Algérie
Ambiguïté de
l'éducation et de la santé pour les
colonisés (5)
Ségrégation et générosité
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Jeudi 31 mai 2012
«Une nation
pardonne toujours les préjudices
matériels qu'on lui fait subir, mais non
une atteinte portée à son honneur,
surtout lorsqu'on emploie la manière
d'un prédicateur qui veut avoir raison à
tout prix».
M.Weber (Le Savant et le
Politique)
Dans cet aspect de la colonisation et
après avoir décrit comment le pouvoir
colonial a tenté par tous les moyens de
s'attaquer à la religion des vaincus par
un prosélytisme enragé, notamment sous
la période du cardinal Lavigerie, dans
cette contribution nous allons décrire
en honnête courtier l'apport positif de
la colonisation. Nous allons de ce fait,
rapporter l'état de l'Algérie avant
l'invasion dans le domaine de
l'éducation Ce devoir de mémoire
permettra de rectifier toutes les
erreurs délibérées des historiens
occidentaux qui ont, à de rares
exceptions, milité, avec un zèle de
bénédictin pour «l'utopie de la terre
vierge «et le «mythe du bon sauvage
«quand il s'est agi de relater la
créativité et l'histoire scientifique et
culturelle de l'Algérie.
Sans renier l'apport à titre personnel,
de certains instituteurs de l'Ecole
républicaine, bienveillants, compétents
et qui font l'objet d'une rare
abnégation et pour certains, d'un amour
tout chrétien, au point d'être pour nous
des maîtres et à qui nous devons
reconnaissance et respect, il faut bien
convenir, par contre, que le pouvoir
colonial dans son essence était raciste.
Ses relais étaient surtout les colons
qui, à des degrés divers, ont traité les
indigènes d'une façon inhumaine. Ce
mythe de la table rase est d'ailleurs un
thème récurrent; n'est-ce pas en effet
un «Orientaliste «tel que Guernier qui
proclamait haut et fort: «A notre
arrivée, en Algérie, rien n'existait sur
le plan intellectuel, si ce n'est que
quelques écoles coraniques «. (1)
En écho, un membre de la Société
d'histoire naturelle et de la Société
Géologique en France: témoigne :
«...Tous les Musulmans d'Alger sont plus
instruits qu'en aucune partie de la
Barbarie. Il y avait 100 écoles
publiques et particulières dans Alger
avant notre entrée.»(2)Les historiens
officiels attestent que dès les premiers
mois de la conquête, l'autorité
coloniale avait recherché les moyens de
répandre les bienfaits de l'instruction
sur les «barbares».Quelques années plus
tard, une meilleure connaissance du pays
les amenait, comme le dit Perville, à
réviser leur jugement; en effet,
plusieurs enquêtes sur le terrain ont
montré que le peuple algérien était
instruit dans la même proportion au
moins que celle du peuple français.» (3)
Ce n'était donc pas des barbares. On se
souvient par contre, que le maréchal
Randon,-conseillés par les archéologues
« organiques »- avait l'intention de
démonter l'arc de Triomphe de Djemila
pour le transporter à Paris rejoindre
l'obélisque. L’opération ne se réalisera
pas pour des questions d’intendance.
L'Algérie
et ses hommes de lettres pendant près de
deux millénaires
Malgré le mythe de la tabula rasa, la
table rase, il existait une activité
artistique, scientifique et culturelle
dans le pays depuis plus de deux mille
ans! Les premières manifestations d'une
culture «algérienne» sont témoignées par
les fresques du Tassili et des monts des
Ouled Naïl. Bien plus tard, il y a trois
mille ans, les royaumes berbères qui ont
émergé de la préhistoire, utilisaient
déjà l'alphabet berbère dans leurs
relations avec les Phéniciens. Ainsi,
s'agissant de l'apport des écrivains
berbères, bien avant l'ère chrétienne et
sans être exhaustif, citons l'empereur
Hiempsal (109-60), Juba II
(25avant-23apr.J.C.) à la fois roi et
savant, il écrivit plusieurs livres et
seuls sept nous sont parvenus, le plus
célèbre est Lybica. le poète Terence
(190-159): «Nous sommes humains et rien
de ce qui est humain ne nous est
étranger.»
