de Che Guevara le 8 octobre 1967, le
capturent et le tuent. Régis Debray est amnistié par le nouveau
président Juan José Torres et libéré la veille de Noël 1970.
[4]
L’ordonnance de Charles X qui contraignit les Haitiens à payer
leur liberté, Réseau Voltaire.
[5]
L’Expédition, par Claude Ribbe (Le Rocher, 2003).
[6]
« La
CIA déstabilise Haïti », Réseau Voltaire, 14 janvier
2004.
[7]
« Jean-Bertrand
Aristide, un an après », par Claude Ribbe, Réseau
Voltaire, 22 février 2005.
[8]
« Coup
d’État en Haïti », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire,
1er mars 2004.
[9]
« Paris
relâche le président haïtien », par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire, 16 mars 2004.
[10]
Le nègre vous emmerde, par Claude Ribbe (Buchet-Chastel,
2008).
[11]
Le Crime de Napoléon, par Claude Ribbe (Privé, 2006).
[12]
Haïti, l’insupportable souffrance, par Randall Robinson
(Editions Alphé/Jean-Paul Bertrand, 2010).
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