Opinion
Kerry-Lavrov : Les
Sykes Picot du XXIe siècle
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 28 février
2013
«La vie
humaine est une valeur qui n'a pas de
prix, tout ce qu'on appelle réformes,
droits de l'homme et démocratie ne
valent pas le sang d'un seul homme
innocent»
Patriarche Raï
Il semble que le drame du peuple syrien
connaîtra son épilogue à en croire les
rumeurs supputations et autres analyses.
De quoi s'agit-il? Ni plus ni moins d'un
nouveau partage du monde entre les
grands. Pour l'histoire récente nous
nous souvenons de Yalta, du «rideau de
fer» entre un Occident dit «libre» et un
Empire du «mal» pour reprendre
l'expression de Ronald Reagan. Une
trentaine d'années plus tôt, il y eut un
partage du monde entre les deux
«puissances» de l'époque, la perfide
Albion (l'Angleterre) et le Coq gaulois
(la France) qui guerroyaient tantôt de
concert, notamment pour démolir la
Chine, tantôt l'un contre l'autre par
pays faibles interposés. Les Etats-Unis
n'avaient pas encore atteint le sommet
de la puissance et la Russie et la Chine
étaient engluées dans leur contradiction
interne.
Les
accords Sykes –Picot
Nous sommes en 1916, le conflit a deux
ans, l'Empire ottoman «l'homme malade de
l'Europe» est du côté allemand. C'est
l'occasion pour les deux acolytes
anglais et français de donner le coup de
grâce à l'empire vermoulu et qui n'a
jamais connu de repos depuis plus d'un
siècle, constamment attaqué par ces deux
puissances qui, au nom de la protection
des minorités (Guerres du Levant),
dépeçaient méthodiquement l'empire. Les
accords Sykes-Picot sont justement des
accords secrets signés le 16 mai 1916,
entre la France et la Grande-Bretagne
(avec l'aval des Russes et des
Italiens), prévoyant le partage du
Moyen-Orient à la fin de la guerre
(espace compris entre la mer Noire, la
mer Méditerranée, la mer Rouge, l'océan
Indien et la mer Caspienne) en zones
d'influence entre ces puissances, dans
le but de contrer des revendications
ottomanes. (...) Aux États-Unis, le
président Woodrow Wilson, -scandalisé
par l'accord- tentant de mettre en avant
l'argument de l'autodétermination des
peuples, en vain. Les Français et les
Britanniques se mettent d'accord sur les
frontières à la conférence de San-Remo,
en avril 1920.
Obama et
Poutine et le partage du Proche-Orient
Dans un article publié le 26 janvier
dernier en Russie, Thierry Meyssan
expose le nouveau plan de partage du
Proche-Orient sur lequel travaillent la
Maison-Blanche et le Kremlin. L'auteur y
révèle les principales données de la
négociation en cours sans préjuger d'un
accord définitif, ni de sa mise en
oeuvre. L'intérêt de l'article est qu'il
permet de comprendre les positions
ambigües de Washington qui pousse ses
alliés dans une impasse de manière à
pouvoir leur imposer prochainement une
nouvelle donne dont ils seront exclus.
«Le président Obama écrit Thierry
Meyssan, s'apprête à changer
complètement de stratégie
internationale, malgré l'opposition que
son projet a suscité dans sa propre
administration. Le constat est simple.