Une université existait, déjà, à Madaure
(Mdaourouch), le plus célèbre auteur
berbère y fit ses études. Il s'agit de
Apulée de Madaure (125-180) connu,
notamment pour «l'Ane d'or», première
pièce de théâtre de l'humanité. Enfin,
on ne peut oublier saint Augustin, le
père de l'Eglise, connu pour ses
nombreux ouvrages. Il mourut dans sa
ville, Hippone, assiégée par les
Wisigoths en 432. Pour nous rendre
compte de la culture au Maghreb au Moyen
Age, écoutons Mostafa Lacheraf: «La
bibliothèque royale de France possédait
9 à 10 volumes au XIVe siècle... A cette
époque, les bibliothèques royales du
Maghreb et du Proche-Orient contenaient
non pas des centaines de volumes mais
des dizaines de milliers. Les
bibliothèques des universités où se
forma, se documenta et enseigna Ibn
Khaldoun, à Tunis, Tlemcen, Bédjaïa, Fès
et Le Caire ne le cédaient en rien quant
à l'importance numérique de leurs
manuscrits.» Quand Ibn Khaldoun le père
de la sociologie, écrivit à Tihert (Thakdemt)
la Muquadima, il compulsa plusieurs
centaines de références en littérature,
droit, sciences. Jean-Léon l'Africain
nous rapporte que Kheir-eddine acheta en
une fois 3000 manuscrits qu'il fit venir
de Jativa en Espagne, en les payant sur
sa propre fortune pour ériger l'institut
Constantine.Enfin et malgré l'état de
guerre, l'éducation était la
préoccupation de l'Emir Abdelkader.
Aussi bien dans les villes que dans les
campagnes, furent créées des écoles où
l'enseignement était gratuit.(4)
L'époque
du sabre et du goupillon de l'armée
d'Afrique et des Lavigerie
Le premier soin des Français lorsqu'ils
eurent pris possession d'Alger, fut,
nous dit A. Devoulx: «de tailler un peu
de place aux vivants, au détriment des
morts.» «Dans les premiers moments de
l'occupation française, les questions
archéologiques furent l'objet d'une
indifférence déplorable. Une quantité
considérable de monuments précieux des
époques romaines, arabes et turques,
qu'il eut été facile de sauver, ont
disparu à tout jamais, mutilés ou
détruits par la main des hommes, après
avoir résisté aux injures du temps. Cet
accaparement se fit sans discernement,
Je dois cependant dire que le travail de
transformation ne fut pas accompli avec
tout le respect auquel les morts avaient
droit, et ressemble un peu trop à une
profanation ". Et il ajoute ": Pendant
plusieurs années, on put voir dispersés
çà et là, des amas d'ossements, tirés
brusquement de leurs tombes et jetés au
vent, avec une certaine brutalité. Au
point de vue historique, une partie des
Annales d'Alger était là gravée sur le
marbre ou sur l'ardoise, et ces pages
ont été livrées à la destruction et à la
dilapidation. Il y avait en effet une
abondante moisson de documents
épigraphiques à faire au profit de la
chronologie des pachas et des principaux
fonctionnaires de la Régence. L'histoire
doit regretter l'anéantissement complet,
d'un cimetière réservé aux pachas et que
cite l'historien Diego de Haëdo qui
écrivit son ouvrage sur la ville d'Alger
vers la fin du XVIe siècle».»(5)
La froide barbarie n'était donc pas du
côté algérien si on en juge par ces
quelques phrases relatives à l'oeuvre
pacificatrice de l'armée française:
«J'ai entendu raconter par un officier
des plus brillants de l'armée d'Afrique,
qu'il avait souvent déjeuné avec son
général,sans songer qu'on avait jeté
dans un coin de sa tente plusieurs sacs
remplis de têtes coupées.On s'habitue à
tout, ajoutait-il et nous n'y pensions
plus.»(6)
Pendant les trente premières années de
la colonisation, le commandant du corps
expéditionnaire avait pour principal
objectif,comme le dit si bien le duc de
Rovigo, de remplacer peu à peu «l'arabe
par le français». Après diverses
politiques coloniales toutes aussi
catastrophiques les unes que les autres,
le passage à Alger de Napoléon III en
mai 1865, a un moment donné l'illusion
aux Algériens d'une revalorisation et
d'une reconnaissance de leur statut.
