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L'EXPRESSIONDZ.COM

LES PEUPLES ARABES S'ÉMANCIPENT

La chute du mur de la peur
Chems Eddine Chitour

Lundi 31 janvier 2011

«Quand trop de sécheresse brûle les coeurs; Quand la faim tord trop d’entrailles; Quand on rentre trop de larmes; Quand on bâillonne trop de rêves; C’est comme quand on ajoute bois sur bois sur le bûcher; A la fin, il suffit du bout de bois d’un esclave;Pour faire, Dans le ciel de Dieu; Et dans le coeur des hommes le plus énorme incendie.»
Mouloud Mammeri


Cette année 2011 est décidément une année arabe. Pour la première fois depuis plus d’un siècle, les peuples arabes s’émancipent à la fois de leurs dirigeants qui n’ont pas su et pour certains, pas pu les mener à bon port en les projetant dans le XXIe siècle. Il a fallu un espace virtuel Facebook, Twitter et plus généralement, les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour avoir eu raison de la chape de plomb des pouvoirs. Le régime tunisien fut balayé par l’Internet. Le régime du pharaon aux pieds d’argile comprit, mais trop tard, la nécessité d’étouffer le sang de l’information qui circulait sur la Toile. En voulant museler l’Internet, il constata que la révolution était déjà dans la rue. On apprend par ailleurs, que par mesure de précaution selon, The Guardian, qui cite Akhbar al-Arab, Gamal Moubarak, aurait quitté l’Égypte avec sa femme pour aller se réfugier à Londres.
Pour beaucoup d’observateurs, écrit Hicham Hamza, l’armée détient aujourd’hui la clé de l’avenir politique de l’Egypte. Hosni Moubarak a ainsi désigné samedi, comme Premier ministre, Ahmed Chafik, ancien commandant de l’armée de l’air et ministre sortant de l’Aviation. Il est chargé de former un nouveau gouvernement. Le changement dans la continuité. Samedi, le président égyptien Hosni Moubarak a nommé au nouveau poste de la vice-présidence, un loyaliste par excellence, l’ancien général Omar Suleïman, chef des services secrets et candidat idéal à la succession pour les Etats-Unis. Proche des milieux d’affaires, Omar Suleïman est reconnu comme un partenaire estimable pour les Américains et les Israéliens. Ses accointances au sein de la classe politique israélienne sont également jugées rassurantes pa gouvernement de Benjamin Netanyahu. (..) l’enjeu sera de savoir si la tutelle de l’Occident sera maintenue ou bien si les aspirations démocratiques du peuple à l’autonomie pourront enfin s’exprimer.(1)

Le régime du Pharaon aux pieds d’argile

Comment ce vent de révolte a-t-il soufflé? A côté du mimétisme de la révolte des jeunes Tunisiens, il ne faut pas négliger aussi le rôle de ferment joué par les câbles de wikiLeaks, et la crise des matières premières (on dit que l’Algérie et l’Egypte sont les deux premiers pays à acheter du blé aux pays qui le produisent, il y a au moins ce record que nous devons homologuer dans le livre des Guinness). Pour le reste, le Monde arabe est dernier partout et, notamment dans le domaine des sciences et de la technologie (500 université musulmanes, dans les dernières places, 5000 universités aux Etats-Unis Les 100 premières sont américaines et sur les 1000 premières universités mondiales 500 sont américaines. Le gap de plus en plus important entre les potentats installés dans les temps morts et un Occident exubérant d’initiative et de créativité. Un autre paramètre est la défaillance totale de tous les partis politiques ou supposés tels dans les pays arabes, alliés traditionnels du pouvoir, leur appel à mobilisation débouche sur des flops. On remarque que les tentatives de récupération en Algérie, Tunisie et Egypte se sont soldées par des échecs patents. Ajoutons le catalyseur et l’humiliation continuelle des Arabes à travers la politique d’apartheid d’Israël envers les Palestiniens et à son impunité imposée par un Occident qui développe justement, avec les potentats arabes qu’il soutient, des relations privilégiées. A titre d’exemple, l’Egypte est inféodée aux Etats-Unis, le prix de sa reddition en rase campagne est de 1,3 milliard de dollars.
Pierre Haski explique les analogies et les dissemblances des révolutions arabes d’avec celles des pays de l’Est en 1989. «Depuis le départ du président tunisien Ben Ali et la «contagion» dans d’autres pays arabes, la comparaison a souvent été faite avec la chute du mur de Berlin, en octobre 1989.(...) La principale différence, évidemment, tient au fait que les pays communistes d’Europe centrale et orientale appartenaient à un même «bloc», dont le centre de contrôle se trouvait à Moscou, au Kremlin. Lorsque ce dernier, sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev, a laissé faire, la voie était soudain libre pour des changements historiques....Le Monde arabe n’a aucune de ces caractéristiques: ce n’est pas un bloc homogène. (...)»

L’Egypte est inféodée aux Etats-Unis

Pierre Haski ajoute que l’Occident est inquiet et on le comprend: «Et le monde extérieur est partagé entre le soutien aux aspirations démocratiques des manifestants, et la peur de voir ces pays tomber entre les mains d’extrémistes religieux, et donc de devenir des foyers d’instabilité et potentiellement «ennemis».La Tunisie est un petit pays, sans enjeu stratégique majeur, et les événements ont pu suivre leur cours sans grande interférence extérieure. En revanche, ce qui est sûr, c’est que les grandes puissances de ce monde observent avec inquiétude ces événements, au lieu de se réjouir de voir un vent de demande de liberté souffler sur une partie du monde qui semblait condamnée pour longtemps à l’immobilisme, la médiocrité de despotes galonnés ou couronnés, et à la menace de l’obscurantisme politico-religieux. Cette inquiétude, perceptible de Washington à Paris, nul ne sait où va la révolution égyptienne en marche. Avec, évidemment, l’incertitude islamiste. Un renversement éventuel de Moubarak ouvrira-t-il la voie à une victoire des Frères musulmans, à l’histoire longue de près d’un siècle, et très enracinés en Egypte ou en Jordanie? Ce n’est pas ce que souhaitent les Américains, ou leurs voisins israéliens, une position qui agace les «dissidents» démocrates du Monde arabe qui n’en peuvent plus d’être confrontés à l’alternative, islamistes ou dictateurs...L’analyste conservateur, Robert, Kaplan écrivait dans le New York Times qu’il ne fallait pas trop se réjouir des événements du Monde arabe, car on finirait par regretter des «dirigeants avisés» comme le roi Abdallah de Jordanie, ou «stables» comme le président Moubarak. Et de rappeler que ce sont des élections démocratiques qui ont amené le Hamas au pouvoir à Ghaza. Ils ont fait voler en éclats le mur de Berlin dans leurs têtes, qui les empêchait jusque-là de contester des régimes autoritaires et largement corrompus, soutenus par les Occidentaux au nom de la lutte contre l’intégrisme religieux.»(2)
Alain Gresh rappelle, pour sa part, les causes structurelles voire le ferment des révoltes. Ecoutons-le: «D’abord, le maintien de régimes autoritaires qui ne rendent jamais de comptes à leurs citoyens. S’il existe (ou plutôt existait) une «exception arabe», c’était bien celle-ci: ces régimes ont connu une longévité sans précédent, M.Moubarak est président depuis 1982, M.Ali Abdallah Saleh dirige le Yémen depuis 1978 et, à Amman, Abdallah II a succédé en 1999 à son père, qui, lui-même, avait accédé au pouvoir en 1952. Pour ne pas parler de la Syrie où Bachar El-Assad a remplacé son père qui avait pris le pouvoir en 1970, ou du Maroc où le roi Mohammed VI a remplacé son père en 1999, celui-ci ayant régné à partir de 1961, de la Libye où El Gueddafi sévit depuis 1969 et prépare son fils à lui succéder. Quant à M.Ben Ali, il présidait sans partage depuis 1989. (3)
De plus, dans des conditions différentes selon chaque pays, les droits individuels, politiques et d’expression du citoyen sont bafoués. La publication par WikiLeaks des télégrammes venus de l’ambassade des Etats-Unis au Caire confirment ce que tout le monde savait. (...) Tous ces régimes ont accaparé non seulement le pouvoir politique, mais se sont imposés dans le domaine économique, agissant souvent en vrais prédateurs des richesses nationales, comme en Tunisie. (...) On peut noter aussi que la lutte contre Israël, qui offrait souvent aux régimes du Proche-Orient un argument pour maintenir leur emprise - au nom de l’unité contre l’ennemi sioniste -, ne semble plus suffire.(...) l’ensemble du Monde arabe semble bien incapable de réagir au lent écrasement des Palestiniens. (....) Et maintenant? Que feront les Frères musulmans, très réticents à entrer dans une confrontation avec le pourvoir et qui ont finalement décidé de se rallier au mouvement? Mohammed El-Baradeï, sera-t-il capable de fédérer les oppositions?