Les États-Unis sont en passe de devenir
indépendants au plan énergétique grâce à
l'exploitation rapide des gaz de schiste
et du pétrole des sables bitumineux. Par
conséquent, la doctrine Carter (1980)
selon laquelle la sécurisation de
l'accès au pétrole du Golfe est un
impératif de sécurité nationale, est
morte. De même d'ailleurs que l'Accord
du Quincy (1945) selon lequel Washington
s'engage à protéger la dynastie des
Séoud si ceux-ci leur garantissent
l'accès au pétrole de la péninsule
arabique. (...) D'autre part, tout doit
être fait pour empêcher une alliance
militaire sino-russe ». (1)
« Il convient donc, poursuit Thierry
Meyssan, d'offrir des débouchés à la
Russie qui la détournent de
l'Extrême-Orient. Enfin, Washington
étouffe de sa relation trop étroite avec
Israël. Celle-ci est extrêmement
onéreuse, injustifiable au plan
international, et dresse contre les
États-Unis l'ensemble des populations
musulmanes. (...) C'est trois éléments
ont conduit Barack Obama et ses
conseillers à proposer un pacte à
Vladimir Poutine: Washington, qui
reconnaît implicitement avoir échoué en
Syrie, est prêt à laisser la Russie
s'installer au Proche-Orient sans
contrepartie, et à partager avec elle le
contrôle de cette région». C'est dans
cet état d'esprit qu'a été rédigé par
Kofi Annan le Communiqué de Genève du 30
juin 2012. (...) Ses différentes
oppositions internes étant pulvérisées
ou paralysées, Barack Obama a annoncé un
renouvellement en profondeur de son
équipe. D'abord, John Kerry au
département d'État. L'homme est partisan
déclaré d'une collaboration avec Moscou
sur les sujets d'intérêt commun. Il est
aussi un ami personnel de Bachar el
Assad. Puis, Chuck Hagel au département
de la Défense. C'est un des piliers de
l'Otan, mais un réaliste. Avec son ami
Kerry, Hagel avait organisé en 2008 une
tentative de négociation pour la
restitution par Israël du plateau du
Golan à la Syrie.» (1
«Ce que l'administration Obama envisage,
c'est un remodelage du Proche-Orient
pour le XXIe siècle, sous l'égide des
USA et de la Russie. (...) L'originalité
du plan, c'est que la force des Nations
unies serait principalement composée par
des soldats de l'Organisation du Traité
de sécurité collective (Otsc). Le
président Bachar el Assad resterait au
pouvoir. Il négocierait rapidement une
Charte nationale avec des leaders de
l'opposition non-armée sélectionnés avec
l'approbation de Moscou et Washington,
et ferait valider cette charte par
référendum sous contrôle des
observateurs. Ce coup de théâtre a été
préparé de longue date par les généraux
Hassan Tourekmani (assassiné le 18
juillet 2012) et Nikolay Bordyuzha. Une
position commune des ministres des
Affaires étrangères de l'Otsc a été
conclue le 28 septembre et un Protocole
a été signé entre le département onusien
de maintien de la paix et l'Otsc. (...)
Une fois la Syrie stabilisée, une
conférence internationale devrait se
tenir à Moscou pour une paix globale
entre Israël et ses voisins.» (1)
«Côté US, on souhaiterait prolonger le
remodelage jusqu'à sacrifier l'Arabie
Saoudite devenue inutile. Le pays serait
divisé en trois, tandis que certaines
provinces seraient rattachées, soit à la
fédération jordano-palestinienne, soit à
l'Irak chiite, conformément à un vieux
plan du Pentagone (´´Taking Saudi out of
Arabia´´, 10 juillet 2002). Cette option
permettrait à Washington de laisser un
vaste champ d'influence à Moscou sans
avoir à sacrifier une partie de sa
propre influence. (...) Cet accord
politico-militaire se double d'un accord
économico-énergétique, le véritable
enjeu de la guerre contre la Syrie
étant, pour la plupart des
protagonistes, la conquête de ses
réserves de gaz. De vastes gisements ont
en effet été découverts au Sud de la
Méditerranée et en Syrie (...) Le cadeau
de la nouvelle administration Obama à
Vladimir Poutine se double de plusieurs
calculs. Non seulement détourner la
Russie de l'Extrême-Orient, mais aussi
l'utiliser pour neutraliser Israël.(...)
Installées en Syrie, les troupes russes
dissuaderaient les Israéliens d'attaquer
les Arabes et les Arabes d'attaquer
Israël. Par conséquent, les États-Unis
ne seraient plus obligés de dépenser des
sommes phénoménales pour la sécurité de
la colonie juive ».
«La nouvelle donne conclut l’auteur,
obligerait les États-Unis à reconnaître
enfin le rôle régional de l'Iran.
Cependant, Washington souhaiterait
obtenir des garanties que Téhéran se
retire d'Amérique latine où il a tissé
de nombreux liens, notamment avec le
Venezuela. (...) Ce projet a des
perdants. D'abord, la France et le
Royaume-Uni dont l'influence s'efface.
Puis Israël, privé de son influence aux
États-Unis et ramené à sa juste
proportion de petit État. Enfin L'Irak,
démantelé. Et peut-être l'Arabie
Saoudite qui se débat depuis quelques
semaines pour se réconcilier avec les
uns et les autres afin d'échapper au
sort qui lui est promis. Il a aussi ses
gagnants. D'abord, Bachar el Assad, hier
traité de criminel contre l'humanité par
les Occidentaux, et demain glorifié
comme vainqueur des islamistes. Et
surtout Vladimir Poutine qui, par sa
ténacité tout au long du conflit,
parvient à faire sortir la Russie de son
«containment», à lui rouvrir la
Méditerranée et le Proche-Orient et à
faire reconnaître sa prééminence sur le
marché du gaz.» (1)
Dans le même ordre il faut se souvenir
comme l'écrit Laïd Seraghni, que: «Pour
Catherine II, Damas détient «la clé de
la maison Russie» et pour Poutine «elle
est la clé de la nouvelle ère.» Les
événements qui se déroulent actuellement
en Syrie ne sont en aucun cas liés à la
question de démocratisation de la
société ni pour plus de liberté pour les
Syriens. Il s'agit d'un ordre mondial
que cherchent les Etats-Unis à imposer
avec ses vassaux occidentaux prédateurs
à un autre monde qui, à leur tête la
Russie, réclame plus de participation
dans la gestion des affaires
internationales, desquelles elle a été
exclue depuis des décennies. Depuis le
début des contestations en Syrie, la
Russie, appuyée notamment par la Chine
et l'Iran, a décidé de faire échouer
toutes les tentatives d'un changement de
régime car elle était persuadée que si
le plan des Occidentaux réussissait,
elle serait confinée dans un rôle de
second plan et sera menacée dans son
intégrité territoriale. (...) Les
actions d'encerclement de la Russie
seront relancées. Cette stratégie, en
matière de géopolitique, est fondée sur
la ligne Brezinski qui prévoyait la
domination de l'Union soviétique en deux
étapes (...) Poutine dans le
prolongement de la ligne de Catherine
II, considère Damas comme étant le point
de départ du nouvel ordre mondial. Si
cette capitale tombait, la Russie
perdrait définitivement son rêve de
retrouver son statut de grande puissance
dans le monde du temps de la Guerre
froide ».(2)
Nous sommes loin de l'époque guerrière
de Bush. Avec Obama c'est le «soft
power» en action. A l'époque Bush,
c'était l'affrontement à outrance. Marco
d'Eramo nous rappelle un Rapport de
2006: «Pour la Maison-Blanche, la
planète de l'an 2006 se domine avec les
mêmes oeillères et la même agressivité
préventive qu'il y a quatre ans. C'est
ce qu'on apprend de la lecture des 48
pages denses qui composent le nouveau
document sur la National Security
Strategy (..) Dans le paragraphe sur
l'Irak, les stratèges admettent qu'il
n'y avait pas d'armes de destruction de
masse. Mais, disent-ils, presque
textuellement: rien à foutre, (...). La
nouveauté la plus préoccupante du
document se trouve cependant ailleurs,
c'est-à-dire dans la nouvelle dureté
manifestée à l'égard de la Russie et de
la Chine à qui le rapport dispense des
conseils assez menaçants, voire de
véritables menaces». (3)
Et la
Chine? Et Israël?
Thierry Messan nous dit que quand les
Américains auront les coudées franches
en Syrie, ils «s'occuperont «de la
Chine». Le temps est venu d'un retrait
massif qui permettra de transférer les
GI's vers l'Extrême-Orient afin de
contenir l'influence chinoise».
Une analyse sur le site Oulala permet
d'expliquer pourquoi la Chine modernise
son armée étant donné qu'au stade
impérialiste de développement économique
mondial, tous les marchés, toutes les
zones de ressources naturelles et toutes
les aires d'exploitation de la
main-d'oeuvre sont déjà accaparés par
l'une ou l'autre des puissances
impérialistes. La Chine n'a pour
alternative que de mener des guerres
commerciales, financières et monétaires
de conquête afin de repartager les zones
d'influence et d'exploitation
hégémoniques. Mais cette retenue et
cette diplomatie ne doivent pas faire
mirage, la Chine impérialiste commence à
s'armer et quand les États-Unis
deviendront trop menaçants - eux qui
viennent de déplacer leurs flottes de
guerre vers le Pacifique, l'Empire du
Milieu sera prêt à riposter».(4)
«Les États-Unis considère Thierry
Meyssan Meyssan considèrent qu'il n'est
pas possible de négocier une paix
séparée entre Israël et la Syrie, car
les Syriens exigent d'abord une solution
pour la Palestine au nom de l'arabisme.
(...) Par conséquent, toute négociation
doit être globale sur le modèle de la
conférence de Madrid (1991). Dans cette
hypothèse, Israël se retirerait autant
que faire se peut sur ses frontières de
1967. Les Territoires palestiniens et la
Jordanie fusionneraient pour former
l'État palestinien définitif. Son
gouvernement serait confié aux Frères
musulmans, ce qui rendrait la solution
acceptable aux yeux des gouvernements
arabes actuels. Puis, le plateau du
Golan serait restitué aux Syriens en
échange de l'abandon du lac de
Tibériade, selon le schéma envisagé
jadis aux négociations de Shepherdstown
(1999). La Syrie deviendrait garante du
respect des traités par la partie
jordano-palestinienne.» (1)
Reste Israël qui ne va pas se laisser
faire. Nous le voyons déjà comment elle
tente de torpiller la candidature de
Hegel au secrétariat à la Défense,
coupable selon le Sénat de ne pas avoir
de feeling pour Israël. Il a fallu toute
sa pugnacité pour qu’en définitive le
Sénat approuve sa candidature, sans
qu’il n’ait rien renié- apparemment- de
ses principes
La Syrie est prête
au dialogue avec les groupes armés
La conséquence du deal américano-russe
se fait jour. En effet, l'espoir peut-il
être permis à la faveur des déclarations
faites hier à Moscou par le ministre
syrien des Affaires étrangères, Wali El-Mouallem,
qui, lors d'une rencontre avec son
homologue russe Sergueï Lavrov, a
déclaré que le régime du président
syrien Bachar el Assad est prêt à
dialoguer avec toutes les parties, y
compris les groupes armés.: «Nous sommes
prêts au dialogue avec tous ceux qui
veulent le dialogue, y compris les
groupes armés», a déclaré M.Mouallem au
début de ses entretiens avec M.Lavrov.
Le ministre russe a, lui, déclaré qu'un
règlement politique inter-syrien était
la seule solution «acceptable» et que la
poursuite de l'effusion de sang pourrait
entraîner «l'effondrement» de l'État.
Le secrétaire d'Etat américain, John
Kerry, a rencontré mardi dernier à
Berlin son homologue russe Sergueï
Lavrov. Ces tractations diplomatiques en
Europe se déroulent au moment où le
régime du président Bachar el Assad se
dit prêt, pour la première fois, à
dialoguer avec les rebelles armés.
MM.Kerry et Lavrov se connaissent du
temps où le nouveau secrétaire d'Etat
présidait la commission des Affaires
étrangères du Sénat. (...) Un
responsable du département d'Etat a
ainsi expliqué aux journalistes
accompagnant M.Kerry que «la Russie peut
jouer un rôle crucial pour convaincre le
régime syrien (...) de la nécessité
d'une transition politique.»(5)
On comprend aisément la politique
américaine concernant le géant russe
grande capacité militaire , faible
développement, le contraire de la Chine
: grande capacité économique faible
capacité militaire.. La puissance de
frappe et les richesses énergétiques de
la Russie sont une réalité: les
premières réserves de gaz naturel et de
pétrole, mais aussi tous les minerais
Contrairement à la Chine très
développée, mais pauvre en ressources.
Du point de vue nucléaire, la Chine est
un nain. Poutine est désormais l'homme
le plus influent de la planète (il n'a
pas cédé sur la Syrie).
Nous assistons certainement à une
réorganisation du monde. Les Français et
les Anglais sont cantonnés dans le rôle
de supplétifs. Nous sommes loin de la
politique arabe de De Gaulle ou même du
tandem Chirac-De Villepin qui ont dit
non à l'Empire à propos de l'invasion de
l'Irak. Les Allemands, qui ont toujours
deux fers au feu, vont basculer du côté
russe (continuation de la politique de
Schröder). Les Français continueront à
guerroyer en vain, ils auront leur
Afghanistan au Mali et comme le dit un
proverbe arabe, «ils mangeront leurs
dents».
1 Thierry Meyssan
http://www.alterinfo.net/
Obama-et-Poutine-vont-ils-se-partager-le-Proche-Orient_a87127.html23
Février 2013
2. http://www.alterinfo.net/Pour-Laïd
Seragni
Catherine-II-damas-detient-la-cle-de-la-maison-Russie-et-pour-Poutine-elle-est-la-cle-d-une-nouvelle-ere_a87034.html
21 Février 2013
3.
http://www.mondialisation.ca/la-russie-et-de-la-chine-sur-la-liste-des-usa/2181
4. C.E.Chitour
http://www.mondialisation.ca/etats-unis-chine-russie-le-partage-du-monde/29482
5 Syrie: Kerry rencontre Lavrov à Berlin
pour une issue au conflit AFP 26.02.2013
Pr. Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 1er mars 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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