Malgré ces dispositions favorables aux
colons, le «Lobby» colon à Alger, relayé
efficacement à Paris, par l'opposition à
l'Empereur, qui parlait de «Royaume
arabe» criait au scandale!!. Cette
politique de bras de fer des colons
bloqua toute velléité de développement
de l'instruction. Les communes
françaises d'Algérie se refusèrent dans
leur ensemble à cette «coûteuse et
dangereuse expérience»!. D'après l'état
d'esprit de l'époque, «Si l'instruction
se généralisait, le cri unanime serait
l'Algérie aux Arabes»!.C'est ainsi qu'en
1890, seuls quelque 10.000 enfants
musulmans étaient scolarisés, sur
500.000 enfants en âge d'être
scolarisés, soit à peine 2%!!. et ceci
grâce aux efforts du ministre de
l'Education de l'époque: Jules Ferry.
L'acharnement fut à son comble, quand
les écoles pour enfants indigènes se
transformèrent en écoles auxiliaires
dites «écoles gourbis» confiées
évidemment à des moniteurs indigènes. Le
nombre des écoliers était, l'année du
centenaire de la colonisation (1930), de
60.644 enfants sur un total de 900.000,
soit un peu moins de 7%! Cette
proportion atteint cependant 302.000
élèves en 1954, à la veille du
déclenchement de la révolution soit
moins de 15% des enfants scolarisables
(Ch. Robert Ageron: Histoire de
l'Algérie contemporaine Ed. P.U.F. Que
sais-je? 1966).
L'écart est encore plus important,
s'agissant du secondaire; il n'y avait à
cette époque que 6260 élèves dans le
secondaire et 589 dans le supérieur!
Principalement des enfants de colons.
La Société algérienne appauvrie et
laminée par les guerres qu'elle a eu à
supporter, les amendes, les
épidémies,les exactions de tout ordre,
est sortie profondément fragilisée par
la destruction comme le dit A.Djeghloul,
de ses cadres de sociabilité La
conception de la culture et de
l'éducation pour les Indigènes s'inspire
dans une certaine mesure de celle prônée
par les conquérants qui ont mis en
oeuvre la politique du talon de fer. Aux
tâtonnements du début de la colonisation
marquée par la destruction des anciennes
structures de l'éducation pour
Abdelkader Djeghloul,ce fut un véritable
appareil contre la langue arabe et
l'Islam..(7)
Cependant, cette entreprise
d'enseignement dirigé recelait en elle
les germes de la sédition, scolariser,
c'est renforcer la colonisation, mais
dans le même temps cette dernière est
mise en péril par une intelligentsia
naissante et revendicatrice.Comme
l'écrit d'ailleurs le gouverneur Tirman:
«L'hostilité de l'Indigène se mesure à
son degré d'instruction.»
L'apport
humaniste des instituteurs et des
médecins
Nous ne pouvons, dans cette tentative de
rapporter honnêtement les faits, passer
sous silence l'apport considérable de
beaucoup de maîtres de l'école voire de
collèges et de lycées qui ont bravé les
interdits et sont venus à la rencontre
des Algériens d'une façon désintéressée.
Paulette Dechavanne écrit à ce propos :
«L'Ecole normale d'Alger-Bouzaréah fut
en 1865, bientôt suivie d'autres. Ces
écoles formèrent des générations de
jeunes maîtres et maîtresses qui, en
sortant, se sentaient investis «d'une
mission sacrée «. (...). Je veux
évoquer, poursuit-elle, ici le cas d'un
Algérien qui finit à un haut poste de
l'administration du Gouvernement
général. Elevé par son oncle,
puisqu'orphelin de père, il gardait les
moutons dans les champs. Son oncle
pensait que cela lui était plus utile
que d'aller à l'école. Or, l'instituteur
du village avait perçu les qualités et
l'intelligence de cet enfant. En
cachette, il lui apprit à lire et à
écrire. (...) L'enfant passa l'examen
d'entrée en sixième où il fut brillant à
tel point qu'il sauta la cinquième, puis
la troisième. Il se retrouva à l'âge
normal au baccalauréat qu'il passa avec
mention. Aidé par des bourses, il
prépara l'entrée à Polytechnique où il
fut reçu major de sa promotion, comme il
en sortit; tout cela grâce, au départ, à
cet instituteur anonyme. Rendons hommage
aux Européens, comme aux Indigènes qui
se sont attelés à cette noble tâche.
Nous avons tous en mémoire des noms, des
visages de professeurs qui nous ont
marqués. Beaucoup étaient excellents,
remarquables même. Ils nous ont transmis
des méthodes de travail, une ouverture
d'esprit, une exigence envers nous-mêmes
qui nous ont marqués dans nos
différentes professions et dans la
conduite de notre vie. Le niveau des
études secondaires en Algérie était
élevé: le Bac d'Alger était considéré
comme l'un des plus difficiles de
France.(8)
Dans cet ordre d'idées, bien que l'école
n'ait été permise qu'à dose
homéopathique, nous devons être
reconnaissants aux instituteurs qui,
dans leur grande majorité, nous ont
inculqué des valeurs en termes de
rigueur, concision et goût du beau et du
travail bien fait. Le fait que j'écrive
ce livre dans la langue de Voltaire,
quelque part, je dois cela à mes maîtres
de français, à l'école et au lycée
Albertini. Ces maîtres nous ont appris
non pas «le bon usage, mais plutôt le
bel usage du français».
Il n'est pas question, de renier aussi
le travail remarquable entrepris par
l'Institut Pasteur d'Algérie. Ainsi,
Edmond Sergent, entouré de
collaborateurs de valeur, dirigea
l'Institut Pasteur d'Algérie pendant
plus de 60 ans, de 1900 à 1963. Élève
d'Emile Roux, il fut formé à l'école
pasteurienne. Le paludisme fut largement
étudié. Sergent définit le concept de
prémunition et l'étendit à d'autres
affections. Des campagnes efficaces de
lutte contre la tuberculose basées sur
la vaccination par le BCG furent
largement menées. (9)
Je ne peux m'empêcher de citer le cas
merveilleux d'un médecin français maire
d'un petit village du fin fond des
Aurès. Dans les années quarante le
typhus fit des ravages abominables. Cela
n'a pas empêché le maire, médecin
d'aller secourir dans des conditions
très difficiles les Algériens. Il en
mourut. Une stèle lui fit dédiée. A
l'indépendance, elle fut malheureusement
comme tout ce qui rappelait le pouvoir
colonial enlevée et remisée. Par chance
extraordinaire, une trentaine d'années
plus tard, le nouveau maire la retrouva
et la remit à sa place lors d'une
cérémonie en hommage à l'oeuvre
admirable de cet homme. Non, les
Algériens ne sont pas ingrats! A travers
ce témoignage, nous constatons toute
l'ambivalence de la période coloniale.
Les instituteurs furent exemplaires, le
pouvoir colonial fut abject.
Le Polytechnicien cité plus haut fut
malheureusement juste après le
cessez-le-feu en mars 1962 tué par l'OAS
qui, en prime, brûla la Bibliothèque
universitaire, continuant de ce fait, l'oeuvre
des Bugeaud, de Bourmont et autres
Saint-Arnaud. Non, l'oeuvre du pouvoir
colonial ne fut pas positive, les rares
instruits furent, comme l'écrit Jean El
Mouhoub Amrouche «des voleurs de feu»
qui gardent par devers eux «le butin de
guerre» cher à Kateb Yacine, et qui leur
a permis de bouter le pouvoir colonial
avec les mêmes armes, la langue
française. A titre personnel, les
instituteurs et les médecins furent pour
leur grande majorité admirables,
l'Algérie leur doit reconnaissance et
considération.
1. E. Guernier. La Berbérie, l'Islam et
la France. Editions de l'Union
française. p.97.1953.
2. M. Egreteau: Réalités de la nation
algérienne. Editions sociales. Paris.
1961.
3. G.Perville. Les étudiants algériens
de l'université française, 1880-1962,
Ed.Casbah. 1997.
4. C. E. Chitour: L'éducation et la
culture en Algérie, des origines à nos
jours. Ed. Enag. 1999.
5. A.Devoulx. Revue africaine. Vol. 19,
p. 309. 1875.
6. Comte d'Herisson: La chasse à
l'homme, pp 10 11.Edit.P.ollendorf.Paris.
7. A. Djeghloul: La formation des
Intellectuels algériens
modernes.1880-1930; O.P.U. 1988.
8. Paulette Dechavanne: L'enseignement
en Algérie avant 1962 «l'Algérianiste»
n° 75 sept 1996.
9. X. de la Tribonnière: Histoire de la
médecine. Bull Soc Pathol Exot, 2000,
93, 5, 365-371
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 31 mai
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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