Opinion
La sécurité du
monde en péril : Le nucléaire de la peur
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Jeudi 29 mars 2012
«Le problème
aujourd'hui n'est pas l'énergie
atomique, mais le coeur des hommes.»
Albert Einstein
A Séoul s'est tenu pendant deux jours un
sommet sur la sécurité nucléaire et la
prévention de la prolifération
nucléaire. 53 pays dont l'Algérie ont
participé. Un petit rappel de ce que
c'est que l'énergie nucléaire.
L'industrie nucléaire est née en 1942
par la fameuse expérience d'Enrico Fermi
qui réussit à faire diverger une
réaction nucléaire en procédant à la
fission de noyau d'uranium bombardé par
des neutrons. Rapidement, les Etats-Unis
démarrent alors un programme militaire
top secret appelé «Projet Manhattan».
Son objectif est de mettre au point la
première bombe atomique au monde. Le 16
juillet 1945, les Etats-Unis testaient
leur bombe dans le désert du
Nouveau-Mexique. A cette date, la
Seconde Guerre mondiale était finie en
Europe, mais pas en Asie. Les Etats-Unis
décidèrent de lâcher des bombes
atomiques sur le Japon. Le 6 août 1945,
une bombe atomique détruisait la ville
d'Hiroshima. Trois jours plus tard, une
autre tombait sur la ville de Nagasaki.
200.000 personnes y ont perdu la vie.
Depuis 1945, huit autres pays se sont
dotés d'armes nucléaires (la
Grande-Bretagne, la France, la Russie,
la Chine, l'Inde, le Pakistan, Israël et
la Corée du Nord). 31 ont construit des
centrales nucléaires (soit au total 439
réacteurs nucléaires à travers le
monde). Le 27 juin 1954, la première
centrale nucléaire civile fut connectée
au réseau électrique en Urss, avec une
puissance de production d'électricité de
5 Mégawatts. Le 7 janvier 1956, le site
nucléaire de Sellafield au Royaume-Uni
est connecté. Enfin le réacteur
nucléaire de Shippingport aux
États-Unis, fut connecté en 1957. En
France, la première centrale nucléaire
fut celle de Chinon.
Les
coulisses de la création du TNP
Pour l'histoire et comme le rappelle
Olivier Zajec: «L'idée du traité de
non-prolifération nucléaire (TNP) prend
racine dans les années 1950, alors que
trois pays (Etats-Unis, Russie et
Royaume-Uni) détiennent d'ores et déjà
l'arme atomique (...) Les Etats-Unis
poussent dès le début des années 1950 à
un «confinement» diplomatique de la
maîtrise étatique de la bombe. Dans
cette logique, le président Dwight
Eisenhower propose, le 8 décembre 1953,
devant l'Assemblée générale de
l'Organisation des Nations unies (ONU),
la création d'une agence chargée de
contrôler l'usage des matières
nucléaires.Pour favoriser la paix
mondiale (et maintenir leurs statuts
respectifs), les autres puissances
nucléaires, ou sur le point de le
devenir, font rapidement leurs comptes:
elles ont également intérêt à ce qu'un
dispositif reconnaisse leurs progrès et
fasse cesser la «démocratisation» à
terme d'un outil de puissance plus que
discriminant. Les alliés objectifs ne
manquent donc pas à l'entreprise.»(1)
Après des débats houleux, l'ONU crée
finalement l'Agence internationale de
l'énergie atomique (Aiea) en octobre
1956. Sa vraie mission consiste, selon
l'article 3.5 de sa charte, à «garantir
que les produits fissiles spéciaux et
autres produits, les services,
l'équipement, les installations et les
renseignements fournis par l'Agence ou à
sa demande ou sous sa direction ou sous
son contrôle ne sont pas utilisés de
manière à servir à des fins militaires».
En contrepartie, explique son article
3.1, elle offre «d'encourager et de
faciliter, dans le monde entier, le
développement et l'utilisation pratique
de l'énergie atomique à des fins
pacifiques et la recherche dans ce
domaine».(1)
«(...) Trois difficultés majeures
fragilisent le traité: d'une part, la
frontière de plus en plus poreuse entre
technologies nucléaires civile et
militaire; d'autre part, le caractère
déclaratoire du processus de contrôle
(les Etats informent l'Aiea des
installations à visiter, mais peuvent en
dissimuler certaines) ainsi que la
non-définition réelle des «preuves» des
manquements éventuels; enfin, la
possibilité pour certains Endan liés par
le traité de continuer à manoeuvrer pour
parvenir au «seuil» nucléaire ou
au-delà, au long d'une séquence
signature-ratification-application qui
peut traîner en longueur.» L'auteur
conclut en citant les points noirs
toujours d'actualité: «Principal point
noir à recenser: l'ascension atomique
des frères ennemis d'Asie du Sud, l'Inde
et le Pakistan, devenus puissances
nucléaires militaires respectivement en
1974 et en 1985 - et non signataires du
TNP. (...) Israël constitue l'autre
échec majeur, le plus problématique de
la liste des non-signataires, car
accompagné des circonstances aggravantes
d'une négation officielle de la réalité
(contrairement au Pakistan et à l'Inde)
et d'un soutien impavide des Etats-Unis,
qui n'en savent pas moins tout ce qu'il
faut savoir sur la non-détention de
façade de Tel-Aviv. (...) Le cas de
l'Iran semble plus clair: pays
signataire du traité, il violerait ses
engagements en cherchant apparemment à
obtenir l'arme; en matière de garanties,
nul, pas plus la Chine que la Russie, ne
peut revendiquer une influence efficace
sur les choix de ce pays. La Corée du
Nord, quant à elle, offre à l'examen un
cas également grave, puisque,
contrairement à l'Iran, elle s'est
retirée du traité en 2003. D'autre part,
ses progrès, bien que tardifs, ont
longtemps bénéficié d'une certaine
bienveillance de la part de la Chine.»
(1)
Les pays
nucléarisés
Le principe de base du TNP repose sur la
discrimination opérée entre les États
dotés de l'arme nucléaire ayant fait
exploser un engin nucléaire avant le 1er
janvier 1967 (Edan), et les autres
États, non dotés de l'arme nucléaire (Endan):
les premiers (États-Unis, URSS,
Royaume-Uni, France, Chine), également
membres permanents du Conseil de
sécurité de l'ONU, s'engagent en signant
le traité à ne pas aider un autre pays à
acquérir des armes nucléaires; les
seconds s'engagent à ne pas fabriquer
d'armes nucléaires et à ne pas essayer
de s'en procurer. (..) Le TNP crée
intrinsèquement une discrimination entre
les Edan et les Endan, à peine compensée
par les contreparties accordées par les
cinq Edan, comme la possibilité pour les
Endan de développer des applications
nucléaires pacifiques ou leur engagement
de réduire les potentiels nucléaires et
de favoriser un désarmement complet. (2)
Le cas de
la Corée du Sud et de l'Iran
Le sommet de Séoul est dominé en
coulisses par le projet de lancement
d'une fusée par la Corée du Nord ainsi
que par la crise qui oppose les pays
occidentaux à l'Iran à propos du
programme nucléaire de Téhéran. A
l'heure actuelle nous avons trois
grandes catégories de pays. Nous avons
les cinq pays du Conseil de sécurité qui
disposent d'un arsenal impressionnant
toujours perfectionné d'ogives
nucléaires, qui ne sont pas contrôlés
par l'Aiea comme le prévoit pourtant
l'Aiea. Il s'agit des Etats-Unis, de la
Russie, de la Chine, du Royaume-Uni et
de la France.
Une deuxième catégorie de pays ayant des
armes atomiques dont certains comme
Israël n'ont pas signé le TNP et
détiennent des centaines de bombes.
C'est le cas aussi de l'Inde et du
Pakistan qui développent sans problème à
la fois le nucléaire civil mais aussi le
nucléaire militaire. Une troisième
classe est constituée par les pays
maitrisant le nucléaire civil mais
n'ayant pas développé de technologies
militaires bien qu'ils puissent
rapidement le faire, c'est le cas de
l'Allemagne et du Japon. Nous avons
aussi ceux qui disposent en théorie que
de réacteurs nucléaires civils,
(Espagne, Italie, Finlande, Suède,
Suisse, Belgique) et les anciens pays de
l'Est que l'on soupçonne de ne pas être
suffisamment vigilants dans le contrôle
de leur uranium et qui risque d'être
«subtilisé» par les terroristes
islamiques.
Nous avons enfin deux pays pestiférés,
d'abord la Corée du Nord qui disposerait
de la bombe atomique, de réacteurs
nucléaires et qui ambitionne de lancer
une fusée avec satellite le 12 avril le
jour du centenaire de Kim Il Song le
père du communisme coréen. La Corée du
Nord n'abandonnera «jamais» le droit de
lancer «un satellite pacifique», a
indiqué mardi l'agence officielle
nord-coréenne Kcna La Corée du Nord
indique avoir invité la Nasa américaine
à envoyer ses experts (sur le site de
lancement), «afin qu'ils puissent voir
de leurs propres yeux la nature
pacifique de notre lancement de
satellite». Ensuite, l'Iran qui,
péniblement a pu mettre en marche, en
dépit de tous les empêchements, la
centrale de Buscheer et qui souhaite
enrichir son propre uranium, ce que
veulent lui interdire les pays
occidentaux et Israël.
Début janvier, l'Agence internationale
de l'énergie, atomique (Aiea) annonce
que l'Iran avait commencé la production
controversée d'uranium enrichi à 20% sur
son site de Fordo, enfoui sous une
montagne et difficile à attaquer.(...)
Au-delà de 20%, l'uranium peut être
utilisé pour la fabrication de bombes.
L'Iran ayant signé le traité du TNP, a
subi des centaines de contrôles de
l'Aiea. L'Iran n'arrête pas de déclarer
que son programme est pacifique. Il y a
quelques semaines on pensait qu'on était
à deux doigts d'une attaque de la part
d'Israël qui, fort de l'aide américaine,
pense punir l'Iran en le bombardant.
D'ailleurs, il semble que près de
deux-tiers des Israéliens juifs estiment
qu'une attaque contre l'Iran serait
moins dangereuse que de laisser la
République islamique se doter de l'arme
nucléaire, selon un sondage publié lundi
dans le quotidien Haaretz. Quelque 65%
des personnes interrogées sont d'accord
avec l'hypothèse que le prix qu'Israël
aurait à payer pour vivre avec un Iran
nucléaire est plus important que celui
d'éventuelles représailles suite à une
attaque israélienne contre les
installations nucléaires iraniennes. Ce
sondage a été réalisé par le professeur
Camille Fuchs pour le Jerusalem Center
for Public Affairs. (avec AFP)
Meir Dagan, ancien chef du Mossad, les
services de renseignements israéliens,
s'est dit opposé pour l'heure à des
frappes contre les sites nucléaires
iraniens, lors d'un entretien sur une
chaîne américaine. «Attaquer l'Iran
avant d'avoir réfléchi à toutes les
autres approches n'est pas viable», a
déclaré M.Dagan dans des extraits d'une
interview accordée à la chaîne CBS et
qui doit être diffusée in extenso
dimanche. Barack Obama «a clairement dit
que l'option militaire est envisageable
et qu'il ne laisserait pas l'Iran se
doter de l'arme nucléaire, et
d'expérience je fais confiance au
président américain», a encore confié
Meir Dagan. (3)
Les résultats du sommet
Le président américain, Barack Obama, a
déclaré mardi 27 mars que la sécurité du
monde dépendait des actions décidées
lors du sommet du nucléaire qui se
déroule actuellement à Séoul en présence
des représentants de cinquante-trois
pays. «La sécurité du monde dépend des
actions que nous prenons» ici, a déclaré
M.Obama, «beaucoup avait été accompli»
depuis le sommet inaugural, tenu à
Washington en 2010, citant le
renforcement de la sécurité sur les
sites nucléaires et l'élimination ou la
mise en sécurité de matériels dangereux.
«Cela doit nous encourager, et non pas
nous inciter à l'autosatisfaction. Cela
doit renforcer notre volonté de
continuer à agir sur ces questions»,
a-t-il ajouté. «Je crois que nous
comprenons tous qu'aucun pays ne peut
agir seul.» «Il est indiscutable que la
menace persiste. Il y a encore trop
d'individus malintentionnés à la
recherche de ces matériels dangereux,
dont une partie reste vulnérable dans
trop d'endroits», a encore dit M.Obama.
«Il n'en faudrait pas beaucoup - juste
une poignée de ces matériels - pour tuer
des centaines de milliers d'innocents.»
Le président chinois, Hu Jintao, a lui
aussi noté les progrès accomplis depuis
2010, mais a souligné que la situation
restait «grave». Son pays va renforcer
sa coopération avec l'Agence
internationale de l'énergie atomique
(Aiea) et aider les pays qui le
souhaitent à adapter leurs réacteurs
fonctionnant avec de l'uranium hautement
enrichi (UHE) à l'uranium faiblement
enrichi (UFE).
Le président sud-coréen a rappelé que
1600 tonnes d'UHE et 500 tonnes de
plutonium - de quoi produire plus de
cent mille engins atomiques - étaient
encore stockés, parfois dans des
conditions de sécurité discutables, dans
les républiques de l'ancienne Union
soviétique ou ailleurs dans le monde
(4).
Après avoir réaffirmé les «objectifs
communs de désarmement nucléaire, de
non-prolifération nucléaire et d'usages
pacifiques de l'énergie nucléaire»
formulés lors du premier sommet, en 2010
à Washington, ils ont émis une série de
recommandations dans différents domaines
allant de la consolidation de»l'architecture
de la sécurité nucléaire globale» au
travers de textes telle la convention de
2005 sur la répression des actes de
terrorisme nucléaire et l'amendement à
la Convention sur la protection physique
des matières nucléaires (Cppnm), à la
lutte contre le trafic nucléaire
illicite ou encore la coopération
internationale.
Le rôle de l'Agence internationale de
l'énergie atomique (Aiea) sort renforcé.
Les pays sont appelés à faire plus
souvent appel à ses services, à se
conformer à ses cadres de régulation et
à augmenter les contributions
financières qu'ils lui versent. Comme
annoncé avant l'ouverture du sommet, les
questions du nucléaire nord-coréen et
iranien n'ont pas fait l'objet de
discussions en session plénière, mais
seulement lors d'échanges bilatéraux.
(5)
En définitive, la sécurité du monde non
pas du fait des «lampistes» mais
justement de ceux qui y veillent. En
effet, les pays nucléarisés veulent à
travers le contrôle des stocks d'uranium
et de plutonium avoir l'oeil sur le
nucléaire mondial aussi bien civil que
militaire. Les pays disposant de la
bombe et ceux qui sont au seuil
constituent sans nul doute les futurs
décideurs. Rien ne leur est interdit,
l'Aiea ne les contrôle pas. De plus et
c'est le plus grave, une variante
dérivée de la bombe, - à mi-chemin entre
la bombe atomique et les armes
conventionnelles à savoir l'arsenal de
bombes à l'uranium appauvri, constitue
un défi à la conscience humaine.
Cette arme capable de percer les
blindages les plus puissants est surtout
un vecteur de prolifération radioactive
donnant lieu à toutes les maladies
possibles et imaginables (cancers,
leucémies, brûlures, malformations..).
Nous l'avons vu en Irak et peut-être
ailleurs. Qui va contrôler les
contrôleurs des autres? Décidément,
l'humanité ne va pas vers l'apaisement
malgré toutes les déclarations
doucereuses. Ainsi va le monde.
Nietzsche disait: «Périsse les faibles
et les ratés.» A-t-il raison?
1. Olivier Zajec,
http://www.monde-diplomatique.fr/2010/05/ZAJEC/19085
mai 2010
2. Le Traité de non-prolifération.
Encyclopédie Wikipédia
3. Un ex-chef des renseignements
israéliens opposé à une frappe contre
l'Iran AFP 09.03.2012
4. Obama juge que la sécurité du monde
se joue au sommet du nucléaire Le
Monde.fr 27.03.2012
5. Philippe Mesmer: Le Sommet s'achève
sur des progrès limités Le Monde.fr
27.03.2012
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 30 mars
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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