«Les Palestinian Papers (ie documents WikiLeaks - NdT) écrit Robert Fisk, sont aussi stupéfiants que la Déclaration de Balfour. L’ «Autorité» palestinienne était prête, et l’est encore, à abandonner le «droit au retour» de peut-être sept millions de réfugiés vers ce qui est actuellement Israël en échange d’un «Etat» qui ne couvrirait plus que 10% (au mieux) du territoire palestinien sous mandat britannique. Il se passe quelque chose d’exceptionnel dans le Monde arabe. (...) En Égypte, nous aimons la démocratie. Nous avons encouragé la démocratie en Égypte - jusqu’à ce que les Egyptiens décident de renverser la monarchie. Alors, nous les avons mis en prison. Puis nous avons exigé encore plus de démocratie. C’est toujours la même histoire. Tout comme nous voulions la démocratie pour les Palestiniens à condition qu’ils votent pour les bons candidats, nous voulions aussi faire profiter de notre démocratie aux Égyptiens. Maintenant, au Liban, il apparaît qu’une «démocratie» libanaise va s’imposer. Et ça, nous n’aimons pas. Car, évidemment, nous voulons que les Libanais votent pour ceux que nous aimons, les partisans sunnites de Rafic Hariri dont l’assassinat - croyons nous - fut orchestré par les Syriens. Que se passe-t-il? Se pourrait-il que le Monde arabe décide de se choisir lui-même ses dirigeants? Se pourrait-il que nous assistions à l’émergence d’un Monde arabe qui ne serait plus contrôlé par l’Occident? En Égypte, l’avenir de Hosni Moubarak paraît encore plus compromis. Et les Égyptiens n’en veulent pas du fils de Hosni. Le chef de la sécurité de Hosni, un certain Suleïman, qui est très malade, n’est peut-être pas non plus l’homme qu’il faut. Et pendant ce temps, à travers tout le Moyen-Orient arabe, nous attendons la chute des alliés de l’Amérique. En Égypte, M.Moubarak doit déjà être en train de se chercher une destination vers où s’envoler. Au Liban, les amis de l’Amérique s’effondrent. C’est la fin des «Démocrates» du Moyen-Orient arabe. Nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait. Seule l’histoire nous le dira.»(4)
Pour Mohamed Tahar Bensaâda, l’alternative posée à l’Occident est simple: c’est soit les barbus soit les blindés. Cela nous rappelle la phrase de Moubarak à l’Occident, c’est moi ou l’Algérie sous- entendu le chaos. «(...) Bien avant le soulèvement populaire, et comme l’ont si bien illustré les fuites de WikiLeaks, les Américains ont montré qu’ils étaient excédés par les pratiques maffieuses du clan Ben (...) Comme leurs porte-parole dans l’Hexagone, les diplomates israéliens n’ont pas hésité à regretter la chute du régime de Ben Ali et à pointer du doigt la «menace islamiste». L’Egypte et la Jordanie, deux pays qui ne partagent pas seulement la proximité géographique avec l’Etat d’Israël. Tous les deux ont fait une «paix séparée» avec l’Etat hébreu. (...) Dans le Soudan voisin, (...) la manipulation israélo-occidentale de l’aspiration du Sud à l’autodétermination, à la liberté et au développement, a réussi, aidée en cela par l’irresponsabilité criminelle d’un pouvoir nordiste, sourd aux appels à la liberté, à la justice et à l’égalité des populations d’un Sud marginalisé et méprisé. (...)(5)
Que fera l’Occident qui avait, définitivement, misé sur «la fin de l’histoire des Arabes» réduits à des esclaves résignés avec un prévôt adoubé pour les maintenir en respect? Les peuples arabes lèvent la tête et s’interrogent sur l’avenir. Sans vouloir jouer les pythies, imaginons que les jeunes Arabes vont au bout de leurs rêves. Qu’ils arrivent à élire et à faire émerger en leur sein des guides capables de leur indiquer le chemin dans la dignité, l’espoir pour tous. Pourtant, on peut craindre que ce ras-le-bol soit une révolte malheureusement, non structurée qui risque de déboucher sur une anarchie nihiliste en l’absence d’alternatives crédibles comme c’est le cas en Tunisie où la contestation continue, pour continuer.

Les gouvernements arabes sont dociles

C’est l’avis du journaliste britannique Robert Fisk, pour qui, le changement de régime en Tunisie n’annonce pas forcément l’avènement d’une démocratie. «Serait-ce la fin de l’âge des dictateurs dans le Monde arabe? s’interroge Robert Fisk. Tous ces cheikhs et ces émirs, ces rois (dont un très âgé en Arabie Saoudite et un jeune en Jordanie), ces présidents (là encore, un très âgé en Egypte et un jeune en Syrie) doivent sans aucun doute trembler dans leurs bottes, car les événements de Tunisie n’étaient pas censés se produire. (...)Si de tels événements peuvent se produire dans un pays touristique comme la Tunisie, ils peuvent survenir n’importe où....La vérité est que le Monde arabe est si sclérosé, si corrompu, si humilié et si impitoyable -et si incapable d’accomplir des progrès sociaux et politiques que les chances sont quasi nulles de voir émerger des démocraties viables dans le chaos qui règne dans le Monde arabe. Mais tous les dictateurs savent qu’ils courent de gros dangers quand ils libèrent leurs compatriotes de leurs chaînes. Et les Arabes n’ont pas dérogé à la règle. Non, tout bien considéré, je ne pense pas que le temps des dictateurs arabes soit révolu. Les Occidentaux y veilleront.»(6)
Il est vrai que les gouvernements arabes actuels n’intéressent l’Occident que dans la mesure où ils sont dociles et non pas en tant que valeur ajoutée issue d’un brain- storming mais en tant que dépositaires d’une rente et prévôts des peuples qu’ils sont chargés de mater, en respectant un vernis de démocratie. Les dirigeants arabes, pour la plupart mal élus, s’accrochent au pouvoir à l’instar d’un El Gueddafi qui est, à n’en point douter», un cas d’école tant il est vrai qu’il a réussi à casser le peuple libyen et surtout sa jeunesse.
Pourtant, le croyons-nous, quelque chose d’absolument nouveau a eu lieu, le temps travaille pour l’avenir des millions de jeunes Arabes. Nul doute que la géopolitique mondiale connaîtra un véritable séisme et ce sera véritablement le chaos si les nouveaux Arabes décidaient enfin, de ne plus prendre comme parole d’Evangile les injonctions de l’Occident. Peut-être que c’est aussi, l’occasion unique pour rendre justice au peuple palestinien si le Monde arabe, dans son ensemble, décidait de dire «ça suffit!» concernant les coupables complicités de l’Occident vis-à-vis d’Israël. Les peuples arabes s’émancipent, le mur de la peur est tombé.



1.Hicham Hamza: Le nouveau vice-président favori des Américains Oumma.com 29.01.2011
2.Pierre Haski: Le Monde arabe vit sa chute du mur de Berlin Rue89 29.01.2011
3.Alain Gresh:Le Monde arabe se révolte Monde diplomatique 28 janvier 2011
4.Robert Fisk: Une vérité émerge du Monde arabe http://www.independent.co.uk/opinio...
5.Mohamed Tahar Bensaâda Les barbus ou les blindés: l’Islam a bon dos. Quelles perspectives de changement dans le Monde arabe? Oumma.com 27 janvier 2011
6.Robert Fisk. Le temps des dictateurs n’est pas révolu. The Independent dans Courrier international 29.01.2011.

Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale polytechnique

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Publié le 31 janvier 2011 avec l'aimable autorisation de l'
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Source : L'Expression